Tiré de Entre les lignes et les mots
L’une des premières revendications du mouvement dès le début était l’enquête sur les commanditaires du crime. « Nous avons une très forte demande pour montrer qui sont les acteurs, ce qui se cache derrière le meurtre de ma mère, quels intérêts voulaient bénéficier du meurtre », explique Laura.
La pression exercée pour enquêter sur l’affaire a abouti à un procès en 2018 et à la condamnation en 2019 de huit hommes, dont sept étaient les auteurs du crime et David Castillo, qui a servi d’intermédiaire entre les commanditaires et les autres. Les huit avaient des liens avec l’entreprise responsable du projet hydroélectrique dénoncé par Berta et Copinh, le projet Agua Zarca, sur la rivière Gualcarque. Malgré le procès, les coupables n’ont pas encore été condamnés, ni les auteurs intellectuels tenus pour responsables. Pour cette raison, le Copinh maintient sa pression pour la justice.
Pour Bertha et Laura, l’enquête sur le meurtre de leur mère marque un changement dans la manière dont les enquêtes sur les crimes commis contre les défenseurs et les dirigeants locaux sont menées. Selon elles, le taux d’impunité des auteurs de crimes de toutes sortes est de 90% au Honduras. « Dans ce contexte, nous considérons cela comme une victoire populaire contre un système d’impunité », a déclaré Bertha. Elle affirme que « dans le système judiciaire, certaines parties fonctionnent et œuvrent pour la persécution des leaders sociaux et l’impunité des groupes économiques. C’était un crime dans lequel nous avons pu identifier la participation de structures de tueurs à gages, de structures militaires et aussi d’un groupe économique très puissant au Honduras, qui est la famille Atala Zablah ». La famille Atala Zablah est profondément liée aux secteurs extractifs en Amérique latine, et l’un de ses membres, Daniel Atala Midence, a reçu un mandat d’arrêt pour le cas de Berta.
Dans l’interview réalisée le 5 juin 2024, Bertha et Laura ont parlé de l’avancement de l’enquête et de la condamnation. L’interview a été menée collectivement par plus de 20 médias et organisations populaires alliées qui composent l’Alba Movimentos dans plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Lisez la traduction de l’interview ci-dessous ou écoutez-la dans sa langue originale.
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Pourquoi la détermination de la peine est-elle retardée ou reportée si longtemps ?
Laura : Elle est reportée car de nombreux intérêts font pression pour qu’il n’y ait pas de confirmation de la peine. Cela est lié au fait qu’ils essaient de retarder et de boycotter le processus de justice pour ma mère. Nous savons que, même au sein de la magistrature, il y a tout un débat sur l’ingérence qui a lieu de la part de ce puissant groupe économique. Il nous appartient maintenant, en tant que mouvements populaires, de protéger ces condamnations et leur confirmation.
Quelle est l’attitude du gouvernement hondurien à l’égard de ce cas particulier ? Pensez-vous qu’elle contribue à la cause de manière favorable ou qu’elle crée des conditions plus favorables à l’impunité ?
Bertha : Justice pour Berta Cáceres était un thème de campagne du gouvernement de Xiomara Castro, notre présidente. Au sein du pouvoir exécutif, une pétition spécifique a été mise en place et nous pensons avoir progressé dans ce domaine. Il y a un élément très important : la question de la justice pour Berta continue de dépendre presque exclusivement du pouvoir judiciaire. Le pouvoir exécutif n’a pas formellement un niveau d’influence sur ces décisions. Jusqu’à présent, et très précisément sur la question de la résolution de ces peines, la Cour suprême de Justice n’a publié aucune communication publique. Je pense donc qu’il est très important que les organisations qui font partie d’Alba Movimentos puissent également mener des actions visant à garantir que le gouvernement maintienne la cohérence du discours et agisse pour le bien du processus de justice.
Quelles stratégies juridiques et politiques continentales peuvent être utiles dans cette phase dans laquelle nous nous trouvons maintenant ?
Laura : Nous avons fait appel à la Commission interaméricaine des droits humains sur les mesures de protection dont bénéficiait ma mère et dont bénéficient Copinh et les victimes dans cette affaire. L’une des choses que nous essayons de faire est de mettre en lumière, au niveau international, la négligence et le choix d’omettre les soins dont Berta Cáceres avait besoin. Il est également important de rester informé et, petit à petit, de briser le siège médiatique des médias hégémoniques, car cette affaire symbolise aussi le cas de nombreuses autres femmes qui ont défendu leurs territoires et qui ont fait face au système capitaliste patriarcal raciste.
Bertha : Au Copinh, nous avons défini quelques actions importantes, comme l’envoi de lettres à la Cour Suprême de Justice. Il ne s’agit pas nécessairement de personnes, d’organisations ou d’institutions dédiées au monde juridique du contentieux, mais d’organisations et de lettres générales, qui peuvent être remises directement à la Chambre pénale de la Cour suprême de justice. Toute action publique montrant une préoccupation est bonne, même les actions du gouvernement hondurien lui-même, puisqu’il s’agit d’un sujet de campagne.
