Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Jill Stein, candidate à la présidence

Jill Stein, candidate à la présidence et Butch Ware, candidat à la vice-présidence pour le Parti vert font le point sur Gaza et la bataille contre « deux partis politiques zombies »

Tiré de Democrcy Now
https://www.democracynow.org/2024/9/25/green_party_jill_stein_butch_ware
Traduction Johan Wallengren
LE 25 SEPTEMBRE 2024

Democracy Now ! s’entretient avec Jill Stein et Butch Ware, qui se présentent respectivement comme présidente et vice-président pour le Parti vert à l’élection présidentielle. Un développement récent est le revers qu’a subi le Parti vert vendredi quand la Cour suprême des États-Unis a rejeté une demande de faire figurer Jill Stein sur les bulletins de vote dans le Nevada. Le Parti démocrate avait intenté une action en justice pour empêcher Jill Stein d’y figurer au motif qu’elle n’aurait pas soumis les formulaires appropriés. Au cours du présent cycle de campagne, les démocrates se sont battus pour empêcher le Parti vert d’être représenté à l’élection présidentielle, tandis que certains partisans de Trump, y compris un de ses anciens avocats, ont aidé le Parti vert avec l’accès aux bulletins. «  Ils sont terrifiés à l’idée de nous affronter vraiment devant le tribunal de l’opinion publique et d’avoir un vrai débat sur les crises auxquelles le peuple américain est confronté et sur les vraies solutions que nous sommes les seuls à avoir mis sur la table, déclare Jill Stein. Le peuple américain est en crise dans pratiquement toutes les sphères de la vie citoyenne ». Cette troisième candidature de Jill Stein à la présidence reçoit le soutien de certains milieux en raison du refus de la vice-présidente Kamala Harris d’appeler à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Le Conseil des relations américano-islamiques (Council on American-Islamic Relations ou CAIR) a récemment publié les résultats d’un sondage qui place Jill Stein devant Kamala Harris chez les électeurs musulmans dans trois États clés : Arizona, Michigan et Wisconsin. « Les efforts déployés pour tenter d’imputer la défaite inévitable des démocrates à des partis tiers ou à des musulmans est fallacieux, pour dire le moins, déclare M. Ware, historien et professeur musulman. Tous les efforts visant à protéger le camp bleu, à permettre aux démocrates de se dédouaner des forfaits dont ils sont les auteurs, sont les incarnations d’un même mal. »

Transcription
Ceci est une traduction de la version la plus immédiate de la transcription, qui pourrait ne pas être finale.

AMY GOODMAN : Bienvenue à Democracy Now !, democracynow.org, volet « Guerre, paix et présidence ». Mon nom est Amy Goodman et j’ai à mes côtés Juan González.
À moins de six semaines du jour du scrutin, nous recevons la candidate du Parti vert à l’élection présidentielle, Jill Stein, et son colistier, Butch Ware, professeur à l’Université de Californie à Santa Barbara (University of California Santa Barbara ou UCSB). Vendredi, le Parti vert a essuyé un revers quand la Cour suprême des États-Unis a rejeté la demande de faire figurer Jill Stein sur les bulletins de vote du Nevada dans le cadre de l’élection présidentielle. Le Parti démocrate avait intenté une action en justice pour empêcher Jill Stein de figurer sur ces bulletins de vote, au motif qu’elle n’avait pas soumis les formulaires appropriés.

