Il ne se trouve plus grand monde pour contester l’état de l’atmosphère détérioré par les gaz à effet de serre (GES) utilisés à grande échelle par les pays actuellement les plus développés. Voilà bien un siècle que cela dure. Notre civilisation est celle de la haute consommation d’énergie et singulièrement de source fossile : gaz naturel, pétrole, charbon qui produisent ces gaz. La diminution des GES est donc un enjeu crucial. En ce moment, ils augmentent toujours. Dans la foulée du protocole de Kyoto qui installait des objectifs mondiaux de réduction à atteindre il y a plus de dix ans maintenant. Il faut absolument trouver les moyens non seulement de poursuivre la réduction (ce qui n’a guère été appliqué) mais, de l’intensifier.
Deux modèles s’affrontent
Une bonne partie des populations et des écologistes, militent pour changer fondamentalement notre mode de production, s’éloigner de l’usage des énergies fossiles et en même temps permettre à tous et toutes d’atteindre des conditions de vie acceptables. Pour cela, on mise sur les énergies renouvelables et sur une agriculture moins intensive nécessitant moins d’eau, d’engrais chimiques, de pesticides et de machinerie. Ce mode de vie serait aussi beaucoup moins consumériste.
Mais d’autres prêchent pour que rien ne change fondamentalement, que seuls les moyens de maintenir notre actuel mode de vie en polluant un peu moins, entrent en ligne de compte. Ce sont les tenants d’une écologie de droite, qui n’est pas du tout hostile à la croissance. Elle mise sur la technologie, le libre choix et la liberté individuelle pour sortir l’humanité du problème climatique auquel elle est confrontée. « Bref, une écologie qui ne doit surtout pas faire peur au CAC 40 (bourse de Paris) ni remette en cause, sinon à la marge, les situations acquises et les modes de production et de consommation qui nous conduisent droit dans le mur. [1] » Elle compte aussi essentiellement sur les marchés pour parvenir aux résultats voulus.
Aussi, le protocole de Kyoto fait-il la part belle à ces marchés : il prévoit un marché mondial du carbone. L’Union européenne en a déjà mis un en marche et petit à petit, des bourses s’installent un peu partout dans le monde, y compris chez-nous. On s’attend à ce que le rythme et la vigueur de ce marché décolle vraiment lorsque la proposition de loi (Cap and Trade) qui est en discussion au gouvernement américain sera adoptée.
Les Nations unies, la Banque mondiale, l’OCDE soutiennent cette solution et toute une kyrielle d’entreprises privées, significativement celles qui sont de grosses productrices et consommatrices d’énergie de source fossile et de fonds d’investissement qui sont en train de se tourner de ce côté pour refaire leurs fonds dans la suite de la crise financière qui dure toujours.
Bases et fonctionnement du marché de la pollution
Les bases et la mécanique de ce marché ont été élaborées par une professeure de l’Université Columbia, Mme Chichilsky. Le concept donne un prix à l’atmosphère. Son hypothèse vertueuse veut que les bons comportements écologiques soient récompensés. Ainsi, réduire ses émissions de GES doit rapporter quelque chose. La conceptrice dit : « … s’appuyer aussi sur l’intérêt bien compris de chacun, (…) soit, arrêter le réchauffement sans qu’il en coûte un sou à l’économie globale ». À cela s’ajoute la commercialisation du retrait du CO2 déjà dans l’atmosphère. [2] On se sert de méthodes de calcul savantes pour établir le prix de la tonne de carbone. Il reste toutefois bien incertain et surtout très variable. L’instrument de ce marché est une bourse où l’on vend des permis de polluer au lieu d’actions ou obligations. Pour le moment ces bourses fonctionnent sur une base volontaire partout où les gouvernements n’ont pas encore établi de normes de pollution.
