Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Israël. Emeutes contre les migrants africains et politique de détention sans limites

Fin septembre 2014, a explosé le nombre de manifestations violentes contre les migrant·e·s à Tel-Aviv. L’essor de la xénophobie et du racisme ne peut être interprété – comme le prétend l’extrême droite israélienne­, selon un schéma que l’on retrouve dans d’autres forces ayant les mêmes traits en Europe ou aux Etats-Unis, même si des traits particuliers à « l’Etat juif » s’y incorporent – comme une protestation des « plus pauvres » israéliens contre les migrants. Les dernières émeutes dans le quartier Hatikiva expriment l’intervention de forces politiques dans des couches pas particulièrement paupérisées ! Certes, la pauvreté est massive en Israël et s’est manifestée par des défilés (voir à ce propos les articles publiés sur ce site en date du 4 juin 2014 ; 3 avril 2012 ; 9 septembre 2011 ; 8 septembre 2011 ; 15 août 2011, sous l’onglet « Moyen Orient », Israël).

Ainsi les habitants du quartier Hatikiva, le 20 septembre 2014, ont occupé les rues, faisant flotter des drapeaux israéliens et lançant des slogans tels que « Déporter les Soudanais », ce qui sonne avec une tonalité épouvantable si elle est amplifiée par la mémoire d’une tragédie historique, entre autres des années trente en Europe.

Les magasins d’immigrants ont été attaqués, saccagés. Des propriétaires africains de voiture virent les vitres de leur véhicule brisées. Le quotidien Haaretz a indiqué que les taxis conduits par des Africains ont été fouillés par des groupes racistes, mais ne trouvant rien de ce qu’ils étaient soupçonnés transporter – rumeurs classiques dans ce genre de « chasse » aux migrants – ils les laissèrent passer. Avant ces attaques organisées, un homme avait lancé plusieurs cocktails Molotov contre des habitations où logeaient des Soudanais. Un élu à la Knesset (parlement), Miri Regev, membre du Likoud, a participé à ces émeutes racistes. Il déclarait avec ces formules caractérisant la haine xénophobe et/ou raciste : « Les Soudanais étaient un cancer dans notre corps. » Ils avaient des portraits du ministre de l’Intérieur, du parti religieux séfarade Shass : Elie Yisdaï. Ce dernier avait demandé la détention et l’expulsion de tous les Africains demandant l’asile, les accusant d’être à l’origine de tous les crimes commis en Israël. On peut se demander qui sont les criminels en visionnant la vidéo en fin de cet article. La réponse risque de ne pas être conforme aux délires d’Elie Yisdaï. Ce dernier déclarait à la radio militaire : « La plupart des réfugiés africains en Israël se livrant à des actes criminels ou au moins répréhensibles doivent être expulsés. »

« Un planning familial » pour les Ethiopiennes d’Israël ?

Nous avons à de multiples reprises abordé sur ce site le thème de la politique xénophobe, pour le moins, contre les migrant·e·s (voir à ce propos quelques articles en date du 6 février 2014 ; 8 janvier 2014 ; 21 mais 2013, etc.).

Un rappel des politiques récentes est utile, car il y a là l’avers de la médaille d’une politique d’occupation militaire et policière des territoires palestiniens (voir le reportage d’Olivier Pironet dans Le Monde diplomatique d’octobre 2014 : « En Cisjordanie, le spectre de l’Intifada »), de ladite « Opération plomb durci » contre Gaza, de « l’achat » contraint, le 30 septembre 2014, de sept maisons dans le quartier de Silwan de Jérusalem-Est, avec occupation aux environs de 2 heures du matin, appuyée par une escorte policière ; et cela en utilisant la tactique d’acheter un ou deux appartements, puis en « s’imposant » dans une part grandissante du quartier (voir l’article d’Orly Noy sur le site +972, daté du 30 septembre 2014). La politique discriminatoire, xénophobe et/ou raciste, selon un éventail large, s’applique contre les Palestiniens « citoyens » d’Israël. Un autre exemple, fort révélateur à propos de la question des migrants.