Cette décision intervient alors que le soutien à Jill Stein s’est accru dans certains milieux en raison du refus de la vice-présidente Kamala Harris d’appeler à un embargo sur les armes à destination d’Israël. Le mois dernier, le CAIR a publié les résultats d’un sondage plaçant Jill Stein devant Kamala Harris parmi les électeurs musulmans dans trois États clés : Arizona, Michigan et Wisconsin. Le Conseil des affaires publiques musulmanes (Muslim Public Affairs Council ou MPAC) a par ailleurs récemment déclaré soutenir la candidate Stein.
C’est la troisième fois que Jill Stein se présente à une élection présidentielle. De nombreux démocrates la considèrent comme une candidate trouble-fête, pointant l’élection de 2016 où Hillary Clinton avait perdu de justesse face à Donald Trump – les voix qui lui manquaient face à Donald Trump en Pennsylvanie, dans le Michigan et dans le Wisconsin représentaient moins que celles obtenues par Jill Stein. Au cours du présent cycle de campagne, les démocrates se sont battus pour empêcher le Parti vert d’être représenté électoralement, tandis que certains partisans de Trump ont aidé le Parti vert avec l’accès aux bulletins. L’ancien avocat de Trump Jay Sekulow a récemment représenté le Parti vert dans le cadre de sa plaidoirie devant la Cour suprême des États-Unis pour être représenté sur les bulletins de vote du Nevada. Cependant, Jill Stein, comme Ralph Nader avant elle, a décrit sa campagne comme une lutte contre le duopole bipartite aux États-Unis.
Jill Stein se joint à nous depuis Boston, et Butch Ware, depuis Santa Barbara, où il enseigne l’histoire de l’Afrique et de l’islam, à l’UCSB).

Nous vous souhaitons à tous les deux la bienvenue à Democracy Now ! Pour commencer, Jill Stein, pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous présentez à l’élection présidentielle ? Qu’est-ce qui est le plus important à vos yeux en ce moment ?

JILL STEIN : Eh bien, je vais vous le dire. Le peuple américain est en crise dans pratiquement toutes les sphères de la vie citoyenne, qu’il s’agisse de la crise des soins de santé ou de celle des produits pharmaceutiques inabordables. Quelque huit millions d’Américains n’ont pas les moyens d’acheter leurs médicaments. Dix-huit millions d’Américains sont tombés sous le seuil de pauvreté à cause du coût des soins de santé durant la dernière année pour laquelle des données sont disponibles. La moitié des Américains luttent pour garder un toit au-dessus de leur tête, subissant de lourdes pressions économiques et se débattant pour payer leur loyer. Et nous dépensons la moitié de l’argent du Congrès dans une machine de guerre insatiable, dont… la guerre génocidaire contre Gaza est un exemple de ce à quoi le peuple américain s’oppose avec véhémence.

Le peuple américain réclame d’autres options. Vous savez, personne n’est en droit de leur refuser ça et de prétendre que les deux partis politiques zombies, qui ont si mal servi le public américain, sont les seules options ! Vous savez, la démocratie repose sur la concurrence. Le peuple américain ne demande pas mieux que d’avoir d’autres options. Les américains ont le droit de savoir en quoi consistent ces options.

C’est révélateur au possible que les démocrates fassent feu de tout bois pour discréditer le Parti vert, notamment en se faisant trompeusement passer pour ses représentants, en louant les services d’infiltrateurs et d’espions – recrutés sur la place publique – et en engageant une armée d’avocats, selon leurs propres termes, pour littéralement empêcher leurs concurrents de figurer parmi les candidats à l’élection, tout simplement parce qu’ils sont terrifiés à l’idée de nous affronter vraiment devant le tribunal de l’opinion publique et d’avoir un vrai débat sur les crises auxquelles le peuple américain est confronté et les vraies solutions que nous avons été les seuls à mettre sur la table. Ces solutions comprennent un programme de soins de santé universel, des études supérieures gratuites dans le système public, un contrôle des loyers à l’échelle du pays et 15 millions de logements dits sociaux susceptibles de répondre à nos besoins en matière de logement, la réduction du budget militaire et, par-dessus tout, la fin de la guerre génocidaire contre Gaza – une écrasante majorité du peuple américain veut qu’on y mette fin – on n’est pas loin d’une super-majorité qui soutient un embargo sur les armes en ce moment même.
Et avec l’expansion de la guerre opérée par Israël, non seulement en Cisjordanie, mais aussi maintenant au Liban, la situation est extrêmement, extraordinairement dangereuse. Et quand nous entendons l’administration Biden-Harris dire que, oh, elle ne peut rien faire, elle a les mains liées, c’est absolument faux. Il suffirait de faire comme Ronald Reagan et de passer un simple coup de fil pour dire à Israël que c’en est fini de cette offensive génocidaire.

