L’orgasme, plaisant mais pas un droit !
Cette position, que nous avons dénoncée à maintes reprises, nous apparaît fort troublante pour plusieurs raisons. Dans l’émission, M. Matte et les autres personnages abordent à plusieurs reprises la question de la sexualité comme étant un besoin « vital » ou « essentiel ». À ce sujet, l’UNICEF affirme pourtant qu’« aucun impératif biologique n’impose un nombre fixe d’orgasmes par jour, par semaine ou par an. Les individus peuvent occasionnellement trouver déplaisant de ne pas éprouver le paroxysme du plaisir sexuel, mais le fait qu’il n’y a personne pour les amener à l’orgasme ne constitue pas exactement une menace pour leur survie. » Ce qui est un besoin vital, c’est d’être en relation avec les autres, d’aimer et d’être aimé, ce à quoi ne répond pas la prostitution qui n’est ni désir, ni consentement réciproque.
De plus, qui dit droit dit devoir et si l’on reconnaît un droit à la sexualité, qui sera de corvée pour assouvir les besoins qu’il sous-entend ? Les femmes ont lutté de longue date et luttent encore pour ne pas être assujetties aux désirs et aux besoins des hommes et le discours sur le droit à la sexualité nous apparaît fort inquiétant, rappelant par sa façon de contourner le désir et le consentement réciproque, le « devoir conjugal » et autres « droits d’accès au corps des femmes » que nous avons combattus.
Lutter pour plus d’acceptation, une meilleure façon d’accéder à l’égalité de fait
En France, le Comité consultatif national d’éthique s’est penché au printemps dernier sur la question de l’assistance sexuelle et a conclu que non seulement on ne peut marchander le corps des femmes mais aussi que ce qui ressort des nombreux entretiens réalisés avec des personnes handicapées est un profond sentiment de solitude de même que le désir d’accéder à une vie affective « normale ». En effet, comme le revendique le groupe Femmes pour le dire, femmes pour agir qui lutte contre les discriminations envers les femmes handicapées, les personnes vivant avec un handicap ont droit à des relations égalitaires et à une sexualité réciproque, ce que la prostitution n’est pas.
En ce sens, il est troublant de voir, dans l’émission, le frère de M. Matte souhaiter entreprendre une relation (qui ne serait pas tarifée) avec la personne prostituée et se faire dire que pour lui, la sexualité et les relations intimes seront désormais à sens unique et non désirées par l’autre personne. Un article du Journal de Montréal (Lutter pour des assistantes sexuelles) révélait, le 9 avril dernier, que moins de la moitié des Québécois accepteraient d’avoir une relation sexuelle avec une personne en fauteuil roulant. Cette statistique ne devrait pas servir d’argument en faveur du recours à l’assistance sexuelle. Quel message envoie-t-on aux personnes vivant avec un handicap si cette statistique nous suffit pour accepter de réduire leur sexualité à une prestation de service ? Il nous semblerait plus juste et humain de voir cette information comme un incitatif à redoubler d’ardeur dans la lutte contre l’exclusion sociale des personnes handicapées et la promotion de leur droit à des relations égalitaires, plutôt que de leur réserver une sexualité non réciproque et tarifée.
Une vision globale de la lutte contre les violences sexuelles
S’il est possible que des personnes handicapées souffrent d’insatisfaction sexuelle, il est fort douteux que le recours à la prostitution d’autrui soit la solution à ce problème. Plusieurs facteurs influent sans doute sur ce sentiment d’insatisfaction qui n’est pas étranger non plus à de nombreuses personnes sans handicap. En ce sens, il serait davantage pertinent de s’attaquer aux causes de cette insatisfaction, qu’il s’agisse de l’omniprésence d’une pornographie de plus en plus violente et déconnectée des besoins d’intimité et de réciprocité des personnes, des impératifs irréalistes et angoissants de performance sexuelle, de l’hétéronormativité, ou encore du manque d’inclusion et d’égalité au sein de la société dont nous il a été question plus tôt.
En terminant, il importe aussi de rappeler que les femmes vivant avec un handicap sont beaucoup plus à risque de vivre une agression sexuelle que les femmes non handicapées. En ce sens, il nous apparaît que la légalisation du recours à l’assistance sexuelle, de même que toute tentative de décriminaliser le recours à la prostitution d’autrui, pourrait aggraver cette situation en envoyant le message contradictoire qu’il existe un droit d’assouvir ses besoins sexuels, que le consentement peut être acheté et que le désir n’a pas à être réciproque.