Édition du 19 novembre 2024

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Les États-Unis entrent en guerre contre l’Etat islamique mais les questions demeurent

Barack Obama a détaillé, dans la nuit de mercredi à jeudi, sa stratégie de lutte contre l’État islamique. L’intervention américaine va s’intensifier, notamment en Syrie, et les États-Unis comptent sur l’appui d’une large coalition internationale, dont la France. La durée de cette intervention et les résultats escomptés sont cependant encore flous.

10 septembre 2014 | tiré de mediapart. fr

Barack Obama avait déjà prévenu : il veut « détruire » l’État islamique. Ce qu’il s’est efforcé d’expliquer, lors d’une intervention mercredi 10 septembre faite depuis la Maison Blanche, c’est comment il compte s’y prendre concrètement.

Dans les grandes lignes, cette intervention a confirmé ce qui était déjà connu. L’administration Obama tente d’une part de mobiliser une grande coalition internationale afin de lutter sur plusieurs fronts contre l’expansion de l’État Islamique (EI) en Irak et au Proche-Orient. Elle compte d’autre part intensifier ses frappes contre les militants de l’EI en menant des bombardements en Irak mais aussi en visant la Syrie. Il reste toutefois exclu d’envoyer des soldats américains en Irak ou en Syrie. « No boots on the ground », « pas de troupes au sol », répètent Barack Obama et le secrétaire d’État John Kerry, qualifiant cette possibilité de « ligne rouge » pour les États-Unis.

« Nous traquerons les terroristes qui menacent notre pays, où qu’ils soient (…) nous n’hésiterons pas à agir contre l’Etat islamique en Syrie, comme en Irak », a affirmé le président, mercredi, précisant que les djihadistes ne pourront compter sur aucun « refuge ». Barack Obama a exclu toute coopération avec Bachar Al-Assad en Syrie : « Un régime qui terrorise son peuple et qui ne regagnera jamais la légitimité perdue ». Il a annoncé son objectif de renforcer l’opposition face aux djihadistes « tout en recherchant une solution politique pour régler la crise syrienne une fois pour toutes ».

La stratégie américaine s’est précisée ces dix derniers jours, suite à l’exécution filmée de deux journalistes américains. James Foley fut décapité par des militants de l’État islamique le 19 août, et Steven Sotloff a subi le même sort le 2 septembre. Face à cette surenchère de violence macabre, Barack Obama a d’abord réagi en affirmant que cette « violence barbare » n’intimiderait pas les Américains, mais il s’est toutefois montré prudent sur la manière dont les États-Unis pouvaient réagir.

Fin août, il déclarait ainsi lors de sa conférence de presse qu’il ne voulait pas « mettre la charrue avant les bœufs » et que son administration n’avait « pas encore de stratégie » pour lutter contre l’EI. Cette phrase fut immédiatement reprise et commentée, considérée par les uns comme une erreur de communication, par les autres comme un aveu de faiblesse.

Depuis, Barack Obama a donc durci le ton. Dimanche dernier, lors d’un entretien sur la chaîne NBC, il déclarait : « Nous allons systématiquement dégrader leur capacités, nous allons réduire la taille des territoires qu’ils contrôlent, et nous allons finalement les vaincre. » Son administration cherche aujourd’hui à présenter l’image d’un gouvernement déterminé et puissant, capable de mobiliser une coalition internationale contre l’État islamique. En décalage avec une posture de retrait des affaires internationales affichée ou du moins souhaitée par Barack Obama depuis plusieurs années, les États-Unis se posent désormais en leader, avec l’objectif de défaire une mouvance terroriste dont ils sous-estimaient pourtant totalement la portée il y a encore six mois.

Il n’est pas inutile de s’arrêter sur le contexte politique américain pour comprendre ce repositionnement et de mentionner le ton guerrier dont use le camp républicain depuis août. Celui-ci ne s’est pas privé de critiquer la prudence voire les hésitations d’Obama. Des élus républicains ont présenté l’État islamique comme la menace ultime à laquelle font face les États-Unis et prôné une action militaire d’ampleur pour détruire la mouvance, en entrant cependant rarement dans le détail d’une telle opération.

