Édition du 19 novembre 2024

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Économie

Face au risque d’effondrement, l’Europe incapable de repenser son marché de l’énergie

Plus que les délestages tournants, les coupures économiques sont encore plus inquiétantes. Artisans, commerçants, industries, collectivités locales, agriculteurs sont asphyxiés par la hausse vertigineuse des factures d’énergie. Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la sortie de l’actuel marché européen de l’énergie pour sauver l’économie et les ménages, le gouvernement se tait.

12 décembre 2022 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/121222/face-au-risque-d-effondrement-l-europe-incapable-de-repenser-son-marche-de-l-energie

De toutes parts des cris d’alarme. Des industries, des commerces, des artisans, des agriculteurs, des collectivités locales… bref, l’alerte vient de tous ceux qui ont été exclus, dans le cadre de la libéralisation du marché de l’électricité, des tarifs réglementés et du service public d’EDF, afin de les plonger au plus vite dans « les bienfaits de la concurrence ». Tous disent la même chose : ils sont étranglés par les prix de l’énergie.

La presse locale tient désormais une chronique quasi quotidienne des ravages de la flambée énergétique. C’est le boucher ou la boulangère dans telle ou telle ville qui ferme boutique parce qu’il est impossible d’assumer des hausses multipliant par quatre, six, voire dix la facture d’énergie. C’est l’horticulteur ou le maraîcher obligé de renoncer à une partie de ses activités devenues non rentables. C’est la coopérative viticole, vieille de plus de 60 ans, qui regroupe 45 vignerons et emploie 20 salariés, qui se demande comment survivre, alors que sa facture d’électricité passe de 15 000 euros à 130 000 euros par an ! C’est la scierie ou la petite entreprise de métallurgie qui n’arrive même plus à trouver un fournisseur d’électricité ou seulement pour un engagement de trois mois au tarif délirant de 500 euros le MWh, quand il valait moins de 50 euros il y a dix-huit mois. Des coûts impossibles à assumer et qui conduisent à l’arrêt de tout ou partie de leur production.

À cette liste interminable viennent s’ajouter les collectivités locales, les services publics ou ce qu’il en reste. Certaines villes, à l’instar de Carhaix(Finistère), ne savent plus comment elles vont pouvoir chauffer et éclairer les écoles, assurer les cantines – on ne parle même plus des piscines et des équipements sportifs –, alors que les augmentations dépassent parfois les 250 %. C’est l’université de Strasbourg qui va s’arrêter pendant 15 jours de plus après les vacances de Noël pour diminuer sa facture énergétique. Ou un hôpital du Havre qui affiche une température de 13 °C dans les chambres.

« Les coupures d’électricité, certes. Mais la semaine dernière, le Tarn-et-Garonne a été coupé pendant une heure et quart sans qu’on en parle », s’impatiente Anne Debregeas, responsable du syndicat Sud chez EDF, qui juge « qu’on en fait un trop » sur les risques d’éventuels délestages. « Ce n’est pas le bon sujet. Le vrai sujet, ce sont les coupures économiques. Il y avait déjà plus de 10,5 % des ménages en situation de grande précarité énergétique en 2020. Combien vont-ils être dans les mois qui viennent ? Les facs obligées de fermer, les hôpitaux qui ne peuvent pas faire face, les entreprises qui sont étranglées à cause de la flambée des prix de l’énergie. Ça, c’est le vrai sujet », dit-elle.

Alors que les boucliers énergétiques tarifaires vont prendre fin après la Saint-Sylvestre, l’inquiétude monte de partout. Les annonces d’un chèque énergie de 100 euros pour les foyers les plus précaires, d’un guichet d’aide pour les entreprises pouvant aller jusqu’à 4 millions d’euros, d’une aide de 25 % pour les entreprises dont le prix de fourniture dépasse les 325 euros le MWh risquent de ne pas suffire.

« Si le gouvernement n’agit pas rapidement et fortement, on va assister à une hémorragie économique et sociale sans précédent. C’est toute notre économie et notre société qui sont en risque. Mais c’est aussi les réponses que nous devons avoir pour mener à bien la transition économique pour faire face aux dérèglements climatiques qui seront altérées », dit ce familier du pouvoir qui a requis l’anonymat. Pour lui, une réponse rapide s’impose : « L’énergie est un bien commun essentiel. La puissance publique ne peut laisser au marché la responsabilité de faire des arbitrages à sa place. C’est encore plus vrai avec la transition énergétique, qui va bouleverser nos sociétés et nos moyens de production. Il faut des visions stratégiques à long terme répondant à l’intérêt général. Il faut sortir l’énergie du marché. »

