Tiré de Médiapart.
La voix de Fatima Boutaïbi est anxieuse à l’autre bout de la ligne. « On s’attend au pire », prévient-elle. Elle est gynécologue, mais dès les premières heures qui ont suivi le puissant séisme qui a frappé le Maroc, elle s’est rendue au centre hospitalo-universitaire Mohammed-VI de Marrakech.
Depuis qu’un séisme de magnitude 6,8 a frappé le Maroc, vendredi 8 septembre à 23 h 11, le Royaume retient son souffle. Le bilan officiel provisoire du ministère de l’intérieur fait état, dimanche matin, de 2 012 morts et 2 059 blessés, dont 1 404 en état grave, dans neuf provinces et préfectures.
Comme Fatima Boutaïbi, des médecins de toutes spécialités et des paramédicaux se mobilisent pour tenter de gérer le flux des blessés qui défilent en continu, en provenance des zones sinistrées. « Pour l’instant, on arrive à gérer, mais on risque fort de saturer dans les heures à venir », craint la médecin.
Le roi Mohammed VI a déclaré un deuil national de trois jours. Revenu en urgence d’un voyage privé en France, il a tenu une « séance de travail » cet après-midi au palais de Rabat pour examiner la situation avec, notamment, des membres du gouvernement, des corps d’armée, de la gendarmerie royale et de la protection civile. Le cabinet royal a annoncé une série de mesures d’urgence, comprenant une aide immédiate à celles et ceux qui ont perdu leurs logements, ainsi que la création d’une commission interministérielle dédiée à la reconstruction et la réhabilitation.
Dans la province d’Al-Haouz, où se trouve l’épicentre du séisme, on compte déjà 532 morts. L’Institut national de géophysique a notamment qualifié les « effets sur site » comme « effrayants » dans les petites villes d’Ijoukak et d’Amizmiz.
Le risque sismique est connu dans cette zone, mais les séismes les plus marquants de l’histoire du Royaume avaient frappé ailleurs jusqu’alors. Dans le sud du pays, à Agadir, en 1960, 12 000 personnes avaient perdu la vie. Plus récemment, sur la côte nord-est, à Al-Hoceima, un séisme avait causé 628 morts.
La province d’Al-Haouz a la particularité d’être composée à 74 % de chaînes montagneuses dont l’altitude culmine à environ 4 000 mètres, avec au plus haut sommet du Royaume : le Toubkal. La population, largement rurale, compte de nombreux micro-villages (« douars ») nichés entre les montagnes, accessibles par de sinueuses petites routes.
Les deux autres provinces les plus sinistrées, Taroudant (321 morts) et Chichaoua (103 morts), présentent la même configuration de villages enclavés, rendant l’accessibilité difficile aux secours. Sur les réseaux sociaux, les appels à l’aide se sont multipliés cette nuit, comme à Moulay Brahim, petit village de 3 000 habitants situé à seulement une heure et demie en voiture de l’épicentre.
Perché à 1 000 mètres d’altitude dans le Haut Atlas, les habitants ont dû commencer à déblayer avec leurs mains en attendant les secours. Dans une vidéo qui circule sur TikTok, un homme s’est filmé en criant : « Les gens se débrouillent avec leurs mains ! Nous n’avons reçu aucune aide. L’ambulance n’est pas encore arrivée ! Partagez cette vidéo, je vous en supplie. » Derrière lui, on voit des hommes fouiller les ruines à la lumière de torches ou de leurs flashs de téléphone.
Les témoignages de désolation ont inondé les réseaux sociaux, certains faisant état de familles entières ensevelies sous les décombres. Les aides devraient être renforcées sous peu, selon les dernières annonces du cabinet royal, qui veillera aussi à la distribution de kits alimentaires, à l’approvisionnement en eau potable et à la reprise rapide des services publics.
De nombreux chefs d’État se sont montrés prêts à apporter du secours, y compris le président algérien, qui a annoncé la réouverture de l’espace aérien, fermé depuis septembre 2021, aux vols transportant aides humanitaires et blessés. Emmanuel Macron s’est quant à lui dit « bouleversé » et a proposé l’aide de la France. Deux cellules ont été ouvertes : une par l’ambassade française au Maroc, l’autre par le centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à Paris.
