Profitant à plein des distorsions de notre système électoral uninominal à un tour, la CAQ a remporté près de 75 % des sièges de l’Assemblée nationale avec seulement 41 % du vote populaire. Elle fera face à une opposition parlementaire singulièrement affaiblie. Le PLQ, démoralisé par ses résultats électoraux désastreux et la démission de sa cheffe, est en pleine crise interne. Il sera presque inaudible pendant les deux prochaines années. Le PQ, avec seulement trois députés, est devenu quantité négligeable au parlement. Quant à QS, le seul parti d’opposition qui ne sort pas amoché de cette élection malgré une certaine stagnation [1], ses 11 député.e.s ne pourront faire le poids face à la majorité écrasante du gouvernement Legault… à moins que le parti ne se transforme en porte-voix des mouvements sociaux et des revendications populaires. C’est la seule stratégie qui pourrait pallier la faiblesse parlementaire de QS : faire jouer à fond les rapports de force politiques, et pas uniquement parlementaires, en devenant non seulement l’expression des luttes ouvrières et populaires, mais aussi un des agents de leur essor.
Car la période qui s’amorce sera agitée et riche en luttes sociales. La hausse des taux d’intérêt pour soi-disant « mater l’inflation » amènera un ralentissement économique marqué en 2023 [2] sans pour autant enrayer la hausse du coût de la vie. Les gouvernements, tant fédéral que provincial, se tourneront inévitablement vers des mesures de réduction des dépenses dans leurs prochains budgets. La crise dans les services publics de santé et d’éducation ne pourra que s’empirer tout comme celle du logement. Sur le plan environnemental, la CAQ nous servira des paroles ronflantes sur son soidisant « programme de mobilisation contre les changements climatiques » [3] tout en approuvant des projets climaticides comme le troisième lien à Québec ou le projet de Ray-Mont Logistiques dans l’est de Montréal. Quant à la lutte contre le racisme systémique, la campagne permanente de la CAQ contre les immigrant.e.s et sa tiédeur à bouger sur le scandaleux dossier du profilage racial, nous garantit que ces thématiques demeureront brûlantes.
Enfin, les luttes et mobilisations sociales ne manqueront pas. Il s’agira de les renforcer et de les faire converger contre un gouvernement qui se sent intouchable.
Survolons rapidement les grands axes de lutte de la prochaine période.
A. L’inflation, avec un taux annuel de 6,9 %, est en voie de devenir la préoccupation principale des travailleuses et travailleurs. La politique de hausse des taux d’intérêt de la Banque du Canada est qualifiée à juste titre par le syndicat pancanadien UNIFOR de « guerre de classe [4] car ce sont les classes populaires qui en paient le prix alors que les mégaentreprises (banques, pétrolières, pharmaceutiques, fonds d’investissement, hautes technologies) continuent de ramasser des profits pharaoniques.
Notre parti a avancé en campagne électorale plusieurs revendications touchant la protection du revenu par des mesures « indirectes » comme la protection des services publics, la baisse de taxes, le contrôle des loyers). Il s’agira maintenant en période d’inflation galopante d’appuyer et de populariser les luttes et les revendications qui touchent directement la protection du revenu des travailleuses et travailleurs, soit des hausses de salaire compensatoires et l’adoption de clauses d’indexation au coût de la vie ainsi que la hausse du salaire minimum et indexé au coût de la vie. [5] Les négociations du secteur public déjà en cours démontrent que ces questions seront à l’avant-plan des préoccupations ouvrières et syndicales dans la période qui s’ouvre devant nous.
B. La justice climatique est la bataille du siècle et elle touche directement le mouvement ouvrier et syndical. Si, d’une part, le concept de « transition juste » est repris largement dans le mouvement syndical québécois, il n’en reste pas moins que des interprétations différentes, voire contradictoires, s’y manifestent. Les directions cherchent à promouvoir une vision bonne-ententiste avec le patronat et le gouvernement au nom du « dialogue social » et du « développement soutenable » faisant du capitalisme vert le centre de la lutte pour la transition écologique et économique.
Mais nous voyons aussi une vision combative et radicale, qui met l’accent sur la mobilisation et la transformation sociale, s’articuler notamment chez le collectif intersyndical Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) et à travers les grèves climatiques de septembre dernier. Bien qu’elles soient concentrées pour le moment parmi les syndicats d’enseignant.e.s dans les cégeps et les universités, ces initiatives syndicales de la base militante recèlent un grand potentiel, car elles convergent avec les mobilisations de la jeunesse étudiante et du mouvement communautaire. Une initiative à suivre est la tentative de TJC et de plusieurs syndicats locaux d’enseignant.e.s d’inscrire des clauses environnementales dans les conventions collectives présentement en négociation dans le secteur public. La FNEEQ-CSN [6] est ouverte à cette possibilité, ce qui ouvrirait une brèche intéressante dans laquelle d’autres syndicats pourraient s’insérer. À suivre.
