Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Israël inscrit l’apartheid dans la loi

Le comité-clé de la Knesset a approuvé la version finale du « projet phare du sionisme » définissant Israël comme une nation exclusivement pour les juifs. Après sept années de tergiversations, les partis israéliens au pouvoir se sont mis d’accord sur les termes définitifs d’une nouvelle Loi fondamentale qui définirait Israël exclusivement comme « l’État-nation du peuple juif ».

Tiré de Comité France-Palestine.

On s’attend maintenant à ce que le projet de loi soit accéléré par le parlement israélien et adopté dans les semaines à venir.

Cette approbation cette semaine par le comité du Parlement sur la Loi fondamentale – laquelle a beaucoup plus de poids que la législation normale – marque un dangereux tournant pour les Palestiniens, selon les analystes.

Amir Ohana, le président du comité, a qualifié la nouvelle loi de « loi de toutes les lois », tandis qu’un ministre du gouvernement l’a qualifiée de « projet de loi phare du sionisme ».

Elle bloque en fait toute possibilité pour l’importante minorité palestinienne d’Israël – un cinquième de la population – de faire d’Israël à l’avenir une démocratie normale de type occidental.

Selon l’une des rares personnalités palestiniennes du parlement israélien, Aida Touma-Suleiman, le projet de loi « institutionnalise de façon flagrante un régime d’apartheid ».

Mais de manière significative, et largement inaperçue, cette nouvelle Loi fondamentale ouvre la voie au gouvernement israélien d’extrême-droite pour consolider et étendre l’annexion des territoires palestiniens sous occupation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie – et pour contrecarrer toute action en justice destinée à empêcher de telles initiatives.

La langue arabe rétrogradée

Le poids des attentes sur le nouveau projet de loi explique pourquoi il a été longuement remanié depuis qu’une première version a été introduite en 2011 par Avi Dichter, membre du parti Likoud du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.

La loi fondamentale proposée a principalement attiré l’attention sur le caractère non dissimulé de ses dispositions antidémocratiques.

La version finale approuvée cette semaine rétrograde le statut de l’arabe – la langue maternelle d’un cinquième des citoyens israéliens – de sorte que ce n’est plus une langue officielle aux côtés de l’hébreu.

Cette version incite également les collectivités juives à appliquer strictement les règles pour exclure les 1,8 million de citoyens palestiniens d’Israël. Elle réitère la mission d’Israël de « rassembler les exilés », limitant l’immigration aux seuls juifs, et donne la priorité aux droits des juifs à l’étranger par rapport à ceux des citoyens palestiniens du pays.

Ce qui est le plus important, c’est qu’elle ne contient aucune disposition « démocratique » dans la définition d’Israël. La « judéité » d’Israël est primordiale.

Le ministre du Tourisme, Yariv Levin, qui entretient des liens étroits avec Netanyahou, a fait observer que le projet de loi « mettra de l’ordre, clarifiera ce qui est tenu pour acquis et remettra Israël sur le bon chemin, à savoir que c’est l’État-nation du peuple juif. »

Défis judiciaires

Comme le suggère Levin, bien qu’il n’y ait que peu de nouveauté dans le projet de loi, il « clarifie » et étaye l’actuelle et anormale composition politique d’Israël.

La langue arabe est déjà invisible dans la plupart des espaces publics en Israël. Quelque 93% des terres d’Israël sont déjà réservées exclusivement au peuple juif du monde entier, et non aux citoyens israéliens. La Loi du Retour autorise déjà uniquement les juifs à immigrer.

Et de nombreux critiques, y compris des intellectuels israéliens, soutiennent qu’il est impossible qu’Israël soit à la fois « juif et démocratique » – pas plus qu’il ne pourrait être « blanc et démocratique » ou « chrétien et démocratique ». Ils décrivent Israël comme un type d’État non démocratique connu sous le nom d ‘« ethnocratie ».

