Pendant la majeure partie de ma vie adulte, j’ai choisi les hommes avec qui je sortais en fonction de mon envie de baiser ou non avec eux. Je n’avais pas encore compris à quel point je me trompais et ce qu’est réellement le féminisme. Heureusement que Jezebel est venu me montrer la voie. Ce que j’aurais dû faire, c’est sortir avec de vieux bonhommes qui auraient pu me payer pour que je fasse semblant de les trouver bien. Après tout, qu’y a-t-il de plus gratifiant pour son autonomie que d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un que vous trouvez repoussant, et qui souhaite se faire voir avec vous pour le sentiment de puissance que ça lui confère ?
Au fond, avez-vous déjà essayé de coucher avec un homme dont vous ne vouliez pas le pénis en vous ? Je l’ai fait. Et vraiment, les filles, c’est formidable. N’avez-vous donc pas entendu depuis un an toutes ces histoires plus sexy les unes que les autres sur les actrices qui ont eu des rapports sexuels merveilleux et autonomisants avec de vieux mecs tarés (mais ô combien riches et puissants !), simplement parce qu’elles n’auraient pas pu gagner leur vie si elles avaient refusé leurs avances ou si elles les avaient dénoncés ? On pourrait penser que les féministes allumées dans mon genre auraient fini par en prendre de la graine.
Je suppose que mon problème, c’est mon piètre sens des affaires quand il s’agit de mon vagin. Et soyons honnêtes, transformer nos vagins en plans d’affaires, voilà ce qui importe pour le féminisme. N’oublions pas cet appel classique à la mobilisation féministe : « Aucune femme n’est libre tant qu’un homme assez vieux pour être son grand-père n’a pas payé ce qu’elle vaut pour la baiser et la plier à sa volonté. »
Heureusement, Aimée Lutkin, une pigiste de Jezebel, est prête à nous expliquer comment rentabiliser nos vagins au moyen de baises piteuses avec des types dégoûtants !
Vendredi dernier, Lutkin a assisté au Sugar Baby Summit, un congrès organisé à New York par la firme Seeking Arrangement, fondée par Brandon Wade, un millionnaire féministe radical, intéressé à libérer des femmes qui, autrement, auraient pu baiser des hommes qui les attirent réellement.
Lutkin explique que « le sugaring [à savoir prendre sous son aile une personne plus jeune comme partenaire] est surtout le fait d’hommes riches… qui veulent de la compagnie et sont prêts à payer pour en obtenir ». En d’autres termes, des hommes qui valorisent les femmes en tant qu’êtres humains à part entière et qui ont tout à fait à cœur leurs intérêts et leurs désirs.
Lutkin explique que le congrès a tenu des panels sur des thèmes comme « Sugar For Entrepreneurs » (démarrer son entreprise avec un papa-gâteau) et « Cultivating Confidence and Understanding Sexuality In The #MeToo Era » (acquérir de la confiance en soi et comprendre la sexualité à l’ère de #MeToo). Je suppose qu’on y expliquait comment le fait d’avoir des rapports sexuels avec des femmes que vous dégoûtez, mais qui font semblant d’aimer ça parce qu’elles ont besoin d’argent, renforce la confiance masculine, et aussi comment le fait de payer une femme pour la violer peut contribuer à combattre le viol. Lutkin a aussi parlé à beaucoup de sugar babies (les « filles-bonbons » de ces papas-gâteaux), qui lui ont précisé qu’il ne s’agissait pas de prostitution, mais simplement d’un « autre style de fréquentations » où les hommes contraignent financièrement des jeunes femmes à coucher avec eux, parce que l’idée d’être avec une femme qu’ils devraient traiter en égale et qui pourrait exiger qu’ils se comportent correctement n’est vraiment pas du tout sexy.
Une dénommée Shannon Roy-Wyatt a confié à Lutkin que « les gens ont peur de ce qu’ils jugent non traditionnel », ce qui est manifestement vrai, parce qu’il est clair que tous ces papas-gâteaux sont des hommes modernes qui ne voient pas du tout les femmes comme du bétail.
