Ce dernier, qui vivait depuis son renversement en 1990 « en exil » au Sénégal, a été condamné à la prison à vie le 30 mai dernier. Ses victimes tant qu’elles sont encore en vie auront maintenant jusqu’au 31 juillet pour déposer des demandes d’indemnisation.
Crimes, disparitions et tortures
Habré a été condamné pour « crimes contre l’humanité », tortures et disparitions forcées, mais aussi pour viols. Des dizaines de milliers de personnes avaient été arrêtées, maltraitées et souvent tuées par la « Direction de la documentation et de la sécurité » (DDS), le service secret du dictateur, au pouvoir de juin 1982 à décembre 1990.
Le verdict a été prononcé par les Chambres africaines extraordinaires (CAE). La Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, qui statue actuellement – dans le cadre d’un procès autrement plus problématique – sur Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire renversé en avril 2011 par l’armée française, ne pouvait pas juger l’ex-dictateur tchadien, car statutairement, la CPI ne peut reconnaître que les crimes commis après l’entrée en vigueur de ses statuts, en 2002. Hissène Habré n’était alors plus au pouvoir...
La composition de ces chambres africaines était destinée à parer aux reproches, souvent adressés à la CPI, de représenter une justice partiale car ne jugeant ou recherchant « que des personnalités africaines » (Laurent Gbagbo, le milicien congolais Jean-Pierre Bemba, le dictateur soudanais Omar el-Béchir...). Il est vrai que la CPI n’a encore jugé aucun dirigeant occidental. Il est tout aussi vrai que des régimes africains instrumentalisent de telles critiques pour tenter de se dédouaner, à peu de frais, de leurs crimes pourtant bien réels.
Premières plaintes en 1999...
Toutefois, les CAE avaient été créées sous la pression d’un pays européen, en l’occurrence la Belgique. Ce pays, qui connaît le principe de « justice universelle » en matière de violations des droits de l’homme (de tels crimes pouvant être poursuivis y compris sans lien territorial avec la Belgique) avait cherché à juger Hissène Habré dans les années 2000 suite à des plaintes déposées à partir de 1999. Or, le Sénégal n’avait pas pu, ou pas voulu, extrader Hissène Habré, qui y était « bien au chaud », jouissant de sa fortune (qui est considérable).
Pour parer au problème de la non-extradition et sous pression internationale, le Sénégal avait fini par consentir à ce que Habré soit jugé par les CAE. Leur financement (à hauteur de 8,6 millions d’euros) a été assuré pour environ 40 % par le Tchad, pays où la dictature d’Hissène Habré avait commis ses crimes (mais dont le régime actuel d’Idriss Déby, au pouvoir depuis le 1er décembre 1990, n’est guère plus recommandable...), pour deux millions d’euros par l’Union européenne, et pour environ un million d’euros par l’Union africaine. Le reste a été pris en charge par plusieurs pays européens : Benelux, Allemagne et France.
La France et Mitterrand en soutien
Autant le jugement de l’ex-dictateur sanguinaire Habré est positif, autant il est à parier que les critiques – qui évoqueront là encore une « justice occidentale » ou « anti-africaine » – ne se tairont pas. Hissène Habré, qui a longtemps été soutenu par la France lorsqu’il était au pouvoir (avant que le gouvernement français ne lui préfère son successeur Idriss Déby), avait de façon démagogique joué sur le registre « anti-impérialiste » au cours de son procès.
L’organisation Human Rights Watch (HRW) prépare, actuellement, « un rapport accablant sur le rôle de la France » (selon le journal le Monde), c’est-à-dire sur son soutien initial au régime tchadien sous Hissène Habré. En effet, la France du président Mitterrand avait déployé une « aide » militaire au Tchad à partir de 1982, puis était intervenue militairement à partir de 1984 dans ce pays. Il s’agissait alors de contrer la pénétration de troupes libyennes dans le nord du pays. Le caractère sanguinaire du régime au pouvoir à N’Djamena ne lui posait alors visiblement aucun problème.
Aujourd’hui, des troupes françaises sont toujours présentes au Tchad, et le régime d’Idriss Déby – formellement « réélu » en avril 2016 avec, selon les chiffres officiels, plus de 95 % des voix – est susceptible d’être jugé à son tour, pour ses crimes et violations des droits de l’homme...
À quand le tour du pouvoir français ?