Depuis décembre 2012, un scandale a éclaté suite à un documentaire de Gal Gabbay, qu’il a mis cinq ans à réaliser. Il portait sur l’obligation faite à des femmes éthiopiennes ayant fait leur alya – soit pour un juif son « ascension » ou sa « montée spirituelle », comme acte d’immigration en Terre sainte (Eretz Israël) – d’avoir dû se soumettre à un contraceptif de longue durée (du depo-provera), injecté tous les trois mois. Sans quoi elles n’auraient pas été admises à immigrer en Israël. Le film documentaire a fait l’effet d’une mini-bombe en Israël. L’organisation ayant « orienté » ces femmes éthiopiennes était le Joint (American Jewish Distribution Committee), présent et actif en Ethiopie à Addis-Abeba et Gondar ; les experts militaires israéliens sont aussi dynamiques dans ce pays. Ces femmes ont été « informées » qu’il s’agissait d’un vaccin.

Gal Gabbay, dans un entretien avec Slate.fr le 8 mars 2013, à propos du racisme pouvant connoter cette décision répond : « Le racisme est pernicieux. Ce n’est jamais officiel. Ce n’est pas une personne à proprement parler qui a donné un ordre mais tout cela était très organisé, cela a pris des années : depuis 1994 jusqu’à aujourd’hui. Donc je ne peux pas dire qu’Israël ne voulait pas d’enfants noirs, mais je peux dire que quelque chose de très mal est arrivé. S’il s’était agi de femmes européennes ou américaines, leur aurait-on donné cette injection aussi naturellement ? Systématiquement ? Cette histoire illustre clairement la politique de contrôle des naissances opérée en Afrique par les pays occidentaux. Le “monde libre” pense qu’il a le droit d’interférer, au nom de la lutte contre la pauvreté. » Slate.fr conclut : « L’immigration des juifs d’Ethiopie [120’000 vivent en Israël ; leur désignation Falashas renvoie au terme « exilé », une grande partie d’entre eux ont été convertis de force au christianisme, auparavant] a depuis toujours représenté un défi pour l’Etat hébreu. Une grande majorité de la communauté éthiopienne vit dans des quartiers populaires, aux allures de ghetto. Les enfants fréquentent des écoles à part et les jeunes d’origine éthiopienne sont moins diplômés que le reste de la population. » D’ailleurs en décembre 2013, les Ethiopiens et Ethiopiennes ont manifesté devant la Knesset pour protester contre le racisme rampant et leurs conditions de vie

Il faut toutefois souligner que des oppositions à cette politique de « planning familial » (sic !) se sont exercées. Ainsi Dana Alexander, directrice du département légal de l’Association des droits civils en Israël – et d’autres organisations –, ont mené campagne contre cette pratique enfin reconnue. La recherche de Rachel Mongoli, responsable de l’association Wizo (Organisation internationale de femmes sionistes), qui s’occupe de la « communauté éthiopienne » en Israël, aboutit à un constat, confirmé par d’autres études : la baisse du taux de fertilité de ces femmes est de 50%. Le gouvernement cherche, lui, toujours à se défausser sur des organisations comme le Joint – ou d’autres lors des initiatives d’expansion des colonies dans les « territoires occupés » depuis 1967 – pour sauver une image… de moins en moins possible à blanchir. Il y a une sorte de « parenté » entre ce que disait Elie Yisdaï à propos du renvoi des enfants de migrants africains et cette gestion de la « fertilité » d’Ethiopiennes faisant leur alya !

La politique face aux « sans-papiers » africains… un prolongement de celle face aux Palestiniens

Fin décembre 2013, le débat sur la mise en place d’un système de détention, sans jugement préalable, des « migrants illégaux » a eu lieu à la Knesset. Dans Le Monde du 11 décembre 2013, Laurent Zecchini commençait son article sur ce sujet ainsi : « Auriez-vous placé Nelson Mandela dans un centre de détention ouvert ou fermé ? » : cette interrogation de la députée Tamar Zandberg, du parti Meretz (gauche), a marqué le débat qui a précédé le vote intervenu, mardi 10 décembre, à la Knesset pour instituer un système de détention pour les immigrés africains illégaux. » Par 30 voix contre 15 les députés ont décidé un système d’incarcération à double entrée (et sortie ?) : 1° des centres de détention « ouverts » comme celui de Holot, dans le désert du Néguev, où ont été transférés des centaines de détenus (« immigrés illégaux ») de la sordide prison de Saharonim (près de la frontière égyptienne) ; donc un centre ouvert en plein désert avec l’obligation de pointer trois fois par jour…« pour éviter un travail illégal » ; 2° des centres fermés, où sont incarcérés les « immigrés illégaux » qui sont soupçonnés de ne pas respecter la loi ou qui s’échappent des « centres ouverts ». En fait, il s’agit de nettoyer les « centres urbains » des immigrés africains. Une option de « nettoyage » qui renvoie aux modalités d’occupation des territoires occupés de la Palestine. Le quotidien Haaretz à cette occasion a titré : « Que signifie, d’ailleurs,« l’Apartheid israélien » : la subdivision méticuleuse de la population en Israël est guidée par le principe de l’inégalité qui bénéficie à la classe dirigeante. »

