Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Écosocialisme

Crise socio-écologique et civilisation nouvelle

Préface à « Les Phases de développement de la crise écologique capitaliste » de Daniel Tanuro

Dans son remarquable livre de 2010, L’impossible capitalisme vert (aux éditions La Découverte), Daniel Tanuro avait apporté une contribution capitale à une écologie critique. Avec cette brochure, destinée à un large public, il réussit une brillante synthèse de l’histoire du capitalisme comme « progrès destructif », qui montre comment la dynamique d’accumulation illimitée du capital conduit, avec une logique implacable, à la ruine de l’environnement naturel. Avec des arguments précis et raisonnées, il déconstruit les explications mythiques de la crise écologique – par « la technique » en tant que telle, ou par l’explosion démographique - pour mettre en évidence le véritable responsable : le système capitaliste/industriel moderne, le mode de production fondé sur la valeur d’usage mercantile.

On pourrait ajouter, à destination des confusionnistes qui font de Malthus le fondateur de l’écologie, cette évidence connue de tous les démographes : le taux de croissance de la population décroit avec l’amélioration des conditions de vie, de la sécurité sociale, de l’éducation (notamment sexuelle) et du droit des femmes à disposer de leurs corps…

Le désastre écologique se traduit par l’empoisonnement des eaux, de l’air et de la terre, l’accumulation de déchets (notamment radioactifs), la déforestation, la disparition des espèces et beaucoup d’autres manifestations, qui s’aggravent avec une rapidité impressionnante. Mais le danger le plus grave est sans doute le réchauffement global. Comme le souligne Tanuro, « la soif de profit capitaliste amena l’humanité au bord d’un basculement climatique catastrophique et irréversible ». Il s’agit d’une menace sans précédent dans l’histoire de l’Homo sapiens, pouvant entraîner l’immersion des villes côtières sous la mer, la désertification des terres, la réduction dramatique de l’eau potable, l’incendie des forêts…

Si l’on continue avec ce qu’on appelle business as usual, le basculement pourrait – selon des scientifiques comme James Hansen, le climatologue de la NASA nord-américaine – avoir lieu dans quelques décennies.

L’incapacité des gouvernements qui représentent les intérêts du capital à prendre les premières mesures urgentes est illustrée par le spectaculaire échec des conférences internationales de Copenhagen, Cancun, Durban, Rio + 20, etc. Leur dernière proposition, la prétendue « économie verte », n’est qu’une mystification, comme le montre Tanuro : une nouvelle version de l’enclosure des commons, consistant à privatiser et monétariser les « services de la nature ».

La crise économique actuelle – elle aussi, comme la crise écologique, l’expression de la profonde irrationalité du système – sert de prétexte aux divers gouvernements pour remettre les mesures écologiques, comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre (responsables du réchauffement global) aux calendes grecques. Face à la crise, partis de gouvernement et d’opposition, de centre-droit ou de centre-gauche, partagent la même « réligion de la croissance » : des humbles et insistantes prières adressées à des divinités capricieuses – les marchés financiers – pour qu’elles permettent le retour de la « confiance » et de la « croissance ». Or, que signifient la « croissance » et l’« expansion » dans le cadre du capitalisme sinon une intensification de la crise écologique ?

La seule alternative aux deux crises – qui témoignent, en dernière analyse, d’une véritable crise de civilisation, la crise du modèle capitaliste/industriel moderne – c’est , comme le dit si bien Tanuro, « la lutte pour une appropriation collective des richesses », et pour une planification écologique démocratique, ouvrant la voie à une transition vers une autre civilisation, vers une société ecosocialiste. C’est-à-dire une société où la production ne vise pas l’accumulation à l’infini de marchandises – à l’obsolescence programmée – mais la production de valeurs d’usage visant la satisfaction des besoins sociaux, démocratiquement définis par la population elle-même ; une société égalitaire et libre, qui remplacera les énergies fossiles, destructrices des équilibres naturels, par des énergies renouvelables, et l’agro-négoce industrialisé par une agriculture écologique ; une société où les transports publics gratuits réduiront progressivement la place – aujourd’hui exorbitante – des voitures individuelles.

Bref, une civilisation nouvelle, où le respect pour l’environnement naturel – la Madre Tierra des communautés indigènes d’Amérique Latine – et l’extension du temps libre, permettant l’auto-activité des individus, qu’elle soit artistique, ludique, érotique ou politique, remplaceront le délire productiviste et l’obsession consommatrice du mode de vie capitaliste.

Notes

[1] Initialement publié en n° spécial de La Gauche, Belgique, juillet-août 2013 et disponible sur PTAG : "Les phases de développement de la crise écologique capitaliste - http://www.pressegauche.org/spip.php?article14957

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