Édition du 19 novembre 2024

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LGBT

L’extrême droite au pouvoir en Italie s’en prend aux enfants de mères lesbiennes

Un an après l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie, des enfants de couples lesbiens risquent de se retrouver orphelins, à la suite d’attaques légales du gouvernement. Reportage à Padoue, où une série d’audiences vient d’avoir lieu à ce sujet.

Photo et article tirés de NPA 29

Caterina, Eva, Ettore, Leonardo, Federico, Emanuele, Cesare, Alessandra, Davide, Adele, Elia, Noah, Bianca, Gabriele… L’air grave, face aux caméras, tenant des drapeaux rose et arc-en-ciel, des personnes font résonner ces noms devant le tribunal de Padoue. Ce sont les prénoms de 37 enfants, tous nés après 2017, que des membres de l’association italienne de familles homoparentales Famiglie Arcobaleno (en français, « familles arc-en-ciel ») énoncent, un à un. Ces enfants ont chacun deux parents. Deux mères. Mais, bientôt, ils pourraient n’avoir plus qu’un parent légal.

Au tribunal de Padoue se sont tenues le 14 novembre 2023 les cinq premières audiences d’une série de procès civils qui remettent en cause les actes de naissance sur lesquels figurent deux mères. Depuis 2017, année où la ville est passée à gauche, Padoue enregistre sur l’acte d’état civil les mères non biologiques d’enfants nés de couples de femmes. La procédure est motivée par « le principe qu’il faut assurer la plus grande protection possible aux nouveau-nés qui ont, comme tous les autres, deux parents, même si, dans ce cas, il s’agit de deux mères  », souligne la mairie dans un communiqué le jour de l’ouverture des audiences.

«  En tant que maire, j’ai le devoir de protéger la dignité des personnes avant tout, de protéger tout un chacun des situations qui les exposent à des discriminations et à des risques inacceptables. Cela s’applique d’autant plus lorsqu’il s’agit de petites filles et de petits garçons », précise le maire de Padoue Sergio Giordani (de centre gauche). Puisque rien ne l’interdit dans la loi, le maire, en tant qu’officier de l’état civil, a décidé en 2017 d’inscrire à celui-ci les mères non biologiques d’enfants nés au sein de couples lesbiens. Cela, tout en informant le bureau du procureur (comme le prévoit la démarche), et ce « sans jamais recevoir de contre-arguments », insiste la mairie. Jusqu’au printemps dernier.

« C’est l’amour qui crée une famille
 »

Le 23 mars 2023, la procureure de Padoue, Valeria Sanzari, annonce la remise en question de ces actes de naissance qui comprennent deux mères. «  Le ministère public peut demander au tribunal d’apprécier la nullité de l’acte [de naissance] lorsque l’homme est indiqué comme mère et la femme comme père. Autrement dit, lorsque deux parents du même sexe sont indiqués  », a rapporté le quotidien local Il Gazzettino en juin dernier, au moment de l’envoi des notifications aux familles. La série d’audiences au tribunal de Padoue est la conséquence directe de cette décision du parquet de remettre en cause les actes de naissance.

Le timing n’est pas anodin : c’est avec l’arrivée du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, à l’automne 2022, que les attaques contre les familles homoparentales ont fait surface en Italie. Début 2023, seulement quelques mois après l’élection de Giorgia Meloni, le ministère de l’Intérieur a émis une circulaire, demandant aux maires de cesser l’enregistrement des parents non biologiques des couples homosexuels sur les actes de naissance de leurs enfants. L’annonce du parquet de Padoue en découle.

Georgia Meloni (du parti Frères d’Italie) n’a jamais caché son hostilité envers les personnes LGBTQI+. Déjà en 2019, lors d’une manifestation unitaire de la droite organisée par Matteo Salvini (d’un autre parti d’extrême droite, la Ligue), elle avait fustigé ceux qui voulaient « retirer les mentions père et mère des documents  » comme des « ennemis de l’identité de genre et de la famille ».

« Nous sommes un sujet qui divise, alors il est facile de nous utiliser comme prétexte », avance Iryna Shaparava, référente de l’association Famiglie Arcobaleno à Padoue, vêtue d’un sweatshirt rose aux couleurs de son association. Dans son dos, le slogan de l’organisation résume ses revendications : « C’est l’amour qui crée une famille. »

La militante est aussi mère. Son parcours pour créer une famille avec sa compagne a été semé d’obstacles. « J’ai procédé à l’adoption, par une procédure qui me permet d’adopter l’enfant de ma conjointe. Cela a pris presque trois ans, nous avons eu 12 séances avec des assistantes sociales », retrace-t-elle. C’était un « calvaire  », dit-elle, tant la procédure a été laborieuse. Les deux femmes ont dû prouver maintes fois leur capacité à être parents, montrer qu’elles étaient de bonnes mères, prouver chaque aspect de leur vie familiale déjà installée. «  Nous nous sommes senties humiliées », résume Iryna. Sans l’enregistrement de la deuxième mère sur l’acte de naissance par une municipalité volontaire comme Padoue, ce parcours du combattant de l’adoption est l’unique recours possible pour ces mères.