JUAN GONZÁLEZ : Jill Stein, je voulais vous demander… l’immigration et la protection des frontières sont devenues une question clé dans cette élection. Un débat fait rage au pays à ce sujet. En quoi vos propositions diffèrent-elles de celles de Donald Trump ou de Kamala Harris ? Comment vous démarquez-vous ?

JILL STEIN : Oui. Et en effet, nous avons vu Kamala Harris et le Parti démocrate virer à droite et continuer de marcher dans les pas de Donald Trump, en adoptant essentiellement les mêmes politiques. Nous avons une approche très différente. Selon nous, la chose la plus importante que nous puissions faire pour résoudre la crise migratoire est de cesser de la provoquer en premier lieu par des opérations de changement de régime, par le néocolonialisme et la domination économique, par la crise climatique et par la guerre contre les drogues.

Il y a des choses que nous pouvons faire dès maintenant pour obtenir un relâchement des pressions qui poussent les gens à chercher refuge à nos frontières. Parmi ces choses, dès le premier jour de notre administration, nous légaliserions la marijuana et nous agirions pour affaiblir le pouvoir des cartels de la drogue, qui sont à l’origine de violences et de ravages dans de nombreux pays, particulièrement dans ceux au sud de notre territoire. Nous ne renverserions pas d’autres gouvernements démocratiquement élus, comme ça a été fait, par exemple, avec la présidence d’Aristide en Haïti, que nous avons renversée à deux reprises – et par la suite, les États-Unis, sous l’administration de la secrétaire d’État Hillary Clinton, sont intervenus et ont annulé une loi sur le salaire minimum qui avait fait passer le salaire minimum d’un maigre 30 cents de l’heure à 60 cents de l’heure, mesure qui a été annulée par le pouvoir américain après que nous avons renversé le gouvernement démocratiquement élu d’Haïti.

Alors, vous savez, ce n’est pas une surprise, avec toutes les crises que les États-Unis ont provoquées par leur domination économique, leur néocolonialisme, leurs opérations de changement de régime, leur guerre contre la drogue – qui ont particulièrement touché les pays au sud de notre territoire – et leur incapacité à prendre des mesures réelles et concrètes pour lutter contre la crise climatique qui a poussé tant de millions d’agriculteurs à fuir parce qu’ils n’ont aucun moyen de subvenir à leurs besoins à cause de l’aggravation des sécheresses et d’autres manifestations de l’instabilité du climat. Il y a tant de choses que nous pouvons faire, non seulement pour réduire notre propre production de combustibles fossiles, qui a grimpé en flèche en fait, sous les administrations démocrates, bien plus que sous les administrations républicaines, et qui n’est pas traitée de manière adéquate par la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act ou IRA), qui donne plutôt la priorité aux combustibles fossiles – si nous avons le temps d’en parler – mais nous n’appliquons pas, savez-vous, les nombreuses solutions que nous pourrions apporter dès maintenant et qui permettraient de réduire la pression venant de la crise à la frontière.

Et la dernière chose à ajouter ici, c’est qu’au lieu de dépenser des milliards de dollars pour un mur, qui ne fait que tuer des gens, tuer la faune et la flore, détruire des écosystèmes, nous pourrions plutôt investir ces dollars de manière à veiller à ce que les procédures aux frontières – contrôle de l’identité et vérification des antécédents et puis délivrance des documents de travail – soient effectuées dans des délais serrés. En effet, une fois que les migrants sont entrés au pays avec des papiers qui leur permettent de travailler – où qu’ils décident de s’installer – ils représentent un formidable apport économique, qui se chiffre bel et bien en billions de dollars, pour ce qui est du développement économique. Si les migrants pouvaient obtenir du travail, nos communautés se feraient concurrence pour les attirer au lieu de les laisser sur la touche. Non seulement ceux-ci injectent de l’argent dans l’économie, mais c’est un fait qu’ils contribuent énormément au développement économique et aux revenus fiscaux de toute communauté qui les accueille.

