Messieurs les ambassadeurs, Chers amis, Chers camarades,
C’est avec une grande émotion que je m’exprime ce soir devant vous, au moment où une vague révolutionnaire secoue le monde arabe, de Tunis au Caire, d’Alger à Amman et à Sanaa au Yémen… En effet, il y a un rapport évident entre ces événements et ceux du 4 février 1992 au Venezuela, que nous commémorons ce soir
Tout le monde se souvient du Caracazo du 27 février 1989, contre les mesures d’austérité brutales, el Gran Viraje, décidées par le FMI et imposées au Venezuela par le président Carlos Andrés Pérez. Pour ceux qui l’auraient oublié, Carlos Andrés Pérez était membre de la l’« Internationale Socialiste », comme le général Ben Ali...
Face à une telle provocation, qui entraîne une hausse insupportable du prix des biens et des services de première nécessité, le peuple se soulève. La répression, conduite notamment par les militaires, fait plus de 3000 morts. L’ordre des riches règne à Caracas, mais ce n’est qu’une apparence.
Autour d’Hugo Chávez, la rébellion d’une partie de l’armée se prépare. Elle débouchera sur la tentative de prise du pouvoir civico-militaire du 4 février 1992, au moment même où Carlos Andrés Pérez revient du Forum économique de Davos.
C’est un échec, mais pas une défaite cuisante, plutôt « un revers », comme le montre Maurice Lemoine dans Chávez Presidente ! L’armée est trop divisée pour laisser liquider sommairement Hugo Chávez et ses camarades.
Il aura ainsi la possibilité de s’exprimer en direct devant les caméras de la télévision, coiffé de son légendaire béret rouge, pour appeler à l’arrêt des combats et annoncer que les objectifs des insurgés n’ont … « pour l’instant »… pas été atteints..
Dès lors, l’objectif stratégique des responsables bolivariens sera de faire converger la dissidence militaire, la lutte politique et la protestation populaire.
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Aujourd’hui, les peuples arabes se soulèvent certes contre des dictatures séniles, celles de Ben Ali, de Moubarak, de Bouteflika, de Saleh, mais l’étincelle qui met le feu aux poudres, c’est avant tout l’augmentation des prix des denrées alimentaires, de 32% au second semestre 2010 (selon l’indice de la FAO). Or ces hausses de prix résultent directement des politiques des grandes puissances impérialistes, du capital financier, des multinationales et de leurs agences internationales : le G8, le FMI, la BM, l’OMC, l’OCDE, etc.
En renflouant massivement le secteur financier, ils ont relancé la spéculation sur les matières premières, l’énergie et les produits alimentaires. Et ses effets se font sentir partout dans le monde, plus durement encore pour les centaines de millions de pauvres des pays du Sud.
Les chefs d’Etat arabes d’aujourd’hui, tout comme Carlos Andrés Pérez au Venezuela, il y a 20 ans, ne sont que les courroies de transmission de décisions prises ailleurs, par les Global Leaders qui se retrouvent à Davos.
Pour changer de cap, il ne suffit donc pas de se débarrasser d’un chef d’Etat corrompu : le Venezuela en a fait l’expérience avec le limogeage de Carlos Andrés Pérez, remplacé, d’ailleurs frauduleusement par Rafael Caldera, en 1994. Aujourd’hui, la fuite de Ben Ali et le départ annoncé de Moubarak peuvent aboutir à la mise en place d’autres Caldera, qui poursuivront les mêmes politiques sous un autre masque.
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Les expériences du Caracazo de 1989, du soulèvement civico-militaire bolivarien du 4 février 1992, ainsi que des victoires électorales de 1998, 1999 et 2000, qui ont permis la promulgation du paquet de lois de réforme économique et sociale de novembre 2001, ont renforcé les bases de l’alliance entre le pouvoir bolivarien et les couches populaires les plus défavorisées.
C’est cette alliance qui a garanti l’échec de la tentative de coup d’État réactionnaire du 11 avril 2002. Depuis lors, les « missions » de combat contre la pauvreté, financées par la rente pétrolière, ont fait avancer d’importants programmes dans les domaines de l’alimentation, de la santé et de l’éducation, avec la participation active des habitant-e-s des quartiers populaires.
C’est pourquoi, en dépit des campagnes massives de l’opposition, largement appuyées par les États-Unis, l’Union Européenne et les médias les plus puissants, la révolution a continué à gagner toutes les batailles électorales, il est vrai avec plus de difficultés en septembre dernier.
Cependant, la révolution bolivarienne ne peut être qu’une « création héroïque », pour reprendre les termes de José Carlos Mariátegui. Elle dépend donc de sa capacité permanente à renforcer l’initiative, l’organisation et le pouvoir populaires en combattant les travers de la bureaucratisation, qui favorisent les mesures impopulaires, la démobilisation des masses et la réapparition de privilèges inacceptables.
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Sur le plan international, le Venezuela fait figure d’avant-garde aux yeux d’un grand nombre de pays du Sud, en Amérique latine d’abord, en raison de sa contribution décisive au développement de l’ALBA depuis 2005. Mais aussi au-delà, avec le projet de Banque du Sud, qu’il a réussi à concrétiser, avec d’autres pays, en 2007. Il est donc en mesure de populariser une alternative au consensus de Washington et à la mondialisation néolibérale.
L’expérience qu’il a accumulée est aujourd’hui précieuse pour les forces qui, au cœur des révolutions arabes en marche, veulent véritablement dissoudre les noyaux durs des appareils d’États néocoloniaux, redistribuer les richesses en faveur des plus pauvres, reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles, rompre avec l’échange inégal et poursuivre la lutte anti-impérialiste pour un monde plus juste.
Vive la révolution bolivarienne ! Vive la révolution arabe qui commence !