Car les bourses commenceront véritablement leurs opérations lorsque les gouvernements détermineront des plafonds d’émissions de GES. Les entreprises ou institutions qui dépassent ces maximums iront à la bourse acheter des crédits mis sur le marché par leurs collègues qui auront produit moins que ce qui leur est permis. Ils compensent ainsi leurs émissions qui toutefois restent bien réelles dans l’atmosphère. Mais il en coûtera d’émettre des gaz et ceux et celles qui auront réussi à ne pas atteindre leur plafond recevront ainsi une récompense en espèces sonnantes et trébuchantes. Il s’agit donc de l’achat de droits de polluer. « Ça ne change rien à la limitation des GES. » [3] C’est un mécanisme conçu pour faire fructifier des investissements. Le CO2 est devenu une précieuse monnaie d’échange au même titre que l’or ou le pétrole. [4]
La Banque mondiale évalue que ces échanges ont doublé en 2008. L’ Association des papetières du Québec parle d’un marché en pleine effervescence en Amérique du Nord. Elle tient la Western Climate Initiative pour la plus grosse compagnie de ce secteur. Elle est déjà engagée dans sept États américains et quatre provinces canadiennes.
C’est une première face des bourses du carbone. L’autre face du marché concerne le captage des GES déjà installés dans l’atmosphère. Un tel marché peut fonctionner, entre autre parce qu’il est démontré scientifiquement, que les GES s’installent dans l’atmosphère indépendamment de leur lieux de production et que les actions pour les en retirer n’ont pas à voir avec eux. Ainsi, les GES émis par l’extraction du pétrole des sables bitumineux en Alberta polluent tout autant l’Amérique du Sud et l’Afrique que le Canada. Donc, leur retrait ou leur captation peut se faire de n’importe où. Ces retraits compensent eux aussi pour les émissions actuelles. Cette constatation est d’une importance cruciale dans la vie du marché du carbone comme nous le verrons plus loin.
Un nouveau rôle et une nouvelle valeur pour les forets
Pour capter du carbone installé dans l’atmosphère, il faut avoir des lieux et des méthodes fonctionnels. On les appelle les puits de carbone. On a déjà entendu parler de l’enfouissement dans les couches profondes du sol ou de la mer. Le gouvernement Harper se tournerait vers ce genre de solutions.
Mais on sait depuis assez longtemps, que les arbres, les jeunes principalement, captent une quantité significative de GES au cours de leur croissance, par le seul effet de la photosynthèse. Les forets où qu’elles se trouvent, prennent ainsi une valeur inestimable et leur rôle change assez fondamentalement. Là aussi on se retrouve devant deux effets introduits par la pollution globale et le marché du carbone.
Le premier niveau d’intervention prôné et expérimenté par des écologistes est celui de la conservation active des forêts en luttant premièrement contre le déboisement. Dans les pays du Sud, les populations rurales déboisent soit pour assurer leurs besoins en combustible pour la préparation des aliments, soit pour agrandir leurs espaces de culture et ainsi assurer leur vie. Des compagnies déboisent aussi pour installer des cultures pour la fabrication de biocarburants. Les compagnies forestières tirent également un profit non négligeable de la coupe du bois et bien des communautés en vivent. Nous sommes au cœur de cette situation au Québec. Chez-nous, le gouvernement a aussi établi des normes d’espace pour épandre les lisiers. Les producteurs agricoles ont donc abattu une bonne partie de leurs boisés pour pouvoir poursuivre l’épandage, principalement dans le sud de la province.
Il est aussi établi que 20% des GES sont issus du déboisement, de la diminution de la taille des forêts sur la terre. Reboiser devient donc une nécessité. Pour cela les pays riches ont accepté de créer un fonds pour aider les pays de l’hémisphère sud à changer leurs pratiques et à développer d’autres méthodes de vie et de culture pour ne plus avoir à déboiser. Certains efforts ont été faits mais largement au-dessous des besoins. On ne change pas des méthodes ancestrales du jour au lendemain d’autant que l’argent promis n’a pas suivi comme d’habitude. Et la production des biocarburants a du vent dans les voiles.
