Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/10/26/introduction-de-jean-paul-gautier-les-antifascismes-en-france-sous-la-5e-republique/
Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse
L’antifascisme est parfois difficile à définir car il pose le problème de la définition du fascisme lui-même [1]. C’est un phénomène qui représente une très grande diversité et n’est à aucun moment de son histoire l’expression d’une seule classe sociale ou d’un seul courant politique [2]. Il nous a semblé préférable, pour plus de clarté, d’utiliser le terme au pluriel, car chaque antifascisme a sa propre caractéristique. Jacques Droz a insisté sur le fait que l’antifascisme se présente sous des formes multiples : « Il porte la marque des traditions politiques et idéologiques qui ont présidé à sa naissance » [3].
Politiquement, les antifascismes recouvrent une multiplicité de composantes : communiste, trotskiste, anarchiste, socialiste, libérale, chrétienne. Chaque composante a son propre ADN. Le clivage fascisme/antifascisme recouvre un clivage droite/gauche mais seulement en partie. En effet, si le fascisme entend anéantir la gauche politique et syndicale, il veut également détruire la démocratie.
Pour Mussolini, les fascistes « représentent l’antithèse nette, catégorique, définitive de la démocratie ». Le 7 avril 1926, lors de l’installation du directoire national du parti fasciste, il déclare que le fascisme « repousse dans la démocratie, l’absurde mensonge conventionnel de l’égalité politique, l’esprit d’irresponsabilité collective et le mythe du bonheur et du progrès indéfini. Il nie que le nombre puisse gouverner au moyen d’une consultation périodique ; il affirme l’inégalité irrémédiable, féconde et bienfaisante des hommes, qui ne peuvent devenir égaux par un fait mécanique et extrinsèque tel que le suffrage universel » [4]. Cependant, il nous semble juste et nécessaire d’insister sur le fait que le mouvement ouvrier a représenté, d’une certaine façon, le noyau fondamental et central des antifascismes. Partis, syndicats ouvriers ont été au cours de l’histoire récente des cibles privilégiées et les premières victimes du fascisme sous ses différentes formes (italien, allemand). Rappelons que le 1er mai 1933 est organisée « la Fête du travail allemand », le lendemain, les SA et les SS occupent les sièges des syndicats. Les syndicats sont interdits, leurs biens vont dans les caisses du syndicat unique nazi : le Front du travail, dirigé par le docteur Ley. Le but de cette organisation est clair : il s’agit de contrôler totalement le travailleur allemand : « Toi, ouvrier, nous ne t’avons pas encore à 100%. Nous te lâcherons lorsque tu seras sans réserve à nos côtés. » Dès 1933, nombre de syndicalistes vont être déportés à Dachau.
En France, la riposte antifasciste est née de la conjonction du péril hitlérien, du développement et de l’agitation des ligues (Croix-de-Feu, Action française, Solidarité française, Jeunesses patriotes, Francisme) dans les années 1930 [5] et va donner naissance au Front populaire. La guerre d’Espagne, la Résistance, les guerres coloniales (Indochine et surtout Algérie) seront des temps forts pour l’extrême droite et les antifascistes. La guerre d’Espagne a été le « front central de la bataille » [6]. Ainsi, pour Robert Brasillach, en opposant « le fascisme et l’antifascisme […] l’Espagne achevait de transformer en combat spirituel et matériel à la fois, en croisade véritable, la longue opposition qui couvait dans le monde moderne » [7]. Illustration dans chacun des deux camps du positionnement de l’écrivain que Sartre a développé : « L’écrivain doit être en situation dans son époque » [8].
Sous la 5e République, quatre grands moments apparaissent dans les mobilisations des antifascismes : de la guerre d’Algérie à la guerre du Vietnam, Mai 68 et les mobilisations contre les groupuscules d’extrême droite dans les années 1970, la période ouverte par la montée du Front national à partir des années 1980, la relance de l’antifascisme radical après l’assassinat de Clément Méric en juin 2013.
Jean-Paul Gautier : Antifascisme(s). Des années 1960 à nos jours
Editions Syllepse, Paris 2022, 324 pages, 20 euros
https://www.syllepse.net/antifascisme-s–_r_66_i_912.html
[1] Gille Vergnon, L’antifascisme en France de Mussolini à Le Pen, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 205-210. Le terme apparaît dans la langue française dans les années 1920. Enzo Traverso, Les nouveaux visages du fascisme, Paris, Textuel, 2016 ; Serge Berstein et Pierre Milza, Qu’est-ce que le fascisme ?, Bruxelles, Complexe, 1999 ; Emilio Gentile, Qu’est-ce que le fascisme ? Histoire et interprétation, Paris, Gallimard, 2004 ; Renzo De Felice, Comprendre le fascisme, Paris, Seghers, 1975 ; Renzo De Felice, Les interprétations du fascisme, Paris, Les Syrtes, 2000 ; Renzo De Felice, Brève histoire du fascisme, Paris, Audibert, 2002.
[2] Bruno Groppo, « Fascisme, antifascismes et communisme », dans Claude Pennetier et Michel Dreyfus (dir.), Le siècle des communismes, Paris, L’Atelier, 2000, p. 499-510.
[3] Jacques Droz, Histoire de l’antifascisme en Europe, 1923-1939, Paris, La Découverte, 1985, p. 8 ; Serge Wolikow, « Les gauches l’antifascisme et le pacifisme », dans Jean-Jacques Becker, Histoire des gauches en France, Paris, La Découverte, 2004, vol. 2, p. 358-373.
[4] Benito Mussolini, Le fascisme, doctrine, institutions, Paris, Denoël/Steele, 1933, p. 40, 41, 44.
[5] Jean-Paul Gautier, « L’antifascisme dans les années 30 », dans Daniel Grason et col. (coord.) , Éclats du Front populaire,Paris, Syllepse, 2006, p. 151-160.
[6] Eric J., Hobsbawn, L’âge des extrêmes, Bruxelles, Complexe, 1994.
[7] Robert Brasillach, Les sept couleurs, Paris, Plon, 1939.
[8] Les Temps modernes, n° 1, 1945.
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