Tiré de Asyalist
13 octobre 2023
Par Pierre-Antoine Donnet
Le président chinois Xi Jinping lors de sa réunion avec le leader démocrate du Sénat américain Chuck Schumer, le 8 octobre 2023 à Pékin. (Source : New York Post)
Le président chinois Xi Jinping lors de sa réunion avec le leader démocrate du Sénat américain Chuck Schumer, le 8 octobre 2023 à Pékin. (Source : New York Post)
Y a-t-il deux poids, deux mesures pour le régime chinois dans l’emploi de ce terme ? Le « terrorisme » attribué à des activistes ouïghours avait été l’argument mis en avant par Pékin pour légitimer et déclencher à partir de 2015 une campagne d’une brutalité extrême contre les membres de cette minorité musulmane et turcophone du Xinjiang, l’ancien Turkestan oriental. Les exactions commises dans cette région par les forces chinoises ont été condamnées à travers le monde, portant préjudice non seulement à l’image de la Chine, mais aussi à sa diplomatie et ses liens commerciaux avec beaucoup de ses partenaires. Aujourd’hui, ce terme « terrorisme » s’invite à nouveau pour les autorités chinoises, mais dans un cadre inattendu.
Le chef de la majorité au Sénat américain, Chuck Schumer, lorsqu’il a rencontré le maître de la Chine communiste Xi Jinping lundi 9 ocotbre à Pékin, a déploré le fait que Pékin s’abstienne de condamner le Hamas et d’en dénoncer le caractère terroriste. Il s’est dit « déçu » du fait que la Chine n’exprime « aucune sympathie » pour le peuple israélien. Face à lui, Xi Jinping est, comme à son habitude, resté de marbre. Évitant soigneusement d’aborder ce sujet, il s’est contenté de dire : « Nous avons un millier de raisons de rendre meilleurs les relations américano-chinoises et aucune raison de les rendre pires. »
De fait, la direction chinoise a été, comme partout ailleurs dans le monde, prise de court par l’attaque du Hamas contre Israël. Elle ne sait pas comment répondre aux événements, se contentant de banalités telles que d’appeler les deux parties à la retenue et à travailler pour restaurer la paix. « Nous avons dit clairement que la Chine est très inquiète de l’escalade du conflit israélo-palestinien et qu’elle invité toutes les parties concernées à un cessez-le-feu immédiat et l’arrêt des combats. La Chine est désireuse de maintenir la communication avec toutes les parties et de fournir des efforts inlassables pour la paix et la stabilité au Moyen-Orient », a ainsi déclaré, mardi 10 octobre, l’un des porte-paroles du ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Wenbin, usant d’un vocabulaire récurrent dans la langue de bois du régime de Pékin.
Sur les réseaux sociaux chinois, comme c’est le cas avec la guerre en Ukraine, les internautes sont très nombreux à rejeter la faute sur les États-Unis. « Je salue les soldats du Hamas », écrit l’un sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. « Une fois de plus, l’Amérique fabrique des conflits, comme c’était le cas avec la guerre en Irak », écrit un autre. Messages qui sont tous effacés peu après mais qui ont presque tous une tonalité nettement anti-américaine.
Xi Jinping « mal à l’aise »
Dans son traitement de l’information, la chaîne de télévision officielle CCTV adopte dans son émission phare des informations du soir « Fil d’actualité » (新闻联播, Xinwen lianbo) une tonalité elle aussi nettement anti-américaine. Elle met l’accent sur les souffrances de la population gazaouie sans jamais citer les massacres du Hamas. Dans son nouveau programme très regardé en Chine « World Express » (国际时讯, Guoji Shixun) notamment, les images des bombardements de l’armée israélienne sur Gaza sont très nombreuses. En revanche, presque rien n’est dit sur les atrocités commises par le Hamas sur les populations civiles israéliennes. Ce traitement de l’information rappelle en tout point celui de la guerre en Ukraine où les images et les commentaires sont ouvertement favorables à l’armée russe et où apparait souvent la critique des États-Unis présentés comme les grands coupables.
Les attaques d’une sauvagerie monstrueuses commises par le Hamas en territoire israélien ont néanmoins mis Xi Jinping « mal à l’aise », explique Raffaello Pantucci, chercheur senior de la S. Rajaratham School of International Studies basée à Singapour. « La Chine tente de se présenter comme un acteur d’envergure globale, rappelle-t-il dans une interview mardi à Bloomberg. Vous pourriez attendre d’elle quelques idées sur la façon de résoudre la situation. Or jusqu’à présent, nous ne la voyons pas offrir quoi que ce soit. »
La guerre en Israël est d’autant plus gênante pour la Chine communiste qu’elle avait ces derniers mois réussi une percée diplomatique inédite au Moyen-Orient. En mars dernier, elle était parvenue à restaurer le dialogue entre deux ennemis jurés, l’un sunnite et l’autre chiite : l’Arabie Saoudite et l’Iran. Xi Jinping lui-même s’y était investi en rencontrant successivement le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et le président iranien Ebrahim Raïssi.