Le sénateur de Caroline du Sud Lindsay Graham a expliqué sur la chaîne conservatrice Fox News qu’il imaginait « déjà une ville américaine en flammes » à cause de l’EI. Le sénateur du Kentucky Rand Paul, de tendance libertarienne – donc plutôt enclin à adopter une posture isolationniste –, a déclaré que s’il était président, il demanderait l’autorisation du Congrès « de détruire militairement l’EI ». Ted Cruz, élu du Texas, a estimé que l’EI « se moque des États-Unis » et qu’il fallait les bombarder « jusqu’à ce qu’ils reviennent à l’âge de pierre ».

Ces discours se multiplient alors même que de nombreux experts ont souligné que l’EI présentait avant tout une menace pour l’Irak et la région. Le National counterterrorism center – créé aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001 afin d’évaluer les menaces terroristes – a souligné que les États-Unis n’avaient pour l’instant détecté la présence d’aucun combattant étranger ni de cellule de l’EI sur le sol américain (sur le modèle d’Al-Qaïda avant les attaques du 11 Septembre).

Le chercheur Paul R. Pillar, expert en questions de sécurité à l’université de Georgetown précise : « L’EI a recours à la force pour essayer d’établir un califat au Moyen-Orient. Planifier des attaques aux États-Unis ne fait pour l’instant pas partie de leur stratégie à long terme, comme c’était le cas avec Al-Qaïda. Aujourd’hui, ils ne menacent que les intérêts américains au Moyen-Orient, notamment en prenant en otage des citoyens américains et en les assassinant. »

Toujours est-il que ces exécutions ainsi que les commentaires alarmistes d’élus ont comme premières conséquences de choquer et d’inquiéter l’opinion. Alors que les sondages des derniers mois indiquaient que les Américains ne souhaitaient pas que leurs dirigeants s’investissent dans les crises à l’étranger (notamment en Syrie), ils sont cette fois-ci une majorité à vouloir que Barack Obama en fasse plus et une majorité à soutenir des frappes contre l’EI en Syrie.

C’est ce que nous apprend le sondage 3 réalisé par le Washington Post et la chaîne ABC News, publié mardi. Interrogés sur la réaction des États-Unis face aux avancées de l’EI, une majorité des sondés estiment qu’Obama a été jusque là trop prudent. 91 % des sondés voient l’EI comme « une menace aux intérêts vitaux des États-Unis ». 71 % des sondés soutiennent des frappes contre les militants de l’EI et 65 % sont pour que ces frappes soient élargies à la Syrie.

Voilà donc les États-Unis prêts à muscler leur intervention dans la région, et Barack Obama, pourtant élu en promettant que les troupes américaines quitteraient l’Irak une bonne fois pour toutes, à la tête de toutes nouvelles opérations militaires. Que prévoient les États-Unis, et qu’attendre de cette stratégie de lutte contre l’EI ?

La principale nouveauté est que Barack Obama est prêt à déclencher des frappes contre l’EI en Syrie, où des drones de surveillance ont déjà été déployés. Et ce, sans attendre un vote du Congrès sur le sujet. Cela indique un véritable changement d’optique puisque, l’année dernière, après des semaines de tergiversations autour d’une possible intervention américaine dans la guerre civile syrienne, contre Bachar al-Assad, Barack Obama avait finalement annoncé qu’il demanderait au Congrès de se prononcer. Il bottait ainsi en touche : le Congrès n’a jamais voté, et les frappes n’ont pas été déclenchées.

Ces bombardements viendraient s’ajouter aux frappes en Irak qui ont commencé le 8 août, à la demande des autorités irakiennes. Ces dernières ont été justifiées aux États-Unis comme devant permettre de protéger le personnel consulaire américain sur place, d’appuyer l’aide humanitaire aux populations yazidis en danger au nord du pays et de défendre des zones stratégiques, notamment deux barrages.

Cependant, les frappes en Syrie ne semblent pas prévues de manière imminente, et de nombreuses zones d’ombre demeurent autour de ces bombardements. Comme l’écrit le comité éditorial 3 du New York Times, mardi, Barack Obama doit encore détailler certains points : « En quoi ces frappes s’inscrivent dans une stratégie plus large contre l’EI ? En quoi elles peuvent être efficaces, comment peuvent-elles être menées sans finalement bénéficier à Bachar al-Assad ? Comment les États-Unis peuvent éviter de s’enfoncer dans un autre bourbier militaire ? » s’interroge le quotidien.

