Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

École ou garderie ?

En cette première non-rentrée, retour sur l’automne 2015

Chez la psychologue scolaire

. Le 30 septembre, je rencontre la psychologue pour un tour d’horizon de mes deux classes de sixième année au programme d’anglais intensif. Ayant lu les dossiers d’élèves, c’est sans surprise que j’entends que la moitié des enfants sont étiquetés et presqu’autant médicamentés. Plusieurs dossiers portent la mention « ne pas confronter ». Ne pas accabler d’un stress supplémentaire celui qui est à la veille d’exploser. À bon entendeur, salut ! L’obsession de performance, le manque de stabilité, des problèmes d’attachement et autres symptômes concourent-ils à former des êtres fragiles ? Le résultat, lui, est clair : de petites bombes prêtes à réagir à la moindre distraction mais rarement à ce qui se passe en avant. Des enfants surstimulés, incapables de s’arrêter parce que la peur du vide est trop grande.
Documents en main, nous discutons. Il ne manque que la table d’examen à l’atmosphère du cabinet médical. Qu’attend-on de moi, qui ne suis ni docteure ni éducatrice spécialisée ? Je devrai accorder plus d’attention à untel, rehausser l’estime de soi d’une autre, veiller à ce qu’un troisième n’intimide pas un quatrième… Avec l’orthopédagogue, nous prenons dix minutes à former des équipes viables. Paul et Julien se détestent. Chloé pourrait perdre son temps en présence de Mathilde. Maxime et Estelle n’ont pas les mêmes difficultés. Il faut aussi prendre en compte que le père de Paul est difficile à aborder.

Je considère parfois les enfants comme à moitié fous, mais par-delà les difficultés d’apprentissage, le retard scolaire, l’attitude immature, une grande tristesse chez certains, faut-ils les affubler de troubles X et de syndromes Y ? Maux innés ou acquis ? Est-ce eux, le problème ? Ces élèves, dits « avec des besoins particuliers » auraient peut-être besoin d’un environnement moins cacophonique pour composer avec les petits vides dont le quotidien est peuplé, d’autre chose que des produits de consommation à se mettre sous la dent pour parer à l’anxiété. Besoin d’une oreille…et besoin de se faire dire « non » de temps en temps.

Parmi mes élèves, une petite qui a été adoptée en bas âge. On ne sait pas trop ce qu’ont été ses débuts dans la vie. Elle a passé sa cinquième année avec 58 %. Son trouble, dont je n’arrive pas à me rappeler le nom, consiste grosso modo à mal interpréter les gestes mais fort bien les explications. J’avais remarqué ce phénomène et en passant, j’apprécie assez les élèves qui comprennent les explications. Une auditive, quoi. Avec le temps et peut-être parce que je n’en comprends pas toute la complexité, je deviens sceptique devant tous ces diagnostics.

Et si la médecine servait à justifier ce qu’on veut éluder, les vraies causes ? Comme société, si on hésite à se poser les questions difficiles, on fait preuve d’autant d’immaturité que nos enfants. L’impératif de travailler toujours plus pour produire encore plus nous aurait-il transformés en automates sans jugement, d’où notre réticence chronique à se responsabiliser, au risque de priver les enfants de la possibilité de devenir eux-mêmes des adultes ?

Tout le monde passe son année

Début octobre, je donne un test de français. Plusieurs n’obtiennent que trois ou quatre mots bien orthographiés sur dix, n’ont rien compris au pronom, et pour la plupart, règlement est un adverbe. En ce début d’année, pas de panique, pas d’illusions non plus. Quelques-uns vont s’améliorer, les autres stagneront. Il y a un retard qui s’accumule, de bonnes habitudes qui n’ont jamais été prises, une indifférence qui persiste.

À quoi bon s’inquiéter puisque tout le monde passe ? Faire doubler un élève de cinquième serait un coup dur à son égo, passablement atrophié déjà. S’il n’est pas dans les plus jeunes, il n’arriverait pas à se refaire un groupe d’amis. Il risque plus tard de décrocher. Là, je me demande : « Décrocher de quoi » ? Finalement, ce sont les parents qui ont le dernier mot en matière de promotion, un droit de veto, pour ainsi dire. On se retrouve avec des classes ayant de grandes disparités où il devient quasi impossible d’enseigner. Si en plus, l’élève en difficulté ne déplace pas d’air, on l’oublie parce qu’on est occupé à faire taire les syndromes Y. Tout le monde a son besoin particulier sauf l’enseignant(e).