Pékin qui avait longtemps été un soutien de la cause palestinienne s’était en outre nettement rapproché de l’Iran ces derniers mois. Des liaisons qui se révèlent bien dangereuses aujourd’hui puisque le rôle déterminant joué par Téhéran dans la préparation des attaques terroristes contre Israël commence à apparaître en plein jour.
« Message à l’Iran et aux pays autoritaires »
En août dernier, dans le but évident de contrer les États-Unis, Xi Jinping avait été l’artisan de l’ouverture des BRICS à l’Iran, à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à l’Égypte lors du sommet de ce groupe informel de pays en Afrique du Sud en juillet. Forum créé en juin 2009 par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, rejoints par l’Afrique du Sud, les BRICS apparaissent comme un contrepoids aux sommets occidentaux comme le G7. Les cinq pays membres actuels des BRICS représentent pas moins de 42 % de la population mondiale et environ un quart du PIB de la planète.
La diplomatie chinoise s’était réjouie des points marqués au Moyen-Orient dont elle voyait déjà son grand rival américain sur le point d’en être évincé, sinon même chassé. Mais elle a dû déchanter en constatant que l’influence des États-Unis y est encore bien présente puisque l’Arabie Saoudite était précisément sur le point de reconnaître Israël grâce aux efforts de Washington, l’un des facteurs qui a probablement joué dans les attaques du Hamas.
La décision de Pékin de ne pas condamner nommément le caractère terroriste du Hamas et de le désigner comme l’agresseur a d’une façon ou d’une autre envoyé le message « à l’Iran et aux autres régimes autoritaires de la région selon lequel la Chine reconnaît leurs intérêts régionaux, estime Mercy Kuo, une conseillère spécialisée dans l’analyse des risques géostratégiques pour Pamir, cabinet de consultants basé à Washington, également cité par Bloomberg. La Chine cherche essentiellement des opportunités pour projeter une image d’artisan de la paix, mais elle n’a aucune intention de ternir cette image avec la complexité et les vicissitudes qui sont celles de la recherche de la paix au Moyen-Orient. »
Précieux échanges commerciaux avec Israël
Ces événements se produisent en outre alors que nombre de dirigeants du « Sud global », y compris ceux du monde arabo-musulman, s’apprêtent à se rendre à Pékin pour prendre part au Forum des « Nouvelles routes de la soie », une grand-messe dont Pékin se sert pour faire étalage de sa puissance économique et politique. Lancées en 2013 par Xi Jinping les « Nouvelles routes de la soie » ont entraîné la Chine dans une aventure inédite dans son histoire. En une décennie, Pékin a dépensé des centaines de milliards d’euros de l’Asie à l’Europe, en passant par l’Afrique, dans les infrastructures, mais pas seulement. Aujourd’hui, plus de 150 pays ont adhéré à ce qui est devenu un réseau complexe de corridors terrestres et maritimes à l’échelle du globe mais aussi un outil politique pour la Chine qui espère étendre ainsi son influence dans ces régions.
Par ailleurs, la position de neutralité de la Chine traduit une autre évidence : Pékin sait que sa capacité d’influencer Israël est proche de zéro. « À la différence de l’Iran et de l’Arabie saoudite, qui partagent leur volonté de se rendre en Chine avec un objectif commun, […] Israël ne trouve aucun intérêt à inviter Pékin pour qu’il prenne part à quelque sorte d’accord que ce soit, souligne William Figueroa, professeur associé d’histoire et de relations internationales à l’université de Groningen aux Pays-Bas, cité par Bloomberg. Il est clair que cela crée une brèche dans ce genre de propagande […] d’une Chine devenue un acteur massif aux Moyen-Orient. »
D’autre part, pour les dirigeants chinois, les affaires ne sont jamais éloignées de leurs préoccupations. Or dans ce registre, Pékin a une raison certaine de ne pas trop s’engager du côté palestinien dans le conflit puisque les échanges commerciaux bilatéraux avec Israël totalisent quelque 22,1 milliards de dollars en 2022, selon les chiffres du FMI. De plus, les exportations israéliennes vers la Chine sont, pour plus de la moitié, composées de produits électroniques sophistiqués, en particulier des semi-conducteurs, selon des chiffres de l’Institut des Études de Sécurité nationale de l’Université de Tel-Aviv.
Or l’industrie chinoise, tout comme le secteur militaire chinois, ont grand besoin de ces semi-conducteurs de dernière génération du fait de l’embargo américain. Ainisi, les échanges entre la Chine et Israël prennent une importance toute particulière à l’heure où les États-Unis font pression sur leurs alliés pour les empêcher d’exporter vers la Chine leurs technologies les plus avancées.
