Les larmes étaient aussi liées à d’agréables anticipations. Entendre un nouveau président utiliser l’expression toute roseveltienne « we’re all in this together [1] » dans son discours, au lieu de celle de Reagan « Every man for himself [2] » implique la fin d’une ère politique. On a eu l’impression de vivre le premier souffle de vie de l’autre Amérique.
Transcender notre passé, commencer un nouvel avenir- ce sont des entreprises exigeantes dont la complexité et l’incertitude expliquent l’appréhension que plusieurs ont ressenti en même temps que leur allégresse.
Même si les festivités et les interventions truffées de superlatifs dans les médias ont tenté de ne laisser place qu’au bonheur, ce n’est que naturel de ressentir une pointe d’anxiété lorsqu’on célèbre aux limites d’un abysse.
Les Américains sont certainement suffisamment optimistes pour qu’Obama pose des gestes audacieux. Mais avec les échecs du « enrichissez-vous au plus vite » qui suppurent dans tous les recoins de l’économie, dur de croire que le sauvetage soit même possible. Les mêmes personnages faisant la loi à Wall Street et à Washington, les discours sur la résilience américaine tendent à ressembler plus à un somnifère qu’à un véritable remède à la hauteur du mal.
Tout en célébrant la victoire d’Obama comme un pas de plus vers l’accomplissement du rêve de Martin Luther King jr., les Afro-Américains en craignent aussi les effets pervers. Selon les répondants à un sondage le racisme ne serait plus un problème dans le pays. Les leaders noirs ont peur que cette élection soit utilisée comme une excuse pour nier les inégalités toujours présentes dans la société. Comme le dit le fils du Dr. King, « L’élection d’Obama ne résout pas le problème des relations raciales dans ce pays. »
Est-ce que l’Amérique blanche peut accepter cette évidence ?
En pensant aux générations futures, parents et jeunes gens se demandent si notre gouvernement, même dirigé par un penseur inspiré, peut mobiliser les volontés pour combattre sur le front des changements climatiques.
Sommes-nous dans le vaisseau spatial Apollo 13 en route pour une reprise en main victorieuse ou à bord de la navette Challenger qui explosera ? Le plus opaque dans tout ça, c’est Obama lui-même.
Si vous éliminez toutes les platitudes qui décrivent notre président comme un post-partisan, un pragmatique post-racial, vous trouverez un leader qui nous organise autour de l’optimisme. Ensuite, examinez son comportement depuis l’élection, vous entrez dans le doute. La composition de son cabinet loin d’être inspirante, son appui au plan de sauvetage du secteur financier présenté par G. Bush, son adhésion aux baisses d’impôts insensées pour les corporations, tout cela soulève des questions. Obama est-il décidé à faire la différence entre ses deux thèmes de campagne : l’espoir et le changement ?
Si les deux nous ont manqué depuis des années, la distance qui les sépare des politiques gouvernementales donne une idée de celle qui existe entre l’ambition et l’accomplissement.
L’espoir est un plat assaisonné avec « peut », le mot qui a servi à demander aux banques et aux pollueurs de se discipliner eux-mêmes. Le changement se décline avec « doit », un terme qui force celui à qui il est adressé à se conformer.
L’espoir est télégénique, provoque des sourires et des textes poignants. Le changement représente le boulot pénible, parfois déprimant, les inconfortables confrontations qui viennent avec la contestation du pouvoir et le fait d’adopter des lois qui transforment le cours des choses.
Si beaucoup ont pleuré cette semaine c’est que le changement est en vue maintenant. Mais nos angoisses sont toujours présentes. Elles ne minent pas l’euphorie ni ne diminuent la « Promesse-Obama ». Mais elles soulignent qui nous avons peur des espoirs qui ne seraient que mirages et nous prions pour que cette fois nous ne soyions pas que dans l’illusion.
David Sirota [3] , San Francisco Chronicle, 23 janvier 2009
Traduction, Alexandra Cyr