Vingt-cinq de mes quarante-neuf élèves n’ont pas les acquis pour réussir une sixième année sans aide chimique ou autre, et encore moins une sixième amputée presque de moitié, dans le cadre du programme d’anglais intensif. Ces derniers vont monter au secondaire dans le même état. Car en plus du charabia sur l’estime de soi, il existe une explication assez simple pour justifier le non-redoublement. Les directions, citant des études sur le sujet, affirment que de tels enfants ne réussiraient pas mieux s’ils reprenaient leur année. On les fait ainsi passer au secondaire et on essaie de les garder le plus longtemps possible sur les bancs de l’école, histoire de les protéger d’eux-mêmes et de la vie. L’école ressemble de plus en plus à un grand service de garde.

C’est dans cet ordre d’idées que, sous le gouvernement Charest, a été implanté l’anglais intensif pour tous en sixième année.i Les élèves faibles le resteraient, qu’ils aient 100 % ou 60 % du temps en français-math. Appliquons la même logique et on supprimera l’orthopédagogie et tous les autres services à l’élève, faisant ainsi économiser des millions au ministère de l’éducation. Pourquoi ne pas donner immersion anglaise dès la première année (certaines écoles le font à partir de la cinquième) ou à la maternelle et tant qu’à y être, au berceau puisque notre vrai problème est de parler cette langue qui ne rapporte pas assez d’argent ? — pardonnez mon cynisme. Je me demande souvent jusqu’où va notre détestation du français. À moins que ce soit l’amour de l’ignorance qui l’explique.

L’école fourre-tout

L’école est un service parmi d’autres. Le client, le parent ou encore l’enfant, si celui-ci régente la famille. Un parent mécontent retirera possiblement son ou ses enfants de l’école et cela représentera un déficit dans la subvention gouvernementale versée à cette école. « Le client étant roi, l’école pliera », pourrait être le premier commandement de l’école québécoise.

Le parent-client commande aussi de belles notes, qui donnent l’aspect de la réussite. Les commissions scolaires aussi, aiment les belles notes ; elles rehaussent leur image. Enfin, le Ministère n’ira pas se plaindre que les écoles s’abstiennent de coûteux redoublements. Nous vivons dans une société du paraître qui domine tout. Paraître : riche, beau, bon, compétent, instruit. Et non pas être. Alors pourquoi s’évertuer à remplir une coquille qu’on aime bien vide ?

On parle d’un taux préoccupant d’analphabétisme au Québec : selon une étude initiée par l’OCDE en octobre 2013 et dont certains éléments sont publiés sur le site Fondation pour L’Alphabétisation, le Québec compte 19 % d’analphabètes et 34,3% d’analphabètes fonctionnelsii, chiffres dont l’école n’est pas l’unique responsable, à mon avis. Comme dit le proverbe : « Qui trop embrasse mal étreint. » Éduquer une société est un mandat colossal, on ne va pas y ajouter : soigner, divertir, compenser pour tout ce que l’entourage affectif de l’enfant n’offre pas. On a créé, tout un chacun, une organisation, l’école, qu’on va jusqu’à mépriser (parce que formatrice d’analphabètes et imparfaite dans les services qu’elle propose), sans pour autant cesser d’exiger d’elle l’impossible.

La population réclame, et avec raison, plus de moyens en éducation : plus d’aide à l’élève, plus d’aide aux enseignants. Sachons cependant que les sommes qu’on veut voir injecter ne suffiront pas à elles seules à combler les lacunes de l’école si, en tant que société, on ne s’interroge pas sur les causes profondes du marasme. Sommes-nous prêts à reconnaître à l’école et aux enseignants une autorité en matière d’éducation-instruction ? Sommes-nous décidés à cesser d’utiliser l’école comme une garderie ? Il est clair pour moi que cette génération d’écoliers et d’étudiants mérite de recevoir autant d’opportunités que leurs aînés en matière d’éducation. Et pas que par souci de justice : parce que le monde a besoin d’eux.

Hélène Boily,
Enseignante retraitée

Hélène Boily

Membre du groupe SOCN

Sur le même thème : Éducation

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...