Ambitions moyen-orientales en danger
Il reste que la crise entre Israël et Gaza met clairement en danger les ambitions chinoises au Moyen-Orient, estime James Pomfret, journaliste de Reuters familier de la Chine. « La Chine de Xi [Jinping] entend se faire respecter et être admirée partout, y compris au Moyen-Orient, mais en réalité elle ne souhaite pas faire ce qui serait nécessaire pour résoudre des questions régionales sécuritaires très difficiles, estime de son côté Steve Tsang, directeur à l’Institut SOAS China de Londres. Elle vise à cueillir les fruits qui sont à sa portée et s’arrêter là. »
« Il n’est pas clair qui est derrière le Hamas et il est très possible que ce soient des partenaires de la Chine », souligne pour sa part Yun Sun, directeur du Programme Chine du Stimson Center à Washington. « La Chine ne fait pas usage de sa voix, son levier dans l’arène internationale pour changer les choses pour le mieux, relève Tuvia Gering, chercheur au Institute for National Security en Israël et spécialiste de la Chine, cité par Reuters.
Mais en filigrane de ce nouveau conflit, pour la Chine, comme pour la Russie, il existe un autre facteur de la plus haute importance stratégique. La Chine va en suivre les évolutions de très près dans l’espoir secret de voir les États-Unis impliqués sur un troisième front qui s’ajouterait à ceux de l’Ukraine et de l’Asie de l’Est autour de Taïwan, estiment les analystes. Un troisième front pèserait lourdement sur les capacités militaires des États-Unis déjà très éprouvées en Ukraine et en réduirait d’autant sa marge de manœuvre sur ces deux fronts.
C’est dans ce contexte que Xi Jinping pourrait bien se rendre au sommet de l’APEC (Coopération Economique Asie-Pacifique) du 11 au 17 novembre à San Francisco pour y rencontrer en tête à tête son homologue américain Joe Biden. Les spéculations vont bon train sur le fait que la visite à Pékin d’une délégation d’élus du Congrès américain emmenée par Chuck Schumer avait pour principal objectif de préparer ce sommet qui serait la première occasion de se voir pour les dirigeants des deux superpuissances de la planète depuis le G20 de Bali le 14 novembre 2022.
Un tel sommet paraît de plus en plus probable et le président chinois espère pouvoir y arriver en position de force si ce troisième front proche-oriental plaçait les États-Unis dans une position délicate, selon certains analystes. Le principal sujet de discorde entre Pékin et Washington est Taïwan que la Chine considère comme une simple province mais que le président américain a promis de défendre en cas d’attaque militaire chinoise.
Comme pour déjà faire grimper les enchères, Xi Jinping a profité de son entretien avec Chuck Schumer pour lui dire que les relations entre Pékin et Washington étaient décisives pour « l’avenir de l’humanité ». Vendredi 6 octobre, interrogé sur un tel sommet, Joe Biden a indiqué qu’il était « possible ». « Une telle réunion n’a pas été organisée, mais c’est une possibilité », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche.
La prudence de Tokyo
Le Japon fait lui aussi preuve de prudence face à la guerre en Israël puisque si son gouvernement a clairement dénoncé et condamné le Hamas, il s’est abstenu de le qualifier de « terroriste » et s’est contenté d’inviter les deux parties à la retenue. « Le Japon condamne fermement les attaques qui ont gravement touché des civils innocents », a déclaré dimanche 8 octobre le Premier ministre japonais Fumio Kishida sur X (anciennement Twitter). Un peu plus tard, le chef du gouvernement nippon a invité « toutes les parties concernées […] à faire preuve de la plus grande retenue », exprimant son inquiétude sur les risques de pertes en vies humaines à Gaza.
Sans jamais utiliser le terme de « terroriste », Fumio Kishida a évoqué les assaillants en nommant « le Hamas et d’autres militants palestiniens ». De plus, le Japon ne s’est pas joint aux États-Unis, au Royaume-Uni, à la France, à l’Allemagne ni à l’Italie dans leur déclaration commune lundi 9 octobre, où ces pays condamnent le Hamas et s’engagent à apporter leur soutien à Israël. L’une des raisons est à trouver dans le degré très élevé de la dépendance du Japon aux importations de pétrole brut en provenance du Moyen-Orient. Tokyo préfère donc temporiser avant de s’engager plus avant pour étudier les réponses qui seront celles des dirigeants de ces pays, en particulier l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Ces deux pays ont cherché ces dernières années à se rapprocher du Japon au moment où la puissance asitique s’efforce lui-même d’étendre ses liens diplomatiques dans le monde. Il s’agit de réduire sa dépendance presque totale à l’égard des États-Unis dans le domaine militaire face à la Chine et la Corée du Nord. Le Japon se fait l’avocat d’une formule à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien. « Le Japon est perçu par les nations arabes comme étant trop proche de son allié, les États-Unis, ce qui créé un obstacle pour lui dans sa recherche de sa propre voie [diplomatique] », explique Shuji Hosaka, directeur des études des économies du Moyen-Orient au Institut of Energy Economics, cité par le Nikkei Asia.
Par Pierre-Antoine Donnet
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