L’aide humanitaire risque de devenir de plus en plus urgente. L’état-major général des Forces armées royales (FAR) avait déjà indiqué avoir reçu, dans la nuit, de « hautes instructions » pour déployer l’armée et des « moyens humains et logistiques importants, aériens et terrestres », ainsi que « des équipes de recherche et sauvetage ». Les équipes d’évacuation, qui réunissent pompiers, protection civile, ambulanciers, militaires, continuent à sortir des blessés de sous les décombres.
« Il va falloir préparer les hôpitaux de tout le pays, car si on sature, on va devoir transférer des patients dans d’autres villes », craint Fatima Boutaïbi. Au CHU de Marrakech, la situation est encore sous contrôle, pense-t-elle. L’hôpital a lui-même été touché par les secousses. Les patients ont été évacués jusqu’à 4 heures du matin en cas de récidive, à l’extérieur de l’hôpital.
Puis, tout le monde s’est mis sur le pied de guerre. « Normalement, selon le protocole, on doit ouvrir un trauma center, mais là, le nombre de victimes était tellement énorme qu’on a transformé tout l’espace de l’hôpital pour accueillir tous les types de traumatismes, explique Fatima Boutaïbi. Nous avons reçu jusqu’à 1 000 blessés pour l’instant. On fait un premier triage selon la gravité de la situation, puis on les dispatche, ou on les envoie au bloc. »
Stupeur dans les grandes villes du Royaume
À Marrakech, l’atmosphère habituellement festive du vendredi soir a laissé place à la terreur la nuit dernière. Amira, résidente d’une maison du quartier de Targa, raconte : « J’ai entendu mon chat hurler en même temps que le chien des voisins. Je n’ai même pas eu le temps de penser : tout a commencé à trembler. » Chez elle, les dégâts se sont limités à quelques petites fissures et de la vaisselle cassée. Comme de nombreux Marocains, Amira, ses parents et son chat sont restés dehors jusque tard dans la nuit, sans réseau et sans électricité, guettant une récidive. « Nous sommes restés sur le parking de la résidence, avec les voisins, jusqu’à 5 heures du matin. »
À 27 kilomètres de Marrakech, sur la route de l’Ourika, Christina, elle, dansait pour célébrer le mariage d’un couple d’amis, lorsqu’elle a senti la terre trembler. Elle détaille : « On avait l’impression d’être sur une estrade qui s’effondrait. C’était comme si la terre même glissait sous nos pieds. Et puis on a vu les arbres bouger, les verres, les chaises tomber. Tu réalises que quelque chose sur lequel tu n’as aucun contrôle est en train de se passer. »
Le tremblement de terre a été ressenti à une plus faible intensité dans plusieurs autres villes du Royaume, de Fès à Agadir, en passant par Rabat, même si peu de dégâts matériels y ont été observés. On compte tout de même cinq morts à Agadir, trois morts dans le Grand Casablanca, un à El-Jadida, et un à Youssoufia.
Sofia, Casablancaise, a d’abord cru entendre le vrombissement d’un train, avant de réaliser qu’il s’agissait d’un séisme. Sortie en bas de son immeuble, comme la plupart des voisins, elle a été marquée par la confusion générale qui régnait : « Personne ne savait trop quoi faire. Des informations contradictoires circulaient via WhatsApp : certains disaient qu’il n’y aurait plus rien, d’autres que ça secouerait encore entre 2 heures et 3 heures du matin… »
Après avoir guetté une réplique tardive, ou dormi à l’extérieur de leurs maisons, les citadins se sont dirigés en masse, dans la journée du samedi, vers les centres de don du sang. Ils étaient si nombreux dans certains centres, qu’ils ont fini par être refusés. Un élan de solidarité local, en attendant le feu vert des autorités pour que l’aide internationale puisse se déployer.
Camélia Echchihab
Boîte noire
Camélia Echchihab est journaliste indépendante, basée à Casablanca. Il s’agit de son premier article pour Mediapart. L’article publié samedi soir a été mis à jour dimanche matin avec le nouveau bilan du séisme communiqué par les autorités marocaines.
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