Ces questions font d’ailleurs écho aux réserves émises par François Hollande, lors du sommet de l’OTAN qui s’est tenu au Pays de Galles la semaine dernière. Il a indiqué que la France était prête à participer à une coalition, mais il a souligné la difficulté d’engager une action militaire contre l’EI en Syrie, en notant que celle-ci pourrait profiter à Bachar al-Assad et que ce dernier ne pouvait être un partenaire de lutte contre l’EI.

C’est finalement la question de la forme et de l’engagement de la fameuse coalition internationale que souhaite rassembler Barack Obama qui se pose. Qui va y participer, tant parmi les pays occidentaux qu’au Moyen-Orient, et de quelle manière ? Cette coalition peut-elle atteindre les objectifs énoncés par les Américains, et d’ici combien de temps ?

Si l’on s’en tient aux déclarations du secrétaire d’État John Kerry et du secrétaire à la défense Chuck Hagel, suite au sommet de l’OTAN qui s’est tenu la semaine dernière, ces objectifs sont nombreux et ambitieux, à la fois militaires, politiques et diplomatiques. Il s’agit de soutenir le nouveau gouvernement irakien dirigé par le chiite Haïdar al-Abadi, en tablant sur un gouvernement désormais capable d’inclure les différents groupes religieux irakiens et de commencer à ramener un peu de stabilité dans le pays. Une aide additionnelle à l’équipement et à l’entraînement des forces armées irakiennes n’est pas exclue par les Américains.

L’administration Obama compte encore lutter contre le flux de combattants étrangers qui rejoignent l’EI, contre le financement de la mouvance terroriste, s’occuper de la crise humanitaire dans la région, et identifier des groupes locaux qui pourraient être formés voire armés afin de faire barrage à l’EI.

Pour ce faire, elle compte sur l’aide de pays occidentaux, d’où la rencontre entre John Kerry, Chuck Hagel et une dizaine de membres de l’alliance atlantique, en marge du sommet de l’OTAN. Ont participé à cette réunion les ministres des affaires étrangères du Royaume-Uni, de la France, d’Allemagne, d’Italie, du Danemark, de Turquie, de Pologne, du Canada et d’Australie. Mais l’administration américaine compte aussi sur les efforts de pays du Moyen-Orient, notamment d’États à majorité sunnite, tels que la Turquie, la Jordanie, les Émirats arabes, l’Arabie saoudite.

Ces jours-ci, John Kerry et Chuck Hagel sont donc en visite dans la région. Ce dernier s’est déjà entretenu avec les autorités turques mardi, sans que cela ne soit suivi d’annonce concrète. Dimanche, des ministres des affaires étrangères de pays appartenant à la Ligue arabe ont quant à eux annoncé qu’ils allaient prendre des mesures pour lutter contre l’EI, mais ils n’ont pris aucun engagement ferme. John Kerry se rendra pour sa part en Arabie saoudite, d’ici la fin de la semaine.

Comme le souligne le comité éditorial du New York Times : « Tous ces pays peuvent participer de nombreuses façons, notamment en fermant les canaux de financement de l’EI, en fermant la frontière turque aux armes et aux combattants de l’EI, en encourageant les tribus sunnites à travailler avec le gouvernement chiite de Bagdad, en partageant des renseignements avec les membres de la coalition. Mais il y aussi beaucoup de complications et d’obstacles à une collaboration entre des pays très disparates, ne serait-ce que la crainte qu’a la Turquie de voir l’EI tuer les 49 diplomates turcs retenus en otages par les militants. »

Les interrogations et incertitudes quant à l’efficacité de la stratégie défendue par les Américains afin de combattre l’EI sont donc nombreuses. Et ce nouvel épisode d’interventionnisme américain n’est pas sans provoquer d’inquiétudes aux États-Unis. « Cela ne va-t-il faire le jeu de l’État islamique, enflammer un peu plus la situation, et attirer de nouvelles recrues vers la mouvance djihadiste ? » s’inquiète ainsi le journaliste Tom Engelhardt (ici 3), auteur du blog réputé Tom Dispatch 3. Barack Obama semble prêt à prendre le risque et compte se montrer assez convaincant pour que les États-Unis ne s’engagent surtout pas seuls dans ce combat contre l’EI.

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