Édition du 18 juin 2024

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Économie

Lutter contre la dette, contre l’offensive patriarcale

En Janvier 2020 est paru le « Cahier de revendication communes sur la dette et la nécessité d’un réel contrôle citoyen sur la finance au niveau européen », coordonné par le CADTM. Ce document a été écrit de manière collective par les militant·e·s de près d’une quinzaine de collectifs et organisations à travers l’Europe. Il a été signé, en tout ou en partie, par 39 associations de 10 pays européens.

tiré de : CADTM infolettre , le 2021-03-09
8 mars par Ecologistas en acción , Chiara Filoni , Blanca Bayas , Camille Bruneau , Nicola Scherer

La sortie de ce cahier de revendication européen a été éclipsée par la crise sanitaire du coronavirus. En revanche, son contenu est plus que jamais d’actualité. En effet, vu les niveaux d’endettement public qui ont atteint de nouveaux sommets et vu les promesses faites par les gouvernements de nouvelles mesures d’austérités ; Vu l’opportunité saisie par le monde de la finance pour organiser en douce son sauvetage par les États et pour leur refiler les milliards d’euros de dettes sur lesquels il a spéculé ces dernières années ; Et vu l’ampleur grandissante de la crise économique et sociale en cours. Il est plus que jamais urgent de répondre au chantage de la dette et de se saisir collectivement de tous les secteurs qui relèvent du bien commun et de leurs moyens de financement. Or, c’est précisément l’objet des revendications faites dans ce Cahier de revendications.

Nous republions, dans le désordre et en fonction de l’actualité, chacun des chapitres de ce document.

En cette journée de lutte internationale pour les droits des femmes* et de grève féministe dans plusieurs pays, nous publions de nouveau le chapitre « Lutter contre la dette, au-delà des conséquences strictement économiques et financières – Contre l’offensive patriarcale ».

Nous appelons par ailleurs à soutenir et à rejoindre les différentes mobilisations organisées ce 8 mars 2020. (Pour la Belgique, la plupart des infos sont disponibles ici).

Contributrices : Ecologistas en acción (État espagnol), Camille Bruneau et Chiara Filoni (CADTM Belgique), Nicola Scherer et Blanca Bayas (Observatori del deute en la globalització - État espagnol)

Sommaire

En résumé

Revendications et alternatives

Le système économique capitaliste repose sur des mécanismes et des enjeux qu’il occulte, tels que la nature et les dégâts à l’environnement ou encore l’exploitation du travail rémunéré. Le capitalisme bénéficie en particulier de la sous-estimation et de l’invisibilisation du travail non rémunéré, notamment le travail de soin, qui est principalement pris en charge par les femmes [1].

C’est dans ce contexte capitaliste et patriarcal que s’inscrit le système de la dette : la dette a un impact très lourd sur les femmes et ne saurait être étudiée ou discutée sans tenir compte de la question du genre.

L’une des conséquences directes de la dette, par le biais des plans d’ajustement et des mesures d’austérité, est la poursuite de la flexibilisation du travail, qui suppose des salaires précaires pour un temps de travail croissant, une absence de protection des personnes qui travaillent et une extension du travail non rémunéré, qui vient compenser les coupes opérées dans les services publics. Les études critiques du genre montrent que ce sont précisément les femmes qui subissent le plus la détérioration imposée au nom du service de la dette.

La dette est un pilier essentiel et systémique du modèle capitaliste hétéropatriarcal blanc actuel, qui perpétue les privilèges d’une petite minorité. La dette permet de bâtir un monde où le travail et les activités des hommes sont plus valorisés que ceux des femmes, souvent réduits à l’invisibilité, alors qu’ils supportent le bien-être et la reproduction de la société.

Les pays endettés subissent des coupes et des ajustements structurels légitimés par le devoir moral et légal de payer son dû. Or, ces ajustements supposent :

 La destruction du droit du travail pour permettre une exploitation accrue de la main d’œuvre, une flexibilisation inéquitable des salaires, la précarisation des conditions de travail et l’approfondissement de l’écart salarial entre les hommes et les femmes ;

 Des diminutions drastiques des dépenses sociales, notamment dans les services publics de soin (santé, vieillesse, éducation, enfance). Les femmes subissent ces politiques à la fois en tant que travailleuses (elles constituent la majeure partie des employés de ces secteurs et doivent faire face à des journées de travail plus longues, des conditions toujours plus précaires, une insécurité accrue du travail) et en tant que bénéficiaires (les coupes dans les services de soin privent les femmes d’un accès aux services de base, pour elles-mêmes comme pour leur famille et conduisent à une augmentation du travail non rémunéré pour compenser). La dette conduit à la discrimination des femmes sur le marché du travail. L’austérité a également des conséquences sanitaires, comme la hausse du nombre de cancers du sein non détectés, de la mortalité infantile. Elle impacte également le droit des femmes à gérer leur propre corps ;