JUAN GONZÁLEZ : Et, Dre Stein, je voudrais revenir à ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet de Gaza. Ce mois-ci, le CAIR a publié un sondage qui vous place devant Kamala Harris parmi les électeurs musulmans dans des États clés, comme le Michigan, l’Arizona et le Wisconsin. Or, le National Uncommitted Movement, qui est un mouvement national qui choisit de ne soutenir aucun des candidats des deux grands partis, a également décidé de ne soutenir aucun candidat d’un parti tiers. Je me demande ce que vous en pensez.

JILL STEIN : [inaudible] et la communauté musulmane américaine n’est pas simplement homogène. Mais les sondages du CAIR étaient très complets. Il se trouve que ces personnes réfractaires ne représentent qu’un petit sous-ensemble de cette communauté plus large. Et ce que ressent cette communauté élargie est très clair. Les gens sont furieux parce que tant de membres de leur famille ont été tués, vous savez, des gens qui ont perdu des dizaines de membres de leur famille, voire bien plus, même des centaines.
Il serait facile pour les démocrates de récupérer ces votes s’ils le voulaient. Mais il est plus important pour eux de poursuivre le génocide à Gaza que de gagner cette élection. Et sans le soutien du vote musulman, ils ne gagneront pas cette élection, ils ne le peuvent tout simplement pas. C’est donc entre leurs mains. Ils ont le pouvoir de faire ce qu’il faut pour reconquérir ce vote très aliéné et désemparé, qui n’ira pas vers les démocrates tant qu’ils continueront de perpétrer ce génocide. Ça dépend donc d’eux. Ils ne peuvent pas rejeter la faute sur autrui. Ils ont perdu ce soutien. Et le peuple américain et les peuples du monde, vous savez, méritent… méritent une option qui est véritablement en accord avec la majorité de l’opinion américaine, pas seulement l’opinion des musulmans, mais la majorité de l’opinion américaine et du monde entier.

AMY GOODMAN : Dre Stein, avant que vous ne choisissiez Butch Ware comme colistier, plusieurs militants palestiniens et arabes de premier plan ont déclaré avoir été approchés par votre équipe, notamment Abed Ayoub, directeur du Comité américano-arabe contre la discrimination (American-Arab Anti-Discrimination Committee), et l’avocate et professeure palestino-américaine Noura Erakat. Professeure Erakat a tweeté : « J’ai proposé d’accepter d’être colistière s’ils étaient disposés à reporter leurs voix advenant que les démocrates remplissent leur promesse de cessez-le-feu permanent et d’embargo sur les armes. L’idée était d’utiliser la marge de Jill Stein dans trois États clés pour obtenir de telles concessions. Si nous sommes convaincus que les démocrates n’accepteront jamais de telles concessions, alors il n’y a rien à perdre. Ce serait aussi un signal clair à lancer à ceux qui n’hésiteraient pas à mettre une croix sur les Palestiniens, les Arabes américains et les musulmans américains : si vous perdez face à Trump, vous aurez été l’artisan de votre propre malheur. Le Parti vert a rejeté cette proposition parce qu’il doit tenir compte de sa base élargie et de la viabilité du parti. Je comprends ça, mais ma priorité à ce moment-ci est de faire tout ce que nous pouvons pour mettre fin au génocide en utilisant tout le potentiel d’influence que nous avons », a écrit Pre Noura Erakat. Quels sont vos commentaires, Dre Stein ?

