Officiellement, l’opération vise à stopper les tirs de roquettes du Hamas. Mais le véritable objectif d’Israël est de briser l’unité du peuple palestinien conquise par l’entrée du mouvement de résistance islamique dans le gouvernement palestinien d’unité nationale, mais aussi de maintenir le Hamas au pouvoir (mais militairement affaibli) afin de justifier la « prison à ciel ouvert » qu’est devenu Gaza après le retrait israélien de l’été 2005.
Pour bien comprendre la stratégie de Tel-Aviv dans sa guerre déclarée contre le terrorisme, il est nécessaire de comprendre la nature du conflit israélo-palestinien ainsi que l’essence même du sionisme. Israël a de son côté toujours tenté de présenter le conflit comme un conflit religieux ou ethnique. Force est pourtant de constater que la démographie joue dans cette affaire un rôle non négligeable. Et quand Théodore Herzl théorisait la création d’un État juif en Palestine, la question de la présence des populations arabes, largement majoritaires dans la zone où devait s’édifier l’État juif, se posait déjà. Inverser la donne et créer une majorité juive dans un territoire allant du Jourdain à la mer a toujours été le but ultime du sionisme. Pour l’atteindre, ses partisans ont utilisé tous les moyens possibles, notamment l’émigration de masse durant le mandat britannique et même le terrorisme, poussant les Palestiniens à quitter les maisons qui les avaient vu naître en vue de les repousser vers l’un des États arabes existants. Les mesures oppressives mises en place par les premiers colons à leur encontre n’avaient d’ailleurs d’autres buts que de favoriser l’occupation totale de la Cisjordanie.
Mais en dépit de cette politique déguisée de nettoyage ethnique, réalisée depuis plus de soixante ans avec le silence complice de l’Occident, le nombre de Palestiniens dans la zone bibliquement définie comme celle de la Terre promise n’a pas diminué. Il a même augmenté. Un rapport du bureau central palestinien des statistiques (BCPS) estime en effet qu’à l’horizon 2020, les Palestiniens seront plus nombreux que les Juifs sur l’entité formée par Israël et les territoires occupés. Selon le quotidien Haaretz, 5,8 millions d’Arabes vivent actuellement en Israël, en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est, contre six millions de Juifs. En 2016, ces populations devraient atteindre le même nombre d’individus avant de voir les deux courbes se croiser pour atteindre 7,2 millions en 2020, contre 6,9 millions de Juifs. Une situation qui s’explique en partie par un taux de fertilité de 4,4 enfants par famille dans la bande de Gaza. Moins qu’il y a quinze ans où ce même taux atteignait les six enfants par famille selon le Times of Israel, mais nettement plus que le taux de fertilité des Israéliens, stable à trois enfants par famille.
Les sionistes admettent implicitement qu’ils ne pourront jamais éradiquer la présence palestinienne. Ils se ainsi rabattus sur la solution qui consiste à regrouper autant de Palestiniens que possible sur de petits espaces… pour annexer le territoire restant. On comprend aisément que cette stratégie qui a pour but la colonisation de vastes zones en Cisjordanie n’est pas applicable à Gaza, une minuscule bande de terre sur laquelle s’entassent pas moins de deux millions de Palestiniens.
On comprend mieux aussi la politique menée par l’ex Premier ministre Ariel Sharon, qui a vu le désengagement de Gaza (où le Hamas - organisation « terroriste » aux yeux d’Israël et de l’Occident - a pris le pouvoir) et la poursuite en parallèle d’une féroce occupation en Cisjordanie… sur laquelle le modéré Mahmoud Abbas essaie tant bien que mal d’exercer le pouvoir dans les limites que l’État israélien veut bien lui consentir. Ainsi, retirer ses troupes d’une zone tenue par des « extrémistes » pour les concentrer sur une zone administrée par des modérés pouvait sembler a priori irrationnel. Mais tout ceci se concevait en réalité parfaitement, l’objectif étant en filigrane l’annexion des territoires.