Ce qui se joue au tribunal de Padoue est politique. C’est l’avenir des familles homoparentales dans le pays qui est en jeu. «  Plus que d’effacer une mère d’un acte de naissance, le parquet veut effacer un droit fondamental », dénonce l’avocat de quinze des familles, Michele Giarratano, à la presse. Des affaires du même type avaient eu lieu à Milan, rappelle le conseil, mais le parquet n’avait remis en cause que les actes les plus récents. Ici, la circulaire a été appliquée de manière rétroactive, englobant tous les actes émis depuis 2017. « Certains enfants ont jusqu’à six ans et demi. Il y a donc un élément supplémentaire à prendre en compte, qui touche à l’intérêt de l’enfant : conserver une identité sociale et maintenir une situation familiale qui a structuré leur vie  », souligne l’avocat.

Des mères risquent de perdre leurs droits parentaux

Sur la petite place en face du palais de justice, des membres de Famiglie Arcobaleno arborent le même pull fuchsia qu’Iryna, parfois caché sous un manteau pour braver le froid automnal. Les poignets entourés d’un même fil rose, les mères et les membres de l’association répètent : « Nous sommes toutes ces familles ». Les personnes brandissent des morceaux de papier blanc sur lesquels sont imprimés les noms des enfants. Un moyen de montrer que toutes et tous sont concernés par ces procès.
«  Si ma compagne meurt, mes enfants seront considérés comme orphelins »

« Le soutien de l’association a été essentiel pour nous  », raconte Manuela, jetant un coup d’œil reconnaissant aux personnes autour d’elle. Avec sa compagne Roberta, elles sont venues ce matin de Vérone. Manuela est la mère dite « sociale » de leurs trois enfants, Emma, sept ans, et Ettore et Eva, des jumeaux de trois ans. Elle a adopté leur première fille, mais les deux suivants sont nés à Padoue et ont été enregistrés à l’état civil avec leurs deux mères. À l’issue du procès, elle pourrait perdre ses droits parentaux envers ses jumeaux.

«  Je ne pourrai plus les accompagner à l’école, ou les emmener à l’hôpital en cas d’urgence. Et si ma compagne meurt, mes enfants seront considérés comme orphelins, explique la mère derrière ses épaisses lunettes noires. On n’a pas encore expliqué à nos enfants ce qu’il se passe. Pour eux, la famille est un point de repère stable. Leur expliquer que quelqu’un veut détruire cette forteresse, c’est trop difficile pour des enfants si jeunes. Alors, on attend avant de leur dire qu’il y a quelqu’un de mauvais qui veut leur retirer une maman.  »

Les audiences se tiennent toutes les semaines, les mardis, jusqu’à Noël. Les militantes et militants aux sweats rose fuchsia de Famiglie Arcobaleno, pour beaucoup des parents LGBTQI+ aussi, promettent d’être là jusqu’au bout. Les premiers jugements seront rendus d’ici quelques semaines.

Mais la Cour constitutionnelle italienne pourrait être appelée à s’exprimer rapidement sur la question à la demande de la nouvelle procureure. Car le ministère public a changé de position depuis le printemps 2023. « Le ministère public a expliqué qu’il avait contesté les actes de naissance pour montrer qu’il y avait un vide juridique et a donc demandé au tribunal de transmettre les documents à la Cour constitutionnelle pour soulever une question de constitutionnalité, explique le quotidien national Il Post. La transmission des actes à la Cour n’est pas automatique : le tribunal décidera de la suite à donner à l’issue des 33 audiences, dont la dernière est fixée au 22 décembre. »

Pour les familles homoparentales, c’est une bonne nouvelle, apprise à l’issue de la première audience. Leur situation, comme le sous-entendait le ministère de l’Intérieur dans sa circulaire, n’est peut-être pas illégale. Si elle arrive, la clarification de la Cour constitutionnelle permettrait d’éclairer la situation pour les parents de tout le pays. « On peut transformer ce qui est né comme une attaque politique aux familles arc-en-ciel en une occasion de combler les vides juridiques pour éviter que ces discriminations ne se reproduisent dans le futur  », se félicite, sur le réseau social TikTok, la députée de gauche Rachele Scarpa.

La mairie de Padoue continue, pendant ce temps, d’enregistrer les parents de même sexe sur les actes de naissance de leurs enfants, puisqu’il ne leur a pas été formellement interdit de le faire. Cela fait gagner quelques précieux mois après la naissance de leur enfant aux familles, avant une éventuelle remise en cause du second parent. Mais pour combler ces failles juridiques qui rendent ces familles si précaires, les parents LGBTQI+ d’Italie demandent d’urgence une loi pour les protéger.

Emma Bougerol 22 novembre 2023

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