Alors, pourquoi se donner autant de mal pour légiférer sur le projet de loi actuel alors qu’il change si peu la réalité ?

Il y a plusieurs nécessités urgentes derrière cette Loi fondamentale.

En partie, c’est la réponse législative à une série de défis juridiques et politiques embarrassants qui ont dû être affrontés depuis qu’Israël a adopté une loi fondamentale sur la liberté et la dignité humaine en 1992.

Après que la loi ait défini Israël comme un « État juif et démocratique », les groupes de défense des droits de l’homme ont déposé des contestations devant les tribunaux pour qu’Israël respecte la notion d’égalité.

Cela a progressivement révélé les contradictions insolubles entre les prétentions « juives et démocratiques » de l’État, selon Ahmad Saadi, professeur de politique à l’Université Ben Gurion de Beersheva.

Des collectivités exclusivement juives

La première crise majeure s’est produite à la Cour suprême en 2000, lorsqu’un citoyen palestinien, Adel Kaadan, a intenté un procès pour être autorisé à vivre dans l’une des 700 collectivités exclusivement juives d’Israël. Chaque collectivité a mis en place un ainsi-nommé « comité d’admission » dans le but précisément de bloquer l’accès aux citoyens palestiniens.

Les avocats ont fait valoir qu’en excluant 20% de sa population de presque toutes les terres d’Israël, l’État appliquait l’apartheid dans le choix du lieu de vie.

Les juges ont souffert le martyre sur l’affaire pendant des années. En 2011, le gouvernement de Netanyahou a finalement sorti la cour de ce piège en donnant une base légale à ces « comités d’admission ».

Mais le souvenir reste cuisant.

Le mois dernier, la ministre d’extrême-droite, Ayelet Shaked, a cité l’affaire Kaadan comme raison de l’adoption d’une loi fondamentale d’État-nation, disant : « Il est normal qu’une communauté juive soit, par définition, seulement juive ».

« Il y a de la place pour maintenir une majorité juive même au prix de la violation des droits », a-t-elle ajouté.

Exigence de réformes

Les défis politiques ont aggravé les problèmes juridiques. En 2006, les dirigeants palestiniens en Israël ont produit un document, Une vision de l’avenir, exigeant qu’Israël se transforme d’un État juif en une démocratie civique. Ils ont exhorté Israël à devenir une « démocratie consensuelle », où tous les citoyens ont les mêmes droits.

Dans une réaction très inhabituelle, le Shin Bet, l’agence de police secrète en Israël, a publiquement répondu. L’agence a qualifié le document de « subversif » et averti que l’agence « contrecarrerait » toute activité, même légale, pour promouvoir ces objectifs.

Dans la foulée, la figure de proue de la campagne de démocratisation, Azmi Bishara, a été contraint à l’exil, accusé de trahison.

Israël a également adopté une série de mesures visant à affaiblir la position des représentants palestiniens au parlement, y compris une loi d’expulsion qui permet aux députés juifs de mettre hors de l’hémicycle des députés palestiniens.

Le professeur Saadi a déclaré à Al Jazeera : « La droite israélienne interprète [en sa faveur] le climat politique international et croit qu’il est bien plus propice aux violations des droits de l’homme et au racisme déclaré qu’il y a dix ans ».

« Il sent la direction où le vent souffle maintenant. »

En outre, Shaked, le ministre israélien de la Justice, a lié le projet de loi sur la nation juive à des révisions qu’elle apporte à une autre loi fondamentale de type constitutionnel, qui traite des pouvoirs de la Cour suprême.

Jafar Farah, responsable de Mossawa, un groupe de défense des citoyens palestiniens d’Israël, a souligné que cela permettrait à la coalition gouvernementale d’annuler toute décision de la Cour suprême israélienne à l’encontre d’une loi, même si cette loi violait les droits humains. Les pouvoirs de contrôle judiciaire de la cour seraient annulés.