Des projets de lutte contre le déboisement ont été mis en place depuis les années quatre vingt par des ONG impliquées dans la conservation de la nature. Nature Conservancy en a piloté au Pérou, en Californie, qui ont aussi servi à mettre en place les méthodes de calcul de la quantité de carbone séquestré dans les arbres et donc dans les forets [5]. Chez-nous, l’environnementaliste Claude Villeneuve a démarré un projet de boisement d’une partie des terres boréales au nord de Chicoutimi. Avec l’Université du Québec à Chicoutimi et ses supporters, il espère boiser de un à deux millions d’hectares de ces terres dépourvues d’arbres en ce moment. Une association sans but lucratif a été créée à cette fin.
Mais les entrepreneurs des pays développés ont vite vu l’opportunité qui s’offrait à eux. À commencer par Google qui a créé un instrument de surveillance des forets pour y détecter toute opération de déforestation.
D’autres ont carrément acheté des forets immenses dans l’hémisphère sud pour des fins de conservation mais aussi pour pouvoir ainsi compenser leurs émissions. Il y a déjà quelques années on a appris qu’au moins une grande fondation privée américaine avait ainsi acheté en Amérique du Sud une forêt tropicale immense pour la conservation. Aucune autre vie qu’animale et végétale ne doit y passer. Récemment, on apprenait que Général Motors avait acheté une forêt au Brésil pour pouvoir compenser ses émissions de carbone. [6] En Ouganda, une transaction entre un organisme, la Fondation des forêts absorbant des émissions de dioxyde de carbone, et une ONG néerlandaise qui a joué le rôle d’intermédiaire entre elle et une entreprise des Pays Bas qui veut compenser ses émissions de GES, [7]a pris en charge l’agrandissement d’un parc national qui est ainsi devenu un lieu privé.
Dans cet engouement pour les forêts comme puits de carbone, des opérations de reboisement sont aussi introduites par la plantation d’arbres d’une seule espèce. Dans ces cas, les arbres serviront aussi à la production de papier, d’huile ou de biocarburants. C’est le cas en Indonésie par exemple.
Le sort des populations dans ces opérations
Il est courant, dans l’hémisphère sud que les forêts soient habitées et souvent depuis des millénaires. Des groupes humains vivent dans et des forêts tropicales ou à leurs marges. Ils ne sont pas considérés, la plupart du temps comme de véritables propriétaires et rares sont ceux et celles qui peuvent exhiber des titres de propriétés même après autant de temps à occuper les lieux. La plupart du temps, ces forêts sont donc dans le domaine public. Ce sont les gouvernements qui sont appelés à entrer en négociation avec les entreprises intéressées à les acheter. Et les transactions se passent bel et bien.
Il s’effectue donc une pression sur les droits à la terre et de nouveaux risques adviennent à des populations qui n’ont pas les moyens d’y faire face. Les terres leur sont confisquées et elles sont souvent chassées de leurs territoires ancestraux. [8] Pour s’assurer qu’il n’y aura plus de vie humaine sur leurs territoires, les nouveaux propriétaires privés organisent des patrouilles armées très vigilantes. Parfois, suite aux ententes, les gouvernements fournissent cette police verte qui ne fait pas toujours dans la dentelle. C’est le cas au Brésil où les populations déplacées craignent au plus haut point cette police verte. En Ouganda, « des populations indigènes ont été déplacées des alentours du Mont Elgon pour ouvrir la voie à des projets de plantation d’arbres (…) sur vingt cinq mille hectares pour absorber le dioxyde de carbone (,,,,) en compensation des émissions d’une centrale thermique des Pays-Bas. [9] » Ces personnes vivent maintenant comme des squatters puisqu’ils ont retraité devant des gardes forestiers armés. Les Ojiek du Kenya ont aussi été déplacés dans de mêmes circonstances. [10]
Dans la lutte des populations indigènes péruviennes qui ont affronté les compagnies privées minières et leur gouvernement, il y avait aussi une protestation contre les projets de plantations d’arbres en monoculture pour des fins de production d’énergie non fossile. [11]
Certains projets prennent en compte la vie locale et font des efforts pour inclure les populations dans leur développement. Ce sont le plus souvent des projets comportant des volets de recherche scientifique qui tentent de rendre désirable et bénéfique très localement la conservation des forêts. Mais lorsqu’il s’agit de l’appropriation des terres et de leur contenu par des entreprises qui ne cherchent qu’à « sécuriser un niveau élevé de consommation de combustibles fossiles…. [12] » la vie humaine a peu de prix. Sûrement pas autant que les arbres ainsi achetés.