JILL STEIN : Oui. Permettez-moi de dire que mettre fin au génocide à Gaza ne se fait pas en criant ciseau. Frederick Douglass l’a exprimé ainsi : « Le pouvoir ne concède rien si on ne lui demande rien. Il ne l’a jamais fait et ne le fera jamais ». Le Parti vert est là pour continuer à exercer cette pression. Juste arracher une promesse avant une élection est une manœuvre précaire. Les démocrates pourraient être d’accord pendant une semaine, puis se dire : « Oh, les circonstances ont fait que nous sommes revenus à la poursuite de la guerre. » Il ne faut donc surtout pas désarmer unilatéralement dans ce genre de situation. Ce serait extrêmement inefficace.

Plus de pouvoir à Noura Erakat, dont la voix puissante porte loin ! Certains d’entre nous sont, disons, dans l’arène politique depuis un bon bout de temps et ont eu le temps d’observer comment ces diverses stratégies fonctionnent ou ne fonctionnent pas. Et arracher une simple concession sans… vous savez, sans garantie permanente est une proposition très risquée, en particulier parce que, en tant que parti tiers indépendant, les obstacles à l’obtention du statut de candidat inscrit sont si énormes que si vous déposez simplement les armes et abandonnez la course, vous perdez votre statut de candidat inscrit, et vous perdez sur tous les tableaux, sans retour en arrière possible. En continuant à nous présenter aux élections présidentielles, nous conservons notre accès à ces élections et sommes en mesure de continuer à faire pression sur cet empire très imprudent et dangereux – ce qui est un problème non seulement à Gaza, vous savez, mais dans tout le Moyen-Orient et dans le monde entier. Nous sommes en ce moment même engagés dans deux guerres chaudes proches de devenir nucléaires et dans une troisième guerre froide proche de devenir chaude. Alors...

AMY GOODMAN : Laissez-moi...

JILL STEIN : … vous savez, ça n’a pas de sens -

AMY GOODMAN : … permettez-moi de vous poser une autre question.

DR. JILL STEIN : … de laisser aller tout ça. Oui ?

AMY GOODMAN : Je me dépêche juste parce que nous n’avons pas beaucoup de temps. Mais la députée démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a été interrogée lors d’une récente session Instagram Live sur le vote pour le tandem du Parti vert en novembre. Voici ce qu’elle a répondu.

ALEXANDRIA OCASIO-CORTEZ : Ce qui me pose problème, c’est que si vous vous présentez à l’élection présidentielle, vous êtes de facto le chef de votre parti. Et tout d’abord, vous pouvez me faire confiance, je me présente comme candidate d’un parti tiers à New York. Je me présente également en tant que candidate du Parti des familles travailleuses (Working Families Party ou WFP), en plus de ma candidature en tant que démocrate, parce que, croyez-moi, j’ai exprimé publiquement mes critiques à l’égard du système bipartite. Ce n’est donc pas de ça qu’il s’agit. Mais vous êtes chef de votre parti. Et si vous vous présentez pendant des années et des années et des années et des années de suite et que votre parti ne se renforce pas et que vous n’ajoutez pas de sièges à des conseils municipaux, ni de candidats aux scrutins inférieurs, ni non plus d’élus au niveau de l’État, c’est une mauvaise façon de diriger. Et ça, pour moi, c’est ce qu’il y a de dérangeant. ... Et tout ce que vous faites, c’est vous présenter une fois tous les quatre ans pour parler devant des gens qui sont à juste titre en colère, mais si vous ne faites que vous présenter une fois tous les quatre ans pour faire ça, c’est que vous manquez de sérieux. Vous n’êtes pas… pour moi, ce n’est pas perçu comme authentique. C’est perçu comme de la prédation.

AMY GOODMAN : Voilà donc les propos d’Alexandria Ocasio-Cortez, élue au Congrès et représentant une circonscription de New York. Dr. Jill Stein, pouvez-vous commenter ?

JILL STEIN : Eh bien, tout d’abord, nous ne disparaissons pas entre les élections présidentielles. Ce qui disparaît, c’est la couverture médiatique. Vous savez, je suis désolée si vous êtes seulement à l’écoute des médias grand public et que vous croyez à la propagande selon laquelle nous disparaissons... Non, nous sommes là. Nous travaillons. Nous faisons le travail.