Nous sommes d’avis que cette vision radicale et transformatrice de la transition juste devrait être étayée par un programme de création d’emplois verts et popularisée par Québec solidaire. Non seulement cette vision correspond au programme de notre parti et a été réaffirmée par les deux conseils nationaux de l’automne 2020, mais elle fut aussi l’objet de conférences publiques tant de notre réseau que celui du Réseau militant écologiste (RMÉ) [7]. À notre avis, c’est la seule réponse au chantage de la CAQ et du patronat qui aiment jouer, comme nous l’avons vu dans le cas de la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, les emplois contre l’environnement.
C. Les négociations du secteur public constituent la principale lutte syndicale et ouvrière de la prochaine période. Plus de 550 000 salarié.e.s sont touchés par ces négos qui concernent en majorité des femmes, autant dire que cette bataille est d’une importance incontournable et stratégique pour le mouvement syndical et les classes populaires. Les (presque) trois ans de crise sanitaire ont épuisé les travailleuses et travailleurs de la santé et causé un stress énorme dans le secteur de l’éducation. Le ras-le-bol et la colère pourraient mener à des mouvements de lutte et des débrayages, comme nous le voyons en Ontario chez les travailleurs.euses de l’éducation, ce qui enclencherait inévitablement des mesures répressives de la part de la CAQ. Une importante leçon à retenir de l’exemple ontarien : la grève politique appuyée par la solidarité syndicale et populaire peut forcer un gouvernement répressif à retirer ses mesures antisyndicales.
Les négos du secteur public sont éminemment politiques et leurs acquis ou défaites se répercutent sur l’ensemble des classes populaires tant par leurs retombées économiques (salaires, conditions de travail) que proprement politiques (qualité des services publics, lois antigrèves, etc.). La CAQ est un gouvernement grandement antisyndical, mais néanmoins habile. Ses tactiques d’augmentations différenciées visant à jouer telle catégorie d’employé.e.s contre une autre, ou tel syndical contre un autre, peuvent créer la division. De même que sa nouvelle rengaine sur la récession imminente en 2023 pourrait chercher à retourner la population contre les employé.e.s du secteur public et leurs revendications décriées et exagérées en période de recul économique.
Quelques que soient les manoeuvres du gouvernement Legault, l’appui et la solidarité avec cette lutte devraient être au centre des préoccupations tant de l’aile parlementaire que du parti de la rue.
D. La lutte contre le racisme systémique et la xénophobie. Les tirades anti-immigrant.e.s de François Legault en période électorale ne sont pas une erreur de parcours. Elles sont le fruit d’une stratégie cynique, longtemps mûrie, et sciemment développée pendant son premier mandat avec les lois 21 et 96. Si l’objectif politique immédiat de ce nationalisme droitier et xénophobe est de renforcer le vote de la CAQ en dehors de Montréal et dans les circonscriptions majoritairement francophones, elles ont aussi comme effet de chercher à diviser les travailleurs.euses et enrayer les luttes populaires unifiées. Autant dire que combattre ce racisme est non seulement fondamental, mais également d’une importance stratégique pour les organisations syndicales et populaires. Cela peut prendre plusieurs formes qui permettent d’unir les travailleuses et travailleurs, quelles que soient leurs origines :
– régulariser les sans-papiers ;
– reconnaitre les diplômes et compétences acquis à l’étranger ;
– combattre le profilage racial ;
– activer la syndicalisation des entreprises où se retrouvent les travailleuses et travailleurs immigrants (syndicalisation multipatronale, sections syndicales sur une base géographique ou sectorielle, etc.).
Pour conclure, nous voulons que Québec solidaire devienne un parti des urnes et de la rue qui vise une transformation sociale fondamentale. Nous venons, lors des élections d’octobre, de jouer notre rôle de parti des urnes avec comme résultat que nous sommes la deuxième force politique au Québec. Cela est dû à notre travail acharné, mais aussi à l’effondrement des autres partis d’opposition. Si nous voulons faire un saut qualitatif dans la prochaine période, Québec solidaire doit devenir la principale force d’opposition politique et sociale, et cela en renforçant son alliance avec les mouvements sociaux et contribuer à les faire grandir. [8], particulièrement avec le mouvement ouvrier.
Pour cela, il sera également nécessaire d’investir des énergies dans la formation politique, à la fois sur l’analyse critique de la société, l’organisation politique et syndicale et les éléments centraux du programme du parti. Finalement, le succès de notre projet social, écologique et indépendantiste dépendra aussi de notre capacité à construire des alliances avec les classes ouvrières et populaires du Canada anglais.
Voilà pourquoi nous disons que les travailleuses et les travailleurs doivent être au centre des préoccupations du parti de gauche qu’est Québec solidaire.
Roger Rashi, Daryl Hubert et Flavie Achard
Pour le Réseau militant intersyndical – QS Montréal
Texte adopté lors d’une rencontre élargie du Réseau le 6 décembre 2022.
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