Ce sont aussi toutes les inégalités Nord-Sud qui apparaissent dans cette nouvelle situation. Les pollueurs sont au nord et se servent du sud pour maintenir leurs avantages dans les échanges une fois de plus. Lors de la dernière réunion de préparation de la conférence de Copenhague, les représentants des pays pauvres ont claqué la porte dans un premier temps. Ils venaient de constater qu’on leur proposait qu’une partie de l’engagement d’aide internationale en leur faveur soit obligatoirement affectée à la lutte contre le réchauffement. Quant on sait que les promesses d’aide ne sont jamais tenues….Ils ont reçu cette proposition comme une insulte.
Autres effets pervers
Sur le plan écologique, il faut aussi considérer que ces nouvelles forêts, souvent constituées d’une seule variété d’arbres, sont en contradiction avec la diversité biologique. En plus, les bourses du carbone ne s’attaquent qu’à un seul polluant le CO2. Tous les autres qui polluent autant et parfois plus que carbone, ne sont pas pris en compte.
La formule ne fait rien non plus pour remettre en cause notre mode de vie énergivore. Au fur et à mesure que les prix des permis d’émission augmenteront sur le marché, la facture sera inévitablement refilée aux consommateurs-trices. Ici aussi, les inégalités présentes dans les populations du nord se révèlent. Le discours sur nécessité de réduire notre consommation passe mal auprès des chômeurs-euses, des pauvres de toutes catégories dans nos sociétés. « La lutte contre les inégalités n’est pas seulement un enjeu nord-sud mais concerne tout autant nos sociétés riches, car elle est la condition de l’acceptation par tous d’une société plus économe en ressources. » [13]
Conclusion
Il ne faut jamais perdre de vue que dans notre monde capitaliste, dominé par les entreprises privées, la course aux profits est toujours à l’ordre du jour. La classe oligarchique financière, comme la nomme Hervé Kempf, qui vit notamment du système industriel et financier de production installé depuis le milieu du 18ième siècle , n’est pas prête à lâcher le morceau. On connaît son habileté à s’emparer de toutes les opportunités non seulement pour faire de l’argent mais pour faire durer au-delà du viable ses vieilles recettes pour tenter d’en faire toujours plus. Sans égard pour les effets collatéraux.
Et, indépendamment de notre volonté personnelle, nous sommes parties prenante de ce système. Dans nos sociétés, pour le peu que nous travaillons, nous avons des épargnes et contribuons souvent à des fonds de pension. Bientôt nous ferons face à l’avalanche de publicité pour les investissements dans les RÉER. Cet argent ira dans des fonds mutuels de placement qui eux investiront dans le genre de développement dont il est question ici. Certains se rabattent sur les placements dits éthiques. C’est une solution qui a ses limites.
Il faut continuer à développer d’autres rapports avec les populations vulnérables de la terre. En commençant par nos propres concitoyenNEs amérindienNEs. Il faut continuer la lutte pour en terminer avec les règles qui créent toujours plus d’inégalité, toujours plus de misère.