« Une planification s’impose. C’est le passage évident que personne ne veut reconnaître. Il faut repenser l’organisation du marché de l’électricité au niveau européen. […] On ne parle jamais de politique. Pourtant, il y a une nécessité de coordonner nos choix à long terme. […] Il faut redonner une délégation explicite aux États membres, comme le permet l’article 294 des traités, pour leur permettre d’organiser leur stratégie. La souveraineté doit s’exercer dans ce domaine aussi stratégique », assurait de son côté Dominique Finon, directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à la chaire European Electricity Market, lors d’un récent colloque à l’École des mines de Paris sur la réforme du marché européen de l’électricité.

La fausse concurrence du marché électrique

La libéralisation de l’énergie devait apporter, selon la Commission européenne, une concurrence accrue permettant une baisse des prix, une sécurité des approvisionnements, des investissements dans les énergies renouvelables et du futur, renforçant une harmonisation du marché unique et garantissant l’avenir.
Avec le recul, de nombreux économistes, de nombreux connaisseurs des marchés de l’énergie se demandent comment l’ensemble des États membres de l’Union européenne ont pu accepter de « démissionner » et de se rallier sans discussion à la libéralisation des marchés de l’énergie. Est-ce par « naïveté » ? Par « idéologie néolibérale » - thèse la plus souvent retenue – qu’ils ont renoncé à toute intervention dans un domaine aussi essentiel ?

Tous ne peuvent aujourd’hui que constater les dégâts : une dépendance énergétique à l’égard de la Russie, sous l’influence dominante de l’Allemagne, dont l’ensemble de l’Europe paie le prix depuis la guerre d’Ukraine ; une déstructuration de toute l’Europe électrique au profit d’une financiarisation accrue qui ne garantit en aucun cas la sécurité des approvisionnements ; une incapacité de fournir une électricité peu chère, exposant toutes les populations à une volatilité des prix des marchés, qui va poser très rapidement la question de la solvabilité des ménages et de la compétitivité des productions du continent ; une désorganisation, voire une destruction de nombre de filières technologiques (solaire, éolien) indispensables à la transition écologique au nom du libre-échange.

« Tout ce qui arrive était prévisible. Le monde de l’électricité n’est pas adapté à la concurrence par le marché. Les caractéristiques et les contraintes qui pèsent sur ce marché en font un monde à part. Parce que l’électricité n’est pas stockable, parce que les réseaux électriques doivent être en permanence à l’équilibre [le transport électrique du système européen en courant alternatif doit être en permanence à 50 hertz – ndlr] sous peine de s’écrouler, parce qu’il faut pouvoir répondre à tout moment à une demande instantanée et parfois non prévisible », expliquait dès l’été 2021 – c’est-à-dire bien avant la guerre d’Ukraine, qui n’a été qu’un accélérateur de la décomposition du système en place – Raphaël Boroumand, professeur d’économie et spécialiste de l’énergie et du climat.

« Dans l’électricité, il ne peut pas y avoir de concurrence au sens classique du terme, quoi qu’en disent certains économistes : les contraintes physiques l’emportent. C’est un marché qui évolue d’heure à heure, et dans les périodes de tension, c’est le gestionnaire de réseaux [RTE en France – ndlr] qui a le dernier mot. Parce que sa mission première est d’assurer la sécurité des approvisionnements, le maintien des réseaux, quel qu’en soit le prix », poursuivait alors ce connaisseur du monde de l’énergie.

Dès le début du projet européen de déréglementation de l’énergie, les électriciens et les spécialistes du marché de l’énergie ont été nombreux à rappeler à Bruxelles ces évidences. Toutes les mises en garde ont été balayées d’un revers de la main.

Cette priorité absolue accordée par la Commission européenne à la « main invisible du marché » pour organiser le marché de l’énergie est lourde de conséquences : toute la formation des prix pour la fourniture de ce bien aussi essentiel que l’électricité a été transformée. Bruxelles a décidé sciemment de livrer l’ensemble des économies européennes, l’ensemble des consommateurs à l’un des marchés les plus incertains au monde, les exposant à tous les risques.

Dès le début de la déréglementation du marché de l’énergie, l’ancien système d’intégration verticale, de la production à la distribution finale, a été éclaté pour y substituer un marché de gros, où s’échangent les productions d’électricité entre professionnels (électriciens, intermédiaires, financiers) et un marché de détail où différents acteurs assurent la commercialisation de l’électricité jusqu’aux consommateurs finaux (entreprises et ménages).

