De nouvelles stratégies de lutte [1]
Dans le secteur de l’enseignement collégial, un élément intéressant de la lutte contre la hausse des frais de scolarité est la création d’un réseau de coordination indépendant des syndicats sur le plan organisationnel et le plan politique. Ce réseau Profs contre la hausse, qui regroupe des dizaines d’enseignantes et des enseignants de plusieurs cégeps et universités sur une base individuelle.
Les syndicats locaux, la fédération nationale des enseignantes et enseignants (FNEEQ) et les centrales nationales (CSN, CSQ, FTQ) se sont assez tôt prononcées contre la hausse des frais de scolarité et même en support de la lutte étudiante. Ces positions ont d’une part encouragé les initiatives locales et d’autre part permis un soutien organisationnel et politique aux associations étudiantes dans plusieurs occasions. Néanmoins, des enseignant.es ont ressenti le besoin de s’organiser sur une autre base afin de s’engager plus directement aux côté des étudiant.es en lutte.
Cette indépendance a permis a Profs contre la hausse d’aller au-delà des positions des organisations syndicales et par exemple d’appuyer ouvertement le mouvement de grève, alors que les positions strictes du monde syndical se limitaient à un refus de la hausse des frais de scolarité et à un appui du mouvement étudiant, mais sans avoir une position explicite pour la grève étudiante.
Ce type d’organisation a aussi permis d’ouvrir une importante brèche médiatique en diffusant un discours articulé contre la hausse, pour la grève et contre la répression. En effet, la dynamique des médias limite les possibilités d’interventions et la légitimité des appareils syndicaux et est beaucoup plus perméable aux témoignages « des vrais profs » et à celle des organisations « citoyennes » et extra-syndicales.
Quelles perspectives pour une grève sociale ?
L’appui des syndicats aux revendications étudiantes et à leur mouvement a dans plusieurs instances été résolu avant le début de la grève, dans le Québec pré-Printemps Érable ; mais il est loin d’être acquis que les syndicats de base et les appareils fédératifs et nationaux auraient alors appuyé la grève étudiante. Encore aujourd’hui il demeure incertain que les membres appuieraient majoritairement une grève étudiante – sans doute en partie en raison des résonnances inquiétantes que cet appui aurait sur la question d’une grève syndicale.
Le mot de grève sociale, incluant celui d’une grève syndicale, court depuis quelques semaines dans le mouvement de lutte contre la hausse des frais de scolarité. Des observateurs ont fait remarquer que des mandats et des interventions aux plus hautes instances de la CSN ont pourtant récemment été pris et faits en ce sensi. Alors qu’en est-il ?
La réponse reçue lorsque la question à été posée sur le plancher du regroupement FNEEQ tient en 3 points, qui sont à mon avis des réponses sérieuses qu’il faut aborder dans le même esprit :
1. Les sanctions encourues sont extrêmement lourdes.
Plusieur.es ont encore à l’esprit les sanctions de 1000$ d’amendes par jour ainsi que la perte d’une année d’ancienneté par jour de grève (donc de 1000$ supplémentaire, à chaque année pour le reste de sa carrière) qui ont littéralement cassé le mouvement syndical lors de la lutte contre les coupures budgétaires de 20% dans la fonction publique, coupures et sanctions imposées par un PQ qui en 1982 charroyait encore une bonne part des aspirations et de la combativité progressiste du Québec. Cet épisode, qui a provoqué des tensions énorme entre les syndiqué.es et l’État et entre les membres même, garde le caractère d’un véritable traumatisme syndical.
2. La situation est très différente d’un cégep à l’autre. Or une grève est ordinairement coordonnée et faite en « réseau ».
En effet, la situation est très distincte entre un cégep où il n’y a pas eu de grève étudiante, et un autre où elle perdure depuis 10 semaines. De plus certains syndicats ont perdu l’accès à leurs bureaux et infrastructure logistique, ce qui rend difficile la prise en charge d’une grève sur le plan local. C’est une difficulté véritable, qui n’est pas absolument sans réponse mais à laquelle il faut réfléchir.
3. De tels votes sont très sérieux et traumatisants lorsqu’ils se perdent. Nos membres ne sont pas prêt.es à cela.
C’est possible, mais n’est-ce pas aux membres d’en décider ? Ici intervient la délicate question de l’articulation entre leadership politique et représentativité des élu.es.
Selon moi, le mouvement syndical doit tirer des leçons de l’absence d’un mouvement vers la grève sociale lors du printemps érable, mais aussi du cul-de-sac dans lequel le mouvement de grève sociale a été projeté en 2004 [2]. Un tel moyen de pression peut difficilement être envisagé sans le développement de toute une série de mobilisations intermédiaires dans le cadre d’une escalade des moyens de pression, en tenant compte du rapport de force et de l’état de conscience des membres. Une vaste campagne de sensibilisation du million de syndiqué.es du Québec sur les enjeux de la grève étudiante et la perspective d’un prolongement de cette lutte dans une grève sociale, dans un contexte de lutte contre la tarification et la privatisation, aurait dû être envisagée dès l’automne.
Vers une application du principe de non-recommandation dans les pratiques syndicales ?
À ce propos, un élément nouveau et selon moi important du conflit étudiant est la mise en œuvre du « principe de non-recommandation des résultats de négociations ». Cette pratique, par laquelle les résultats des négociations entre le gouvernement et les représentant.es étudiants sont présentés plutôt que recommandés à leur membres, tranche tout à fait avec les pratiques en vogue dans le mouvement syndical, dans lequel le principe de la recommandation des ententes par les directions n’est pas largement contesté ni même discuté.
Considérons les dernières négociations du secteur public. Celles-ci se sont conclues par le dévoilement aux membres d’une entente de principe présentée par des directions qui leur recommandait de l’accepter, compte tenu qu’il serait difficile - voir impossible - d’obtenir plus et qui de plus, selon toute vraisemblance, allait aussi recevoir, dans les semaines à venir, l’approbation des autres syndicats du Front commun. La lutte, nous disait-on, n’est tout simplement pas au rendez-vous.
Il n’est pas difficile de voir que cette façon de faire n’est pas très propice à stimuler l’activité de secteurs plus combatifs du mouvement syndical qui pourraient initialement se trouver isolés mais qui pourraient peut-être aussi entraîner les autres dans la bataille. Il est évident que l’état d’esprit des troupes doit être pris en compte avant de se lancer dans des moyens de pressions, mais l’attribution aux membres eux-mêmes de la responsabilité de juger sans influence d’une offre qui, au bout du compte, leur est faite à eux et elles, ne devrait-elle pas être envisagée ?
De Profs contre la hausse à Profs pour la grève sociale ?
Un des intérêts d’un regroupement comme celui de Profs contre la hausse, qui regroupe sur une base individuelle des enseignantes et des enseignants de tout le réseau collégial et même universitaire, est d’être fort souple et rapide en comparaison avec les instances syndicales. Les Profs contre la hausse se retrouvent ainsi, par exemple, en position d’initier des consultations et des actions syndicales à partir de la base dans une portion significative du réseau. Des enseignantes et des enseignants pourraient ainsi convenir d’actions ou de propositions à porter dans leurs assemblées syndicales locales, évitant que les directions n’aient à porter le poids de décisions politiques difficiles voire stigmatisantes.
Ce modèle d’action pourrait peut-être aussi se voir importé dans d’autres secteurs que celui de l’éducation, par exemple dans le réseau de la santé où des infirmières et des infirmiers font déjà du travail de secouristes lors des manifestations étudiantes.