tiré de FRACTURES, vol.2 no. 9 | Le Bulletin des membres de l’IRIS
Quatre-vingt-douze gigatonnes. C’est la quantité de matière qui a été globalement extraite sur la planète en 2o17. Environ la moitié de cette masse (44Gt) était constituée de minéraux non métalliques-sable, gravier, calcaire et autres, dont l’essentiel a été transformé en béton-, une autre partie de ces 44 Gt a servi de remblai et le reste a été dissipé sous forme d’engrais essentiels à l’agriculture industrielle ou bien façonné en pro¬duits de verre jetables (recyclables). La biomasse issue du vivant représente le quart (24 Gt sur 92 G) de l’extraction globale. En tant que flux de matière, elle circule dans les sociétés sous la forme de denrées alimentaires et d’aliments pour animaux, est également brûlée comme combustible ou finalement accu¬mulée dans les bâtiments sous la forme de bois et de ses déri¬vés ligneux. Les combustibles fossiles, qu’ils alimentent des machines ou qu’ils soient transformés en plastiques à usage unique, représentent 15 Gt sur 92. L’extraction mondiale de métaux ajoute 9 Gt de matière à ce flux de masse.
Quatre-vingt-douze gigatonnes en 2o17, certainement plus aujourd’hui en 2023, tandis qu’en 1970, le flux extractif mondial s’élevait à 27 gigatonnes. La masse de matière que les sociétés et leurs économies ont arrachée à la terre et mise en mouvement a été multipliée par 3,4 en un peu moins d’un demi-siècle. Une croissance exponentielle qui est l’incarnation matérielle de l’accumulation capitaliste et de sa croissance éco¬nomique. Pour mettre ces chiffres en perspective, on estime à 118 gigatonnes la quantité de matière fixée par la photosynthèse dans les écosystèmes terrestres grâce à l’énergie du soleil etau travail biologique des plantes. Ces flux massifs rivalisent ainsi en ampleur avec ceux qui assurent l’épanouissement de tous les êtres vivants terrestres de notre planète. Leurs effets négatifs sur les écosystèmes et les grands cycles biogéochimiques de la planète sont tout aussi imposants.
Une fois extraite par les processus économiques, cette matière sera soit accumulée sous la forme de stocks biophy-siques (bâtiments, ouvrages, infrastructures, machines et cossins) ou bien elle fera l’objet d’un usage rapide plus ou moins dissipatif (pensons au sel de déglaçage, aux canettes d’aluminium et aux ustensiles en bambou). Dans tous les cas, la matière extraite se dirige inexorablement vers son point de dissipation final où elle deviendra -à des vitesses distinctes - déchets, résidus ou émissions. Car même la matière accumulée et façonnée en artefacts durables tels que les machines, bâti¬ments, barrages ou autoroutes n’est pas immuable ; elle finira, elle aussi, par se dissiper sous la forme de déchets. Par contre, pendant leur existence, ces stocks durables commandent par leur usage certains flux de matière, et cela renforce encore la dépendance à long terme du processus économique à l’égard de l’extraction et de la dissipation de masse.
Extraction et dissipation sociale sont les interfaces et fron¬tières entre l’économie saisie dans sa matérialité et l’environ-nement naturel. De pan et d’autre de la frontière extractive et dissipative, la nature est réduite à sa fonction de source de matière première ou de puits absorbant les déchets et résidus de la société. Ce sont tout le long de ces frontières qu’émergent les contradictions écologiques des économies capitalistes et de leur croissance.
C’est pour comprendre cette matérialité de l’économie capitaliste, son métabolisme social, que je me suis lancé dans la recherche qui a mené à l’écriture du livre The social ecology of capi¬tal. L’écologie sociale étudie le flux de matière que mobilisent et transforment les sociétés pour assurer leur reproduction maté¬rielle. Par le biais de l’analyse du métabolisme. des sociétés, elle s’intéresse à la composition et au volume de l’extraction de matière, aux conditions écologiques et sociales de l’extraction, aux transformations entropiques que subit cette matière dans le cadre des relations de production et de consommation, aux modalités qui régulent sa dissipation sociale sous la forme de déchets et d’émissions. Du point de vue de l’écologie sociale, l’économie capitaliste repose ainsi sur quatre relations méta-boliques fondamentales. À côté des relations de production et de consommation, qui sont les structures classiques qu’analyse l’économie politique, s’ajoutent les relations sociales d’extrac¬tion et de dissipation, relations métaboliques qui encadrent et déterminent le processus économique du capitalisme et son écologie.
Pour l’écologie sociale, la matérialité du processus économique du capitalisme repose sur quatre moments uccessifs organisés en un flux linéaire : extraction- production - consommation - dissipation.
L’écologie sociale s’intéresse également à la manière dont le capital s’accumule à chacun de ces points et à la façon dont il se fixe dans des artefacts (machines, ouvrages, infrastruc¬tures et bâtiments ayant de longs cycles d’amortissement qui engagent la société dans des flux extractifs et dissipatifs futurs. La dépendance vis-à-vis de l’extraction, de la circulation et de la dissipation de certaines matieres est ainsi capitalisée par les projets d’investissements des grandes entreprises privées. L’accumulation du capital au point d’extraction, par exemple, se traduit en résistance des entreprises d’énergies fossiles à la transition écologique. L’accumulation de capital au point de dissipation, par exemple dans un site d’enfouissement, un incinérateur ou une technologie de capture et de séquestra-tion de CO,, implique la même inertie matérielle. Pourquoi produire et consommer moins alors qu’il faut jeter plus pour rentabiliser ces sites du capital dissipatif ? Pour répondre à cette question, il faut examiner de près la logique économique des grandes entreprises multinationales qui contrôlent l’essentiel des flux biophysiques dans le capitalisme par le biais de stra¬tégies monopolistiques.
Le capitalisme avancé a été théorisé par une longue tradi¬tion d’économistes politiques radicaux. Les hétérodoxes tant marxistes que postkeynésiens le définissent comme un régime d’accumulation basé sur la surconsommation de ce que le capi¬tal surproduit. Dans cette économie, production de masse et consommation de masse sont couplées l’une à l’autre, stabili¬sant le système et soutenant la croissance économique à long terme. L’écologie sociale du capital et le tournant matérialiste écologique qu’elle propose s’appuient sur cette tradition en étudiant les moteurs métaboliques de la croissance et de l’ac¬cumulation ainsi que les conséquences et les contradictions écologiques que cette croissance implique. Elle souligne que s’il y production et consommation de masse, il y a également extraction de masse et dissipation de masse. Le livre se conclut sur la question de savoir comment sortir de l’engrenage de la croissance capitaliste dans lequel la plupart des sociétés sont prises aujourd’hui en examinant les voies alternatives que sont le socialisme et la croissance verte progressive. Il se ter¬mine par un appel à considérer sérieusement la décroissance socialiste comme la seule alternative viable à l’effondrement socioécologique.
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