Le coût moyen de production, qui servait de base de calcul pour les prix, qui permettait de différencier les opérateurs performants ou non, de valider des stratégies industrielles et surtout d’assurer une stabilité en lissant les périodes d’extrême tension, a été abandonné au profit du prix de marché. Sur le marché européen, c’est le prix spot désormais qui sert de référence aux contrats de consommation. Il est fixé à partir du coût marginal de la centrale à gaz disponible la moins performante en Europe. « Depuis l’été 2021, avant même la guerre d’Ukraine, on a vu les effets de cette indexation sur le gaz », relève un connaisseur de ce marché. Le MWh se négocie aujourd’hui à plus de 500 euros.

On a assisté à une capture d’une partie de la rente nucléaire autrefois redistribuée à toute l’économie et à toute la population au profit d’intérêts privés.
Un expert du marché de l’électricité

Une étrange amnésie a saisi la classe politique depuis le début de la crise énergétique. Personne ne se souvient d’avoir voté ou que son parti – si la personne n’était pas alors élue – avait voté les différentes lois de libéralisation des marchés de l’énergie en France. Pourtant, lors du sommet de Barcelone de 2002, le premier ministre Lionel Jospin, en cohabitation avec Jacques Chirac, accepte, sur les conseils du ministre des finances Dominique Strauss-Kahn, le principe de la libéralisation de l’énergie en Europe. Cela signifie alors abandonner le service public français et ses deux principaux groupes EDF et GDF au marché, au nom de l’Europe.

« La Commission européenne et les Allemands n’en revenaient pas. Même si c’était un de leurs objectifs, ils n’imaginaient pas que le pouvoir français allait accepter de tels renoncements », se souvient un témoin de l’époque. « Au nom d’un mythique couple franco-allemand, qui n’existe que dans l’esprit des élites françaises, ce pouvoir et les suivants ont sacrifié des années de politique énergétique et industrielle. Il a suffi qu’ils entendent “marché”, “Europe”, pour qu’ils se mettent au garde-à-vous. Ce sont des erreurs lourdes que nous allons payer pendant des années encore, poursuit de son côté un ancien haut cadre dirigeant d’EDF, reprenant un discours très partagé dans le groupe public et au-delà.

À l’exception des élus du Parti communiste et de certains récalcitrants, les parlementaires de tout bord politique ont durant ces années adopté, parfois avec enthousiasme, tous les textes mettant en pièces l’organisation de la chaîne du système électrique français afin d’y instaurer une « concurrence libre et non faussée ». L’illustration désormais la plus connue de cette mutation est celle du mécanisme de l’Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique).

Adopté dans le cadre de la loi Nome, ce dispositif, négocié point par point avec les autorités européennes, visait à rétablir « une juste concurrence » entre EDF et ses rivaux. Afin de permettre à ces derniers de se développer sur le territoire français où ils partaient largement désavantagés, le groupe public doit lui fournir jusqu’en 2025 le quart de sa production nucléaire au prix fixe de 42 euros le MWh. La Commission européenne n’a jamais accepté de réviser ce tarif par la suite, en dépit de la hausse des coûts de production du groupe public.

« Déjà, le principe de demander à un groupe qui bénéficie d’avantages compétitifs d’en redistribuer par avance une partie à ses concurrents est une hérésie en termes de concurrence. La Commission européenne sait faire preuve de beaucoup de créativité en ce domaine. Mais la vraie faute originelle de tout ce mécanisme, c’est d’avoir permis que des sociétés puissent y avoir accès sans avoir le moindre outil de production. Ce à quoi on a assisté, c’est à une capture d’une partie de la rente nucléaire, autrefois redistribuée à toute l’économie et à toute la population, au profit d’intérêts privés », explique cet expert des questions de concurrence.

Les arnaques des fournisseurs alternatifs

La mise à disposition d’une partie de la production nucléaire d’EDF, ajoutée aux multiples subventions de l’État, était censée permettre le développement des énergies renouvelables. Résultat ? EDF a abandonné des milliards d’euros à ses concurrents et quelque 167 milliards d’euros d’aides publiques ont été dépensés en dix ans, selon la Cour des comptes. Pourtant la production des énergies renouvelables est sous-développée, ce qui vaut aujourd’hui à la France d’être condamnée pour ne pas avoir respecté ses objectifs. Selon les derniers recensements, il y a 30 GW de capacités de production d’énergies renouvelables installés en France, soit environ 10 % de la capacité totale de production d’électricité, et une grande partie dépend d’EDF.