Suite aux campagnes contre ledit terrorisme palestinien – qualificatif qui s’applique à quasi tous les opposants à la politique et aux pratiques de l’Etat d’Israël, comme l’illustrent les attaques actuelles violentes contre Gideon Levy d’Haaretz – les émeutes contre les migrant·e·s africains ne font que réverbérer, tragiquement, la réalité mulifaces de l’Etat sioniste actuel. (cau, 3 octobre 2014)

La Cour suprême doit se prononcer sur la détention sans limites des demandeurs d’asile africains
Par Michael Schaeffer Omer-Man

L’amendement sur la Loi sur la Prévention de l’infiltration permet à l’Etat de détenir indéfiniment les demandeurs d’asile africains qu’il ne peut pas déporter. Une version précédente de la loi avait été annulée. [1]

La Cour suprême devait prendre une décision concernant le maintien ou l’annulation de parties déterminantes d’une loi qui permet la détention indéfinie de demandeurs d’asile africains dans le centre de détention de Holot.

La Cour de justice avait annulé la version précédente de la loi et incité les législateurs à proposer rapidement un projet de rechange – projet qui a introduit des mesures encore plus graves.

Une des conséquences de la nouvelle loi que les juges devront gérer est la pression que les autorités israéliennes exercent sur les demandeurs d’asile pour qu’ils retournent dans les pays qu’ils ont « fuis ». Les juges ont critiqué les arguments de l’Etat lorsqu’ils ont entendu le cas en avril de cette année.

Sensibles à la réputation de la Cour suprême à l’échelle internationale, les juges se sont peut-être aperçus d’une série d’événements qui se sont déroulés à l’étranger au cours de ces derniers mois.

La politique d’asile israélienne a même subi une critique lorsqu’un tribunal suisse a accordé l’asile à un réfugié érythréen parce que celui-ci avait été convoqué dans un centre de détention dans le désert d’Israël.

Une critique beaucoup plus publique a été faite dans un rapport de 83 pages de l’ONG Human Rights Watch qui analyse la politique d’asile d’Israël, notamment en ce qui concerne le centre de Holot. D’après ce rapport, l’Etat a obligé quelque 7’000 demandeurs d’asile africains à quitter « volontairement » le pays.

La loi internationale sur les réfugiés stipule clairement qu’un retour vers le pays dont on a fui ne peut être considéré comme étant « volontaire » si la seule autre option est de rester en prison.

Deux ministres successifs de l’Intérieur israéliens ainsi qu’une série d’autres politiques ont déclaré très clairement que leur objectif était d’encourager ces demandeurs d’asile africains – qu’ils n’ont pas le droit de déporter – à fuir… Israël.

Dans le même temps, les instances agissant dans le domaine de l’asile ont rejeté plus de 99% de toutes les demandes d’asile de la part de Soudanais et d’Erythréens.

Des réfugié·e· s – aussi bien ceux qui se trouvent déjà à Holot que ceux qui sont menacés d’y être envoyés – ont lancé une série de protestations publiques très médiatisées cette année. Celles-ci ont mis en évidence leur situation « difficile », mais n’ont rien fait pour trouver des solutions à leurs problèmes.

Comme je l’écrivais plus tôt cette année, il n’y a aucune perspective concrète immédiate ni pour le gouvernement ni pour les demandeurs d’asile. La nouvelle loi était déjà contestée quelques jours après son application, et même si cela pourrait prendre des mois et même des années, la meilleure chance de changer la politique israélienne à l’égard des demandeurs d’asile reste encore la Cour suprême ! Mais même si la loi est annulée – et il n’y a aucune indication claire que cela pourrait arriver – cela n’apportera pas de solution ! (Article publié sur le site +972 en date du 21 septembre 2014 ; traduction A l’Encontre)

Note

[1] Le 16 septembre 2013, la Cour suprême avait décidé à l’unanimité de ses membres que la loi permettant d’incarcérer sans jugement pendant trois ans des migrants illégaux était inconstitutionnelle. Elle bafouait une autre loi garantissant « la dignité humaine et la liberté ». (Réd. A l’Encontre)

Michael Schaeffer Omer-Man

Auteur sur Israël.

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