Nous avons dans les faits élu quelque 1 500 fonctionnaires locaux au cours des deux dernières décennies environ. Nous avons actuellement 150 élus locaux. Nous devons nous présenter au niveau national, malheureusement, en raison des règles établies par les démocrates et les républicains. Ces règles nous obligent… pour conserver notre accès aux bulletins présidentiels et nous présenter en tant que Verts à des niveaux inférieurs, nous devons en fait nous présenter, dans de nombreux États, au niveau présidentiel. Alors nous n’avons pas le choix.

Par ailleurs, on ne peut pas comparer les Verts, qui sont un parti par et pour le peuple, ciblé par des attaques venant en bonne partie des démocrates, au WFP, qui n’est pas vraiment un parti tiers. C’est une échappatoire pour les démocrates qui veulent figurer sur un bulletin, soit pour des démocrates actuels, soit pour des indépendants en passe de devenir démocrates. Du fait de ce statut, il n’est pas attaqué par le Parti démocrate. Et ce qui détruit les partis tiers… et, soit dit en passant, les Verts sont le géant des partis tiers… alors c’est à tous les autres partis tiers authentiques, qui existent par et pour le peuple, que nous devrions être comparés.

Nous sommes les seuls à réussir à nous battre encore et, vous savez, à survivre jour après jour pour continuer la lutte. Et quand on se bat contre des vents contraires aussi puissants, il faut tirer fort sur les voiles pour développer ses soutiens. Et au cours des trois courses présidentielles auxquelles j’ai participé… et Alexandria Ocasio-Cortez a tort sur ce point : je ne me suis pas présentée tous les quatre ans, puisque je ne me suis pas présenté à la dernière élection… Mais il est très important que le parti continue sur sa lancée pour être reconnu comme la solution de rechange aux partis de la guerre et de Wall Street.
Ce n’est donc pas comme si nous ne bougions pas. Nous sommes en fait soumis à une pression énorme, qui a essentiellement tué les autres petits partis, parmi lesquels on peut citer : le Parti des travailleurs (Labor Party), qui a été lancé à peu près en même temps que les Verts ; le Parti paix et liberté (Peace and Freedom Party), qui n’a réussi à être représenté électoralement que dans 14 États (et il leur est arrivé, avec les vents contraires, de n’être représentés que dans deux États seulement) ; les partis socialistes, qui traditionnellement étaient représentés électoralement partout au pays… et qui ont été marginalisés au point de n’être représentés qu’à un conseil municipal ici ou là : ils ne sont représentés nulle part aux présidentielles, à l’exception du Parti du socialisme et du travail, euh non, de la libération (Party of Socialism and Liberation ou PSL), qui est représenté seulement en Californie. Ainsi, les vrais partis tiers qui existent par et pour le peuple, qui ne reçoivent pas leurs ordres de la machine de guerre, du Comité des affaires publiques Amérique-Israël (American Israel Public Affairs Committee ou AIPAC), des grandes pharmaceutiques, nous avons… nous sommes dans un tout autre bateau, que ne connaît pas Alexandria Ocasio-Cortez.

Et je vais juste, vous savez, faire un commentaire final. Le surnom que mon colistier a donné à Alexandria Ocasio-Cortez est « AOC Pelosi ». Que fait-elle exactement des batailles qu’elle a gagnées ? C’est ce qui nous incite à faire partie de la course ; notre objectif est de vraiment répondre aux besoins critiques et urgents du peuple américain.

JUAN GONZÁLEZ : Oui, j’aimerais faire intervenir le professeur Butch Ware dans la conversation. Professeur, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé de rejoindre le Parti vert et de vous présenter comme candidat à la vice-présidence ?

