HD. Les manifestations en Irlande de ces derniers mois et celle du 21 mars ne concernent-elles que la question de l’eau ?
Paul Murphy. Non. Cela concerne la politique d’austérité menée depuis 6 ans. Les Irlandais sont frappés de plein fouet par cette politique. Au début, ils se sont sentis désarmés, impuissants, notamment à cause de l’attitude des syndicats liés au Parti travailliste qui siège au gouvernement. Mais lorsque les salariés ont entendu le premier ministre parler du redémarrage de l’économie, ils se sont aperçu qu’ils n’en tiraient aucun dividende. Pour eux, rien ne changeait. Et, tout en disant que la crise était terminée de même que l’austérité, le gouvernement a annoncé cette nouvelle taxe sur l’eau. À ce moment là, les Irlandais se sont dit qu’il fallait reprendre la lutte. Au début la mobilisation a été faible mais elle s’est rapidement renforcée et on a assisté aux manifestations les plus importantes qu’on ait connues depuis des décennies. La colère retenue depuis 6 ans est remontée
HD. Est-ce que cette mobilisation trouve un débouché politique ?
P. M. Bien sûr ! Mais cela signifie briser la logique de l’austérité, de la loi de l’euro et de l’Union européenne (UE), et rompre fondamentalement avec les lois du capitalisme. Le capitalisme est en crise partout en Europe. La croissance annoncée ne signifie rien pour les gens ordinaires. La sortie politique est de faire comme les Grecs : élire un gouvernement véritablement de gauche et se dresser devant l’UE pour dire que nous refusons de payer la dette, que nous voulons satisfaire les besoins des gens avant les intérêts des profits, que nous arrêtons la politique d’austérité pour mettre en place une politique d’investissement public afin de créer des emplois.
HD. Tous les sondages montrent que Sinn Féin (SF) progresse dans les intentions de vote (22 %) ainsi que la gauche. Est-ce un bon signe ?
P. M. Sinn Féin progresse plus effectivement car il apparaît comme la force la plus visible qui critique l’austérité. Mais l’Alliance anti-austérité et d’autres partis de la gauche radicale progressent également, particulièrement parmi les Irlandais qui participent au mouvement. Dans ces milieux-là, nous progressons plus que Sinn Féin parce que nous sommes plus présents. Il y a donc une grande opportunité qui se présente pour la gauche. Quelque chose est en train de se produire. Quelque chose de similaire à ce qui se passe dans d’autres pays d’Europe. Les trois partis traditionnels principaux en Irlande, Fianna Fail, Fine Gael, deux partis de centre droit, et le Parti travailliste (Labour), de centre gauche, totalisent maintenant moins de 50 % des intentions de vote dans la plupart des sondages. C’est vraiment historique. Cet éclatement ouvre un large espace pour quelque chose de nouveau. Le mouvement contre la taxe de l’eau a donné un coup d’accélérateur à ce processus. La question qui se pose maintenant est de savoir quelle est cette chose nouvelle ?
HD. L’Irlande peut-elle réellement basculer à gauche en vue des élections générales de 2016 ?
P. M. L’espace politique doit s’ouvrir à la gauche. Si Sinn Féin en occupe aujourd’hui une bonne partie, il reste encore énormément de place grâce au mouvement de protestation. Car les gens veulent une force politique ancrée sur ce mouvement. Ce qui n’est pas le cas de SF, qui a adapté sa position en fonction de l’importance prise par les protestations. Ces luttes ont donné de la crédibilité à ceux qui s’opposent à l’austérité, et Sinn Féin en a bénéficié en progressant dans les sondages. Nous disons qu’il faut profiter de ce contexte pour imposer un gouvernement vraiment de gauche. Malheureusement, je ne pense pas que SF soit d’accord pour former un tel gouvernement sur nos bases politiques. Du coup, pour les élections de 2016, deux possibilités se dessinent.
Pour la première fois, Fianna Fail et Fine Gael forment une coalition gouvernementale. Cette alliance signifierait clairement une orientation très droite et très libérale. La seconde option serait que Sinn Féin et Fianna Fail s’entendent. Dans un tel scénario, la lune de miel serait de courte durée pour SF. Les gens se rendraient vite compte qu’aucune rupture avec les précédents gouvernements ne s’est produite. C’est pourquoi il est important qu’il y ait un véritable pôle à la gauche de SF dans le prochain Parlement, qui éviterait que les électeurs se tournent vers la droite. Il faut leur offrir une nouvelle option politique, alternative à gauche.