La logique capitaliste et néolibérale d’exploitation des corps comme des marchandises, combinée avec la pauvreté induite par la dette, tend à empirer l’exploitation des corps des femmes à travers, par exemple, le trafic sexuel subit ou la location de leur utérus. La même logique de marchandisation s’applique à la nature, accentuant par là la sur-exploitation des ressources.
Outre les enjeux liés à la classe sociale et au genre, la pauvreté et la précarité causées par la dette et l’austérité frappent particulièrement les personnes appartenant à des groupes déjà discriminés : les personnes LGBTQI+ et celles subissant des discriminations liées à leur religion et/ou leur groupe ethnique réel ou supposé.

Cela signifie que les femmes sont les principales créancières de la dette publique ! Par leur travail invisible, elles remplacent l’État qui se désengage des services fondamentaux comme le soin aux plus âgés et aux plus jeunes.

En résumé
Depuis les années 1970 et la deuxième vague du mouvement féministe, depuis 2018 et le nouveau souffle des mouvements féministes (en Espagne, en Amérique du Sud, en Italie, etc.), les organisations autonomes de femmes ont montré que la défense de leurs droits mettait en lumière leur indépendance et leur place dans la société. Elles ont montré que la domination masculine dans la sphère privée était étroitement liée aux relations de pouvoir patriarcales à l’œuvre dans la société et les influençait.

Les soins individuels et collectifs, ainsi que le travail reproductif doivent devenir visibles en tant que piliers de l’économie capitaliste et à ce titre doivent être estimés et redistribués.

Les femmes compensent par leur travail non rémunéré les coupes dans les dépenses publiques : elles sont donc les véritables créancières de la dette publique.

Nous devons exposer au grand jour le contrôle du corps des femmes par le patriarcat (limitation du droit à l’avortement dans certains pays, stérilisation forcée dans d’autres, maternité de substitution...) et la nécessité concomitante de faire appliquer les droits sexuels et reproductifs.

Revendications et alternatives

Il est nécessaire de reconnaître les effets cumulatifs de la dette et des mesures d’austérité, dont les conséquences sont plus difficiles pour les minorités et les groupes discriminés, notamment lorsque les facteurs de marginalisation s’ajoutent. L’intersection des oppressions fondées sur l’appartenance ethnique, le genre et la classe sociale rendent indispensable d’accorder une attention particulière à certaines populations comme les femmes migrantes ou les mères célibataires.

Il convient de permettre l’accès aux données nécessaires pour permettre un audit sectoriel des effets de la dette et des mesures d’austérité sur les droits des femmes.

Les politiques antisociales qui placent les femmes dans des situations toujours plus précaires, instables et de dépendance doivent cesser et être remplacées par des politiques qui permettent aux États de remplir leurs obligations sociales de base (scolarité publique gratuite, soins de santé abordables, salaires et pensions décents). La prestation de ces services de base est un prérequis à l’égalité de genre, notamment pour ce qui concerne les mères.

Il est nécessaire de reconnaître les apports du féminisme et de l’écoféminisme, notamment à l’économie, en ce qu’ils mettent la vie au cœur des réflexions, plutôt que le capital ou la dette. La reconnaissance de l’importance du travail reproductif et des liens entre l’exploitation de l’environnement et celle des femmes peut contribuer à garantir l’égalité entre les différents segments de la population et des conditions de vie décentes, souhaitées et compatibles avec la préservation de l’environnement.
Le remplacement d’une culture de la domination par un modèle fondé sur une économie féministe et solidaire, sur un sens de la communauté et de la démocratie sociale sans discrimination basée sur l’origine ethnique ou le genre, un monde qui repose sur l’aide mutuelle, le respect de l’indépendance et une vision écologique globale.

Il est nécessaire d’instaurer une éducation non sexiste et de sensibiliser dès l’école quant aux discriminations et aux violences à l’égard des femmes – et plus particulièrement à l’égard de certaines d’entre elles – ainsi qu’aux droits sexuels et reproductifs (tels que le droit à l’avortement) et aux droits des femmes en général dans toutes les sphères de la vie.

Nous devons mettre fin à l’orientation professionnelle et à la répartition du travail reproductif en fonction du sexe.

Chiara Filoni

Permanente au CADTM Belgique.

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