Mais le projet sioniste se heurte à trois obstacles. Le premier réside dans la prise de conscience de la part de l’Occident que le statu quo qu’Israël aspire à prolonger indéfiniment pour poursuivre son processus de colonisation n’est plus acceptable. Et cette prise de conscience a connu sa manifestation la plus éclatante lorsque l’assemblée générale des Nations Unies a accepté la Palestine comme un État observateur par 138 voix (dont la France), 9 contre (dont les États-Unis, le Canada et Israël) et 41 abstentions (dont l’Allemagne et le Royaume-Uni), officialisant derechef la reconnaissance d’un État palestinien au niveau international.
Le second obstacle est l’émergence d’un nouvel équilibre mondial. Les États-Unis ont toujours été un allié précieux pour Israël. Même si l’Oncle Sam est toujours puissant aux niveaux diplomatique et militaire, il doit aujourd’hui composer avec d’autres puissances que sont par exemple la Russie et la Chine, traditionnels partisans de la cause palestinienne. Dans un tel contexte, les États-Unis n’ont plus la faculté (ni peut-être même la volonté) de contenir l’émotion du monde entier quand Israël exécute sa sale besogne.
Enfin, la tentative de recomposition des factions palestiniennes et la naissance d’un gouvernement d’unité nationale sont vécues par l’entité sioniste comme une menace mortelle pour ses objectifs expansionnistes, et ce pour deux raisons. La première est que la division des Palestiniens en deux factions dont une seule reconnaît le droit à l’existence d’Israël (le Fatah) a toujours été la raison officielle avancée par l’entité sioniste pour ne pas concéder la pleine autonomie à un État palestinien. Tel-Aviv affirme en effet que la Palestine tout entière pourrait se transformer en un nouveau Gaza si le Hamas venait à s’emparer du pouvoir. La seconde raison est qu’un État palestinien en bonne et due forme, c’est-à-dire permettant à ses ressortissants la liberté de circulation, ferait augmenter considérablement la population arabe en Cisjordanie, rendant ainsi impossible la création d’Eretz Israël cher. Les plans sionistes s’en trouveraient contrecarrés.
Le millier de morts palestiniens depuis la dernière offensive de Tsahal est malheureusement susceptible d’augmenter comme en témoigne le refus obstiné d’Israël d’accepter tant la réalité de l’échec de son projet que la présence de deux peuples, désormais numériquement équivalents, sur le territoire de la Palestine historique. Pourtant, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les sionistes avaient assuré aux Occidentaux ceci : « aidez-nous à avoir un État et nous serons les dignes représentants de la civilisation et de la démocratie ». Sous-entendu : nous serons les garants de la civilisation.
Or, depuis maintenant près de soixante-dix ans, l’entité sioniste nous montre tous les jours comment elle conçoit cette dernière. Elle ne cesse d’amplifier la création de nouvelles colonies et pratique délibérément la politique d’occupation des sols. Elle viole quotidiennement le droit international et dénie de facto au peuple palestinien de disposer de lui-même. Elle essaie depuis 1948 de fermer la voie à toute discussion sur le droit au retour et le retire de la table des négociations avant tout accord, si minime soit-il. Les résultats négociés ne peuvent être ainsi que ridicules. Or, les droits s’obtiennent par la lutte et le droit au retour s’impose de lui-même.
Jusque-là, l’entité sioniste n’avait aucune difficulté à négocier sur sa dernière exigence de judaïser Israël parce qu’on avait cessé de poser la condition de son existence. La protection des États-Unis et des Européens bienveillants à son égard en avait fait de facto un État intouchable. Mais le monde change et le projet sioniste a manifestement du plomb dans l’aile. Il est donc aujourd’hui plus que jamais temps de rebattre les cartes.
Capitaine Martin
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