Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le front commun n'aura pas lieu : réponse au camarade Alain Savard du Front d'Action Socialiste

Ce texte est une réponse au texte ’’Proposition préliminaire pour un front social en 2015’’ [1]. Tout d’abord nous voulons saluer l’intention du camarade Savard et des membres d’Offensive syndicale de ramener la combativité dans le camp prolétarien et d’éviter les désastres des négociations du secteur public de 2010 et de 2005, ainsi que son rappel de la nécessité d’avoir une lutte contrôlée par la base, par-delà les divisions syndicales.

Cependant, nous devons déchanter face à la proposition principale de ’’front social’’. En effet, les militants communistes que nous sommes ont sourcillé de voir que toute perspective révolutionnaire, c’est à dire de proposition de rupture claire avec l’ordre bourgeois, était complètement absente de ce texte ! Ce texte est platement réformiste et pétri de bureaucratisme.

En effet, le camarade Savard ne parle presque pas des questions fondamentales du front commun, comme de toute lutte prolétarienne : l’organisation autonome de la classe ouvrière contre la bureaucratie et le patronat, l’extension de la lutte à d’autres secteurs et, le plus important, comment faire émerger la conscience révolutionnaire chez les travailleuses et les travailleurs qui participeront à la lutte.

Sa proposition ne consiste qu’en une série de mesures keynésiennes qui, si elles sont adoptées, devraient permettre de réaliser l’unité de la bureaucratie syndicale, communautaire, et des directions du mouvement étudiant. Ce ’’front social’’ est hautement problématique, cela est dû en grande partie aux fausses prémisses du camarade Savard.

Le fétichisme du ’’syndicalisme de combat’’.

’’ Le syndicalisme fait de la lutte économique un choix, un horizon voulu et conçu comme indépassable, se suffisant à lui-même. C’est cela qui doit être attaqué. Le syndicalisme est l’une des idéologies les plus pernicieuses pour la perspective révolutionnaire’’ -Mouvement communiste [2] 2

La première prémisse, celle qui tient l’ensemble de l’idéologie du regroupement de syndicalistes qu’est Offensive syndicale, est de croire qu’il est possible pour les travailleurs et les travailleuses de se réapproprier les structures de contrôle que sont les syndicats. Croire que des structures dont la moindre activité est régie par la légalité capitaliste, où les appareils bureaucratiques ont la vaste majorité du pouvoir, puissent être refondues en organisation de combat pour la classe ouvrière, tient du fantasme pur et simple.

Une critique en profondeur du syndicalisme sous toutes ses formes est nécessaire, une critique qui ne se limite pas à critiquer la bureaucratie et les permanences. La critique des syndicats commence par une analyse historique de ces derniers. Il existe une constance dans l’histoire syndicale, à savoir que trois critères déterminent généralement la combativité d’un syndicat : son aspect minoritaire, sa ’’jeunesse’’ et l’influence que des organisations politiques ont sur lui. Leur combativité est d’ailleurs souvent plus une manière d’acquérir une base de cotisant assez importante plutôt que de vraiment défendre les intérêts du prolétariat. C’est vrai du CIO et la CSN, combatif à leurs débuts, avec forte influence de militants et de militantes se réclamant du marxisme et étant en minorité face à un mouvement syndical affairiste. C’est vrai aujourd’hui pour SUD et la FAE qui, certes évoluant dans des contextes différents, répondent au même schéma dans le présent.

Ensuite la fonction syndicale est réformiste par nature. Même les syndicats avec des prétentions révolutionnaires les plus marqués n’ont jamais été à la hauteur de la tâche. La plus grande section des IWW (local huit, travailleurs du Port de Philadelphie) [3] a soutenu la Première guerre mondiale en 1917 et collaboré à l’intervention américaine contre les soviets en Russie. La CNT espagnole a servi le prolétariat espagnol sur un plateau d’argent à la bourgeoisie démocrate et à la bureaucratie de Moscou [4]3.

La nature même du syndicat, organisme cherchant à regrouper le plus grand nombre de prolétaires, nuit de facto à leur clarté programmatique et à leur capacité de bien analyser la situation. Pour maintenir sa fonction de ’’front uni de masse’’ le syndicat doit se faire l’agent du compromis constant avec l’idéologie capitaliste, se vautrer dans l’activisme, les attitudes anti-théoriques et est obligé, par essence, en période de crise, d’adopter une posture défensive. Si notre prémisse est que les conditions matérielles déterminent la conscience des êtres humains, le système capitaliste ne peut que générer des personnes qui ont des idées en accord avec ce système. Ce n’est qu’à des moments où les contradictions du capitalisme sont poussées à l’extrême qu’une majorité des prolétaires peuvent développer des idées révolutionnaires. Il est facile de déduire à partir de cela que le fait de vouloir animer artificiellement des organes de masse à l’extérieur des périodes de lutte ouverte par l’auto-activité de la classe est contre-productif, voire dangereux pour les révolutionnaires.

Les limites ’’syndicalisme de combat’’ peuvent d’ailleurs être analysées à travers son ’’heure de gloire’’ au Québec, le Front commun de 1972. En effet, bien que l’activité syndicale soit à la base de ce mouvement, c’est le dépassement du cadre syndical qui lui donna sa profondeur. La multiplication des grèves sauvages par les syndiquéEs et les non-syndiquéEs, la formation d’organes autonomes de classe comme le ’’Front uni des travailleurs’’ à Sept-Îles, le caractère presque insurrectionnel qu’a pris la grève dans certaines villes, tout cela fut réduit à l’état de vulgaire réforme à cause de l’action des syndicats et de leurs chefs, appelant à la fin de la grève dans une situation qui aurait pu être le début de beaucoup plus. Le syndicalisme de combat a démontré à ce moment-là toutes ses limites.