BUTCH WARE : Oui. Quand ma sœur d’armes, Dre Jill Stein, m’a invité à me jeter dans la mêlée, la décision a été facile à prendre. J’avais réalisé une session Instagram Live avec elle sur ma plateforme de médias sociaux. J’ai interrogé Dre Jill sur les réparations, après avoir récemment posté une vidéo de Kamala Harris dans laquelle elle a hésité, tergiversé et tourné autour du pot pendant deux minutes entières avant de se prononcer exactement en ces mots : « Je ne ferai jamais rien qui n’aide que les Noirs ». Quand j’ai interrogé Dre Jill Stein sur la question des réparations, elle a répondu : «  Ils se comportent comme si c’était incalculable, mais ça a été calculé quantité de fois. C’est entre 10 et 13 billions de dollars américains. Et je suis en faveur de paiements en espèces  ».

Quand j’ai interrogé Dre Jill sur sa résistance au génocide de Gaza, j’ai dit que tous mes collègues, ainsi que les activistes et les gens de la communauté universitaire, qui sont non seulement des défenseurs de la cause de la libération de la Palestine, mais aussi des gens qui vivent en eux les événements, qui sont corps et âme dans la situation, votaient tous pour Dre Jill Stein. Ce qui fait que je n’ai pas interrogé Dre Jill sur son soutien à la Palestine. Je l’avais vue se faire arrêter lors d’un rassemblement pro-Palestine, un rassemblement pour une Palestine libre. Je l’ai plutôt interrogée sur sa politique étrangère globale.

Et quand je l’ai interrogée sur sa politique étrangère globale, elle m’a répondu que l’approche du Parti vert consistait à vouloir démanteler l’empire américain. Et j’ai poursuivi l’entrevue, en tant qu’étudiant engagé pour la vie, représentant et enseignant de la tradition radicale noire, en déclarant : « Oui, et vous feriez mieux de vous dépêcher de le faire avant que quelqu’un d’autre ne le fasse à votre place », car il y a deux processus bien différents à distinguer. Retirer 700 bases militaires sur les 800 que nous avons autour du monde et qui ne servent en fait à rien d’autre qu’à contrarier les populations locales, et ensuite, vous savez, se retirer lentement des autres positions non stratégiques en veillant toujours à assurer la sécurité des Américains : cela donnerait les moyens de réinvestir les mille milliards de dollars ou, en réalité, 1,3 billions de dollars si on compte tous les coûts afférents, qui sont actuellement dépensés pour faire tourner sans fin la machine de guerre, ces fonds pouvant être réinvestis dans le logement social, dans les soins de santé, dans la réparation des routes et dans toutes les choses que le gouvernement américain pourrait faire pour la population américaine.

Ainsi, quand j’ai répondu à l’appel… quand j’ai été invité à participer à la lutte contre l’impérialisme, à la lutte contre la suprématie blanche, à la lutte contre l’exploitation capitaliste de mon époque, après avoir passé ma vie à enseigner cette tradition, à écrire sur cette tradition, à m’engager dans cette tradition à un niveau militant et en tant qu’organisateur communautaire, la décision a été facile à prendre.

Et avant de poursuivre, je dois absolument observer un moment de silence pour l’imam Marcellus « Khalifa » Williams, qui a été mis à mort hier par cet État impérialiste corrompu. Et nous n’avons pas entendu un bruit de la part de la femme noire qui cherche à mener ce pays et à le faire entrer dans une nouvelle phase, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas entendu un son de la part du régime Biden-Harris, des gens qui pourraient au moins réagir, même s’il n’existe pas de mécanisme fédéral immédiat de clémence. Ce pays souffre d’un manque sidérant de leadership moral.