Pour nous, il est très important que cela accompagne le processus organisationnel du Copinh et qu’il parvienne à donner de la visibilité à d’autres victimes qui ne sont pas directement liées à cette affaire, comme les peuples autochtones, les femmes assassinées et les défenseurs. Isolément, cela n’a pas non plus beaucoup de sens sans l’impact juridique sur l’approfondissement de nos propres capacités organisationnelles et le renforcement des propres messages de notre camarade Berta Cáceres au Honduras, à nos désirs de transformation, à la région au niveau continental.
Pensez-vous que, dans l’approche de la justice, il y a eu des progrès par rapport à la perspective de genre au cours de la période où l’affaire est en cours
Laura : Je crois que cela a également été un différend pour le Copinh de pouvoir aborder et démontrer au sein des institutions judiciaires comment une femme autochtone est agressée. Les questions de genre et de corps racialisés ont été abordées et je pense que cela a été une avancée, car il s’agissait d’une lutte dans laquelle des experts ont été amenés à enquêter sur la façon dont le tissu des communautés indigènes a été historiquement déchiré et comment ils ont cherché à détruire les communautés en attaquant spécifiquement une femme, ce qui est très différent de la façon dont les hommes sont attaqués.
En ce sens, je pense que le procès a également été un moment pour enseigner au système judiciaire hondurien comment aborder les femmes autochtones, les défenseures et les combattantes. Les médias hégémoniques cherchent à minimiser nos voix et cela a aussi à voir avec la minimisation de la diversité. Ils ont cherché non seulement à dire qu’il s’agissait d’un meurtre et rien de plus, mais aussi à dire qu’il s’agissait d’un « crime de jupe », une manière néfaste d’appeler féminicide et aussi de retirer l’élément de meurtre à une défenseure qui avait de nombreuses autres menaces et attaques.
Quelle est la situation actuelle de la lutte environnementale au Honduras et quels sont les principaux défis auxquels le mouvement environnemental est confronté en ce moment ?
Bertha : Malheureusement, le Honduras continue de figurer parmi les pays les plus dangereux pour la défense de la Terre Mère, des biens communs, de la terre et du territoire. Nous avons des cas très délicats dans notre pays, comme ceux de la région de Bajo Aguán, sur la côte nord, où de nombreux dirigeants sociaux ont été assassinés en toute impunité. Nous parlons toujours de l’articulation des groupes économiques dans notre pays. Bien qu’il s’agisse d’un cas emblématique qui a brisé toute la norme de ce qui se passe dans notre pays, il est important qu’il contribue d’une certaine manière à clarifier la situation d’autres personnes assassinées qui continue de se produire au Honduras.
Bien qu’il y ait une volonté de changement, ces structures criminelles restent intactes. Nous continuons d’essayer de lier la question financière et économique de la corruption à ce type de cas, car c’est très évident. Même la question des meurtres de femmes, des réseaux de traite et des féminicides reste une constante car la question de la justice est un défi. On finit par en savoir un peu plus sur la justice en interne. Vraiment, c’est quelque chose qui, pour le dire de manière populaire, vous donne des frissons, vous fait dresser les cheveux sur la tête. Il y a de nombreux intérêts politiques et économiques de toutes sortes.
Laura : En ce qui concerne les défis, je soulèverais cette question de l’impunité. Il est difficile de continuer la lutte au milieu de tant d’impunité et de tant de crimes. C’est aussi une lutte pour vraiment faire reconnaître les droits des victimes et des organisations. Historiquement, nous avons réussi dans un procès – le procès pour corruption et fraude impliquant Gualcarque – que le Copinh et le Conseil autochtone de la communauté de Rio Blanco soient considérés comme des victimes formelles. Cela ne s’était jamais produit dans notre pays.
De plus, bien sûr, nous devons rechercher la pleine reconnaissance des droits des communautés autochtones. Parfois, la question de l’environnement a été envisagée ou abordée de manière abstraite, comme si, là où il y avait un environnement, il n’y avait pas de communautés et donc pas de droits. Nous continuons à dire : nous protégeons 85% des réserves et des forêts de notre pays. Des mesures environnementales ne peuvent être prises sans tenir compte de nos droits en tant que communautés. Les lois ne nous considèrent pas comme des gestionnaires de zones protégées. Un dernier défi est de trouver de vraies solutions. Aujourd’hui, le capitalisme lui-même a fourni tellement de fausses solutions environnementales qu’il convainc même les membres du gouvernement. Il y a une grande bataille que nous devons mener pour trouver de vraies solutions à une crise environnementale et climatique qui a signifié une violation systématique des droits des sujets dont la responsabilité est de protéger cette nature et ces biens communs.
Laura : La lutte pour la justice pour Berta est immergée dans la lutte pour la justice pour le peuple Lenca. En ce sens, nous continuons à lutter pour que la rivière Gualcarque soit libre, car elle est actuellement en concession et fait donc partie des processus de corruption pour la concession de la rivière, puisque des personnes ont été condamnées, on découvre comment fonctionne l’extractivisme au Honduras et comment cette concession a également fonctionné illégalement. Les communautés Lenca organisées au Copinh continuent de revendiquer des droits qui leur ont été historiquement refusés. L’organisation reste active.
Édition par Bianca Pessoa
Traduit du portugais par Andréia Manfrin Alves
Langue originale : espagnol
https://capiremov.org/fr/entrevue/laura-et-berthe-zuniga-la-lutte-pour-la-justice-pour-berta-est-immergee-dans-la-lutte-pour-la-justice-pour-le-peuple-lenca/
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