Quelle économie politique ?

Un autre problème du texte du camarade Savard est l’absence totale d’analyse de l’état de l’économie capitaliste. Il est surprenant que le corps du texte se résume à la défense d’un compromis keynésien qui est impossible dans la phase actuelle du capitalisme.

Si le capital s’attaque aux conditions de vie du prolétariat, ce n’est pas à cause de la somme des volontés individuelles des bourgeois, c’est plutôt qu’il doit se restructurer à cause de la crise qui le frappe depuis 1970. Espérer améliorer nos conditions de vie en comptant sur une meilleure répartition de la richesse issue du processus d’accumulation en crise du capitalisme, est une illusion.

Il est actuellement impossible dans n’importe quel pays des métropoles capitalistes d’aller arracher de grandes réformes comme après la Seconde guerre mondiale. Il n’y aura aucune amélioration des conditions d’exploitation de la classe ouvrière dans le capitalisme, à moins que le cycle d’accumulation ne soit relancé par une destruction massive des valeurs. À la lumière du vingtième siècle, cela nous semble tout sauf souhaitable.

L’extension comme condition sine qua non d’une victoire

Une autre erreur fondamentale du camarade du FAS est de considérer la victoire comme étant uniquement une question de combativité des prolétaires. Pourtant les exemples abondent pour montrer l’insuffisance de la combativité comme seule condition de la victoire.

Autant les métallos lorrains à la fin des années 70 [5] 4 que les mineurs asturiens il y a deux ans, autant la grève des mineurs britanniques que les trois dernières grèves générales étudiantes nous l’ont montré, ainsi que des milliers d’autres exemples à travers le monde et l’histoire, la combativité la plus grande n’est pas suffisante pour gagner.

La combativité, quoique d’une importance capitale, ne peut faire mieux que de sauver les meubles, que de limiter les dégâts des assauts de la bourgeoisie. Occuper une usine censée fermer ne forcera pas le patron à la laisser ouverte, cela permet au mieux d’obtenir de meilleures indemnités de départ. Il faut que la bourgeoisie se sente profondément ébranlée dans sa domination politique ou que les activités de plusieurs secteurs soient perturbées pour qu’elle batte réellement en retraite.

Le cas de la grève étudiante de 2012 est particulièrement instructif. En effet, les seuls moments où les étudiantes et les étudiants ont fait reculer le gouvernement, c’est quand leurs actions se propageaient à d’autres secteurs, comme par les actions de perturbation économique, par les épisodes émeutiers regroupant plus qu’une population estudiantine, par le mouvement des casseroles et surtout les ’’semi-grèves’’ (par exemple, prise de congés-maladie) de plusieurs prolétaires lors des manifs du 22, surtout le 22 mai 2012. Ne pas faire de l’extension une pièce centrale d’une lutte, c’est la condamner à l’échec dès le départ.

En guise de conclusion, le programme et la pratique communiste, maintenant ou jamais.

Si, jusqu’à maintenant nous nous sommes contentés de critiquer, il nous revient maintenant de proposer. Si nous voulons que les négociations du secteur public soient autre chose qu’une série de parades menant à une inévitable défaite, il faut que l’expérience du mouvement ouvrier prenne corps dans la lutte.

La lutte doit rompre avec les syndicats. L’organisation des prolétaires les plus conscients en comités autonomes et unitaires de bases puis leur centralisation dans un organe de coordination est la condition minimale pour que ’’quelque chose’’ se produise. La liaison de ces comités avec d’autres organes autonomes, par exemple les assemblées populaires autonomes de quartier, est la seconde. Ces structures doivent pousser des grèves et des initiatives combatives locales pour contrecarrer les plans des centrales syndicales. Il faut clairement considérer les syndicats comme des adversaires qui font perdurer les illusions réformistes dans le camp prolétarien, qui défendent des intérêts qui ne sont pas les nôtres et qui seront des forces de rétention du mouvement de notre classe. Les tentatives de sabotage de la part des bureaucrates syndicaux seront tout autant à craindre que la répression policière et la calomnie médiatique.

Finalement, la lutte doit se faire sans illusion. Il faut, à travers notre mobilisation quotidienne, exposer la nécessité d’une rupture avec le système capitaliste. Il faut dire qu’il n’y a pas de voie de sortie facile, qu’il n’y aura pas de replâtrage. La confrontation avec l’État bourgeois, la nécessité de l’éliminer ne doit pas être cachée à nos collègues de travail. Si nous ne défendons pas le programme communiste dès maintenant, c’est à dire celui d’une société sans classe, sans état, sans nation, sans argent et sans oppression, nos luttes seront, ultimement, vaines. La question de l’organisation politique qui peut porter ce programme révolutionnaire, la question du Parti d’avant-garde, est directement reliée à cela. Ce ne sera pas facile, loin de là, mais il n’y a pas de voie royale pour les révolutionnaires.

Maximilien,
pour le Groupe internationaliste ouvrier,
section Nord-américaine de la
Tendance communiste internationaliste
Leftcom.org/fr


[2La lettre de mouvement communistes-numéros 11, page 9, octobre 2003 http://mouvement-communiste.com/documents/MC/Letters/LTMC0311.pdf

[3-Sur ce local des IWW, la lettre numéro 38 de mouvement communiste http://mouvement-communiste.com/documents/MC/Letters/LTMC1338%20FRvF.pdf

[4Sur le rôle de la CNT dans la défaite du prolétariat espagnol http://www.leftcom.org/fr/articles/2007-11-01/barcelone-les-jours-de-mai-1937

[5-Compte rendu de cette lutte par des participants, sur le site d’alternative libertaire http://www.alternativelibertaire.org/?1979-La-republique-populaire-de

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