Et la dernière chose que je dirai, pour me présenter au peuple américain dans cette émission en particulier, c’est que tous les efforts visant à protéger le camp bleu, à permettre aux démocrates de se dédouaner des forfaits dont ils sont les auteurs, sont les incarnations d’un même mal. Si vous essayez de les protéger des conséquences électorales de plus de 200 000 morts à Gaza, des conséquences électorales de 11 mois de génocide, de l’augmentation des meurtres commis par des policiers chaque année depuis qu’ils sont au pouvoir, de l’envoi de troupes en tenue anti-émeute dans des villes et des États contrôlés par les démocrates pour enfoncer le crâne d’enfants, comme ils l’ont fait à l’Université de Californie à Los Angeles (University of California Los Angeles ou UCLA), de la même manière qu’ils ont envoyé des troupes en tenue anti-émeute sur mon propre campus, à l’UCSB, alors vous faites partie du problème. Réveillez-vous et débranchez la machine à propagande. Tout le monde est en train d’alimenter un climat de peur autour de Trump, comme si le fascisme n’était pas déjà là. C’est pourquoi je me suis engagé dans ce combat aux côtés d’une humanitaire, d’une militante pour la paix, d’une écologiste et d’une leader morale, Jill Stein, pour secouer l’Amérique et la sortir de sa stupeur. Vous avez d’autres choix que ceux du fascisme militarisé bleu ou du fascisme militarisé rouge. Vous pouvez en fait voter selon votre conscience, voter Vert.

Et la dernière chose que je dirai, c’est que, comme l’a mentionné Dre Jill, le Parti démocrate a déjà perdu les États clés du Michigan, de la Géorgie et de la Pennsylvanie. L’Institut pour la politique et la compréhension sociale (Institute for Social Policy and Understanding ou ISPU) dispose de données accessibles au public, que les démocrates ont certainement vues avant moi, qui indiquent que dans les États clés du Michigan, de la Pennsylvanie et de la Géorgie, Joe Biden a obtenu 65 % des voix en 2020 et que les démocrates obtiennent actuellement moins de 15 % des voix dans ces États. Ils n’auraient pas pu gagner l’élection sans ces États clés, et ils n’auraient pas pu remporter ces États clés sans les électeurs musulmans. Ces électeurs ont quitté le bateau. Ils ne reviendront pas. Le bateau est à la dérive. Les démocrates ne peuvent pas gagner.

Et Dre Jill et notre hôte, Amy, ont déjà cité l’enquête du CAIR. Mais l’Institut Yaqeen publiera cette semaine – et j’en ai eu connaissance grâce à mes relations de longue date au sein de la communauté musulmane en tant que musulman noir – des chiffres qui révèlent que plus de 53 % des musulmans interrogés à l’échelle nationale soutiennent désormais des candidats tiers, dont une proportion d’environ 80 % va au Parti vert, et que les appuis de la communauté musulmane se chiffrent à 15 % pour les démocrates et à 4 % pour Trump. Alors les efforts déployés pour tenter d’imputer la défaite inévitable des démocrates aux candidats de partis tiers ou aux musulmans est fallacieux, pour dire le moins – et pour peu qu’on ait un sens clair de ce qu’est l’intégrité morale, c’est de toute évidence une manipulation perverse (gaslighting, en anglais).

AMY GOODMAN : Dernière question à Dre Stein, sachant que nous n’avons que 30 secondes. Vous avez grandi dans un foyer sioniste. Comment répondez-vous à ceux qui disent que l’antisionisme est de l’antisémitisme, en tant que candidate juive à la présidence ? En 30 secondes seulement.

JILL STEIN : Oui. Donc, en bref, quand j’entends des gens assimiler l’anti-génocide, la résistance au génocide… en disant que c’est de l’antisémitisme, de mon point de vue, c’est la chose la plus antisémite qui puisse être dite, de laisser entendre que c’est antijuif de s’opposer au génocide. Le sionisme et le judaïsme, ce n’est pas du tout la même chose. Le sionisme a été controversé au sein du judaïsme pendant la majeure partie de son existence. Le sionisme est une idéologie politique. Ce n’est pas le judaïsme. Et Gaza, ce n’est pas une guerre entre juifs et musulmans. C’est une guerre menée par les sionistes contre les juifs, les musulmans et les chrétiens.

AMY GOODMAN : Jill Stein, candidate du Parti vert à l’élection présidentielle, et Butch Ware, candidat du Parti vert à la vice-présidence, professeur à l’UCSB, nous vous sommes très reconnaissants pour votre participation à l’émission.

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Juan Gonzalez

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