« Cette législation liera les mains des juges », a déclaré Farah à Al Jazeera. « Ils ne seront plus en mesure d’intervenir dans les décisions du gouvernement. »

Dans un post sur Facebook, Shaked a dit vouloir défaire la « révolution constitutionnelle » induite par la loi fondamentale de 1992 sur la liberté et la dignité humaine – ou selon ses propres termes, « remettre droite la voie ferrée tordue il y a un quart de siècle ».

« Au cours des 20 dernières années, les décisions de justice ont fait référence aux valeurs universelles plus qu’au caractère juif de l’État », a-t-elle ajouté.

Ce qui laisse supposer une deuxième ambition concernant la « Loi fondamentale pour la nation juive ». L’influence de la Cour suprême sera abrogée, alors que la droite israélienne profite du support de l’administration du président américain Donald Trump.

Farah a noté qu’Israël n’avait toujours pas décidé quelles étaient ses limites territoriales.

« Israël refuse de définir ses frontières et déclare ensuite à travers cette loi fondamentale que le peuple juif dispose d’un droit exclusif à l’autodétermination dans la région », dit-il.

Cela pourrait ouvrir la porte à Israël pour consolider son emprise sur Jérusalem-Est occupée et accélérer une politique d’annexion rampante de la Cisjordanie sous occupation.

Trump se prépare à déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, réglant en faveur d’Israël l’une des questions considérées jusqu’à aujourd’hui comme devant être réglées dans un statut final à travers des négociations avec les Palestiniens.

Dans le même temps, Israël est en train de rédiger une loi qui priverait des dizaines de milliers de Palestiniens de leurs droits de résidence dans Jérusalem-Est occupée, tout en annexant des parties de la Cisjordanie à Jérusalem pour fausser la démographie de la ville et imposer une solide majorité juive.

Selon les termes de Nir Hasson, un journaliste israélien chevronné : « Le système politique israélien a déjà compris que Jérusalem est une anomalie à résoudre ».

Ce système politique vise donc à fournir une solution qui refuse de « reconnaître la place des Palestiniens dans la ville ».

Allant dans le sens de Hasson, le parlement a adopté la semaine dernière une loi autorisant le gouvernement à expulser les Palestiniens de Jérusalem.

Ces violations des droits de l’homme et du droit international seraient difficiles à avaliser pour la Cour suprême.

Mais si le gouvernement israélien poursuit sur la voie actuelle, les tribunaux n’auront bientôt plus leur mot à dire sur ces questions, a observé Farah.

La nouvelle loi fondamentale sur l’État-nation juif peut offrir d’autres avantages, a souligné Saadi.

Netanyahou a essayé d’imposer une condition préalable aux pourparlers de paix avec Mahmoud Abbas, à savoir que le dirigeant palestinien reconnaisse Israël comme un État juif.

En privant Israël de tout respect à l’égard des principes démocratiques, Netanyahou placerait Abbas dans une position impossible.

La nouvelle loi fondamentale inclut toute la ville de Jérusalem comme capitale d’Israël et donne au peuple juif, exclusivement, le droit à l’autodétermination dans la région. Aucun dirigeant palestinien ne pourrait envisager de reconnaître un « État juif » défini de cette manière.

« Ni Israël ni les États-Unis ne veulent de négociations, ils ne s’intéressent qu’aux Palestiniens qui se soumettent », a déclaré Saadi.

Netanyahou et ses alliés de droite peuvent espérer profiter de l’acceptation aveugle par Washington et les capitales européennes d’Israël en tant qu’ « État juif et démocratique », selon ses propres termes.

Vont-ils au moins remarquer que grâce à cette dernière loi, Israël a de fait abandonné l’idée qu’un État juif puisse être « démocratique » ?

Traduit par Chronique de Palestine

Jonathan Cook

Écrivain et journaliste britannique indépendant, basé à Nazareth. Lauréat du prix spécial Martha Gellhorn pour le journalisme. Auteur de trois livres sur le conflit israélo-palestinien : Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish State (2006) ; Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (2008) et Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair (2008).

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