Car l’essentiel de la concurrence en France est représenté par des fournisseurs alternatifs, des simples traders qui ne produisent pas un watt d’électricité mais qui spéculent sur les marchés en profitant de la manne d’EDF. Nombre d’entre eux ont commencé à se retirer du marché dès les premières difficultés de 2021, à l’instar de Leclerc, renvoyant ses clients du jour au lendemain chez EDF. 300 000 foyers ont ainsi été abandonnés et sont retournés chez EDF sans qu’ils s’en rendent compte. Car la continuité du service leur a été assurée.

D’autres s’inscrivent dans de purs systèmes de fraude, comme est en train de le mettre au jour le sénateur communiste Fabien Gay. Le cas d’Hydroption, fournisseur de l’armée, de la ville de Paris ou d’un certain nombre d’autres administrations – avec l’aval des centrales d’achat public – avant de faire faillite, en est un des exemples.

Mais les pratiques du fournisseur Mint ou d’Iberdrola sont tout aussi illustratives. En pleine crise énergétique, ceux-ci ont lancé de vastes campagnes à des prix défiant toute concurrence afin d’attirer de nouveaux clients en avril. C’est la période où sont attribués les volumes de l’Arenh pour l’année d’après. Mais dès le mois d’août, ces derniers ont changé de façon discrétionnaire les contrats d’approvisionnement, imposant des hausses de 100 % à 150 %, et surtout ont conseillé à leurs clients d’aller rejoindre les tarifs réglementés de l’électricité d’EDF, toujours ouverts aux particuliers. Bien entendu, eux conservaient les volumes de l’Arenh qui leur avaient été attribués. Au prix de 42 euros le MWh, quand celui-ci se négocie à plus de 500 euros sur les marchés, on imagine la culbute. Avant l’intervention de Fabien Gay et l’action de groupe de l’association CLCV (Consommation, logement, cadre de vie), les pouvoirs publics et la commission de régulation de l’énergie n’avaient rien trouvé à redire sur ces pratiques.

Le bouclier tarifaire, nouvelle subvention aux acteurs privés

« Plutôt que de subventionner une concurrence fictive avec les boucliers tarifaires sur le gaz et l’électricité, il aurait été préférable de revoir les mécanismes de fixation des prix sur le marché européen et de rouvrir les tarifs réglementés à tous. Là, on va dépenser 100 milliards d’euros en deux ans à fonds perdu, rien que pour soutenir artificiellement des fournisseurs alternatifs qui n’apportent rien. Ces 100 milliards auraient été bien plus utiles pour financer des projets dans le cadre d’une politique de transition énergétique », peste le député (PS) de la Nupes Philippe Brun.

Campant sur ses positions, le gouvernement maintient qu’il a adopté les meilleures mesures possibles pour faire face à la crise énergétique. Les boucliers tarifaires ? Ils ne vont pas coûter si cher que cela aux finances publiques. Une partie est prise en charge par EDF. L’autre partie – 45 milliards cette année – est refinancée par la taxe sur les superprofits réalisés cette année par les producteurs d’énergie décarbonnée (solaire, éolien, nucléaire) et dont le calcul a été fixé par la Commission européenne. Selon les premières estimations de Bercy, celle-ci devrait lui rapporter quelque 35 milliards d’euros.

Quant à permettre un retour aux tarifs réglementés pour les clientèles qui en ont été exclues, le gouvernement s’y oppose catégoriquement. La semaine dernière, le sénateur Fabien Gay a présenté une proposition de loi afin de permettre au moins aux collectivités locales d’y retourner. Refus catégorique de Bercy : le coût dépasserait 50 milliards d’euros, selon ses calculs. Une expertise indépendante a refait les comptes : le retour aux tarifs réglementés des collectivités locales coûterait 3 milliards d’euros. La différence est de taille mais cela n’a pas ébranlé les positions du gouvernement. Il est toujours opposé à l’allègement de la charge des collectivités locales, qui ont à assumer les écoles, les bibliothèques, les services publics de proximité…

L’étrange silence de la France

C’est un silence qui intrigue de plus en plus. En septembre 2021, le ministre des finances, Bruno Le Maire, fut un des premiers responsables européens à dénoncer l’alignement des prix de l’électricité sur ceux du gaz. « Le marché unique européen de l’électricité ne marche pas, il est aberrant », déclarait-il alors, critiquant des règles « obsolètes » qui empêcheraient, selon lui, la France de pouvoir bénéficier des avantages de sa production nucléaire et hydraulique à coût stable.

Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. Les prix du gaz ont explosé, à la suite de la guerre d’Ukraine, du tarissement des approvisionnements de gaz russe en Europe, de la panique que cela a provoquée, alimentée en partie par la Commission européenne. Et les prix de l’électricité ont suivi. La spéculation est à son comble. Et le gouvernement français ne dit rien, ne fait rien.

À l’été, les gouvernements espagnol et portugais ont imposé à la Commission européenne, qui a invoqué l’exception de la « péninsule ibérique » comme justification, de sortir du marché européen de l’électricité. Depuis, les deux pays paient le MWh autour de 100 euros, quand tous les autres l’achètent entre 400 et 600 euros en moyenne ces derniers mois. De toutes parts, des voix se sont élevées pour demander que la France, compte tenu de sa spécificité – 80 % de l’électricité consommée est produite sur le territoire à coût fixe –, suive l’exemple de la péninsule ibérique pour soulager les entreprises et les ménages. Le gouvernement n’a même pas relevé la suggestion.

À l’automne, des États membres emmenés par la Belgique et l’Italieont réclamé à nouveau une réforme du marché de l’électricité. La Commission européenne, reprenant les oppositions de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Danemark, a d’abord refusé de changer les règles d’un marché qu’elle considère comme « parfait ». Mais face à la colère de plusieurs pays qui voient leur économie et les ménages étranglés par les factures, elle s’est dite prête à faire un geste. En novembre, elle a présenté un projet de réforme du marché de l’électricité. « Une plaisanterie », s’est emportée la ministre espagnole de l’écologie, Teresa Ribera Rodriguez, quand elle a découvert le projet : le mécanisme prévu ne permettait pas de prémunir les États membres, même en cas de spéculation effrénée, comme en août, où le MWh avait dépassé les 1 000 euros.

Alors que les pays de l’Europe s’écharpaient sur la réforme du marché européen de l’électricité, la France était toujours aux abonnés absents, ne disant rien, n’affichant aucune position, ni pour ni contre, nulle part. Ce silence, selon le député Philippe Brun, a une explication : les fameux six EPR qui résument toute la politique énergétique d’Emmanuel Macron. « La priorité du gouvernement, c’est de négocier la tarification du nouveau nucléaire, de trouver l’équation économique qui le rende rentable. Il a besoin d’obtenir un accord de la Commission européenne autour de 90 euros le MWh. Pour y réussir, il est prêt à consentir à tout, au démantèlement d’EDF et du service public, à la libéralisation totale du marché en France », dit-il. Et surtout, il ne prend aucune position qui pourrait lui attirer l’hostilité de Bruxelles.

Six EPR contre la compétitivité du pays

Six EPR justifient-ils de mettre à bas toute l’économie française, de précipiter des ménages entiers dans la précarité ? La question, aussi incongrue soit-elle, pourrait se poser rapidement dans ces termes. Ce week-end, 12 pays européens, emmenés par la Belgique, l’Italie, la Grèce et la Pologne, sont entrés en révolte ouverte contre la Commission européenne. Alors qu’une réunion doit se tenir dans la semaine, ils demandent des mesures d’urgence pour plafonner les prix de gaz et donc de l’électricité, afin de préserver leurs entreprises et les ménages. Ils semblent prêts au clash. Compte tenu de leur nombre, ils ont la possibilité de bloquer toute décision européenne et même plus.

« L’Europe de l’énergie est en train d’imploser. Les pays ne vont pas supporter de voir la destruction de leurs industries, l’appauvrissement des ménages, de perdre en compétitivité sans rien faire. L’Espagne et le Portugal sont déjà sortis et ils ne reviendront pas. D’autres risquent de les imiter rapidement. Le face-à-face entre la France et l’Allemagne est intenable », analyse un connaisseur du dossier.

« On a eu dix-huit réformes du marché du travail en dix ans, au nom de l’attractivité de la France. Mais le vrai problème, c’est le coût de l’énergie. C’est là que se situe la vraie bataille de la compétitivité de la France, de son avenir », insiste Philippe Brun. Par ses choix passés, par son silence actuel sur des problématiques essentielles, le gouvernement montre qu’il privilégie toujours le travail précaire et dégradé au détriment de l’emploi qualifié. De la paupérisation assumée de la recherche jusqu’à la suppression des mathématiques dans le secondaire, il démontre qu’il n’a nulle envie de s’inscrire dans la longue tradition technique, industrielle scientifique du pays. Il lui préfère un capitalisme de rente. Ses six EPR, dont on ne sait quand et s’ils verront le jour, en sont le résumé.

Martine Orange

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