La journaliste souligne que beaucoup de sorties classiques sont décevantes et que la plupart des hommes sont au mieux insignifiants, ce qui n’est pas faux. Elle dit aussi que les hommes croisés sur les sites de rencontres lui envoient constamment des messages pour lui demander ce qu’elle appelle du « travail sexuel gratuit ». Elle écrit : « Ils ne veulent pas payer pour les services d’une professionnelle, mais ne veulent pas non plus investir le temps et l’énergie qu’exigent des fréquentations régulières avant de pouvoir réclamer des faveurs sexuelles » Je ne peux pas juger de ses dires à ce sujet, puisque l’idée de rencontrer des hommes via ces sites m’a toujours semblé un cauchemar déprimant, et parce que je préfère sortir avec des hommes que je connais déjà plutôt qu’avec des inconnus trouvés au hasard sur Internet. Mais je peux très certainement croire que les habitués des sites de rencontres agissent régulièrement comme des abrutis pervers. Je pense que ce qui me trouble le plus, c’est cette notion selon laquelle les hommes deviennent tout à coup désirables ou moins vulgaires quand ils vous paient ?
Lutkin dit qu’au moins les papas-gâteaux « reconnaissent que ce qu’ils demandent a de la valeur », que « le temps des femmes vaut quelque chose » et que « bien paraître nous coûte cher ». Je pense qu’une partie de mon incompréhension vient du fait qu’à mes yeux, avoir « de la valeur » ne signifie pas nécessairement « être payée » ou « consommée ». Pour ma part, je pense que je suis un être humain valable même quand un homme ne m’achète pas un sac à main ou ne me paie pas pour que je fasse semblant de vouloir baiser avec lui. C’est peut-être mon manque d’estime de soi, mais j’ai tendance à vouloir fréquenter des gens qui me plaisent réellement. Je suppose que j’ai toujours pensé que le féminisme a pour but de faire en sorte que les femmes soient traitées avec respect par les hommes, même quand ces hommes ne les baisent pas, et de combattre cette idée qui veut que les femmes n’existent que pour permettre aux hommes de se sentir mieux dans leur peau. Sinon, nous pourrions tout simplement renoncer à être respectées un jour en tant qu’êtres humains à part entière et au moins essayer de profiter de la misogynie ? Parce que l’on sait bien que tenter de tirer profit des systèmes d’exploitation qui renforcent la violence et l’oppression a toujours bénéficié par le passé aux personnes marginalisées…
Bien que les partisans du sugar dating (rencontres organisées entre jeunes femmes et vieux messieurs) prétendent souvent que le sexe n’est pas au cœur de l’affaire, Lutkin a constaté que c’était faux. Il s’avère que les papas-gâteaux sont même « agacés par toutes ces femmes qui cherchent des ententes platoniques » sur Seeking Arrangement et que, « comme l’on pouvait s’y attendre, se limiter à n’être que la compagne sexy d’un homme lors d’événements prestigieux est à toutes fins utiles une illusion ».
Au bout du compte, Lutkin affirme qu’elle « respecte les filles-bonbons qui savent comment prêter leur quête amoureuse à un objectif accessoire, que ce soit payer leurs frais de scolarité, partir en voyage, s’acheter un sac à main luxueux, démarrer une entreprise ou trouver quelqu’un qui a les moyens de leur offrir plus que de partager la facture dans un bar miteux ». J’aime bien les bars un peu ringards, mais les sacs à main me laissent plutôt de glace, alors ceci explique cela. Par contre, je raffole des fruits de mer, et une fille-bonbon a raconté à Lutkin qu’elle n’avait jamais goûté d’huîtres avant qu’un papa-gâteau ne l’y initie, et depuis lors, elle est devenue une fana de ces mollusques. Que voilà une belle histoire : les huîtres sont assurément une excellente valeur d’échange pour notre âme !
Meghan Murphy
Version originale sur Feminist Current :
Traduit par Joanne Heppell et TRADFEM
Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012. Elle travaille actuellement à un livre qui invite à un retour vers un féminisme plus radical, rappelant la deuxième vague et ancré dans la sororité.
Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.
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