Tiré du site du CADTM.
Les exportations en berne
La guerre commerciale a porté un coup aux exportations, l’un des trois principaux moteurs de la croissance (les deux autres étant l’investissement public et privé, ainsi que la consommation des ménages). Début 2020, les exportations chinoises ont subi un deuxième coup dur : la pandémie de coronavirus.
Bien que la dépendance de la Chine à l’égard des exportations n’ait cessé de diminuer au cours de la dernière décennie, un quart de la main-d’œuvre active du pays, soit 200 millions de travailleurs/euses, dépend toujours du secteur des exportations pour ses emplois. Les trois plus importantes villes côtières - Shanghai, Shenzhen et Guangzhou - sont toutes fortement dépendantes des investissements étrangers, qui représentent entre 60 et 70 % du PIB des villes.
Il n’est donc pas étonnant que le PIB national se soit contracté de 6,8 % en glissement annuel au cours du premier trimestre 2020. Pour la première fois en 30 ans, la Chine a abandonné un objectif de PIB annuel pour 2020, comme l’a annoncé le Premier ministre Li Keqiang dans son rapport à l’Assemblée populaire nationale.
La flambée du chômage
Officiellement, le taux de chômage s’élèverait à 5,9 %, mais personne n’y croit. En Chine, le parti continue de manipuler les chiffres pour faire croire à ses performances.
L’un des principaux défauts des chiffres officiels est qu’ils ne comptent que les personnes enregistrées comme ménage urbain et excluent donc les migrant.es venue.es des campagnes chinoises. Un rapport du très sérieux magazine Diplomat a fixé le taux réel à 12 %, et ce chiffre est largement accepté. Selon un autre rapport, il serait serait de 20 %, soit 70 millions de chômeurs/euses.
Des revenus en régression
2020 pourrait également être une année où la croissance des revenus sera négative pour la première fois depuis trente ans. Cette situation est particulièrement néfaste aux salarié.es partant à la retraite, car les caisses de retraite n’ont pas assez d’argent pour les payer, même en recevant des subventions publiques.
La crise de l’immobilier
La récession du marché immobilier, qui a été l’un des principaux piliers de la croissance, est également une mauvaise nouvelle.
Les municipalités se trouvent désormais dans l’incapacité de vendre autant de terrains qu’auparavant à un prix favorable aux promoteurs, et ont donc vu leurs revenus diminuer également. Cela affectera également leur capacité à rembourser les prêts (les municipalités sont lourdement endettés).
La question de la dette
Depuis la crise financière de 2008, les gouvernements locaux ont mis en place des montages financiers (LGFV) leur permettant d’emprunter de l’argent afin d’investir dans les infrastructures. Ils ont ainsi pu stimuler la demande et poursuivre l’industrialisation du pays (tout en permettant à des responsables de voler l’argent public des projets d’État).
Une grande partie de cette dette est cachée, et son montant réel n’est pas connu du grand public. Il se situerait entre entre 16 et 42 trillons de RMB (2 à 5,2 milliards de milliards d’euros).
Le FMI a publié un rapport en décembre 2017 dans lequel il identifie trois « tensions majeures » dans le système financier chinois qui pourraient faire dérailler l’économie, la dette étant l’une d’entre elles. Ce rapport a été suivi par un autre de la Banque des règlements internationaux en mars dernier, avertissant que la dette de la Chine dépasse désormais un montant qui pourrait entraîner des retombées sur l’ensemble du système économique chinois.
La dette totale de la Chine s’élève à 256 % du PIB. Ce chiffre est comparable à celui des pays développés, mais il est exceptionnellement élevé pour un pays en développement comme la Chine.
Il faut prendre en compte le fait que, contrairement à la dette de nombreux pays à revenu intermédiaire similaires, la dette de la Chine est principalement une dette intérieure libellée en RMB, et non en devises étrangères. Cette dette est donc soumise à un contrôle gouvernemental plus important.
Les contradictions du capitalisme bureaucratique
La Chine étant une sorte de capitalisme d’Etat, le pouvoir de Pékin dispose d’un plus grand pouvoir pour contenir la crise économique. Il injecte en ce moment dans l’économie l’argent du plan de sauvetage qu’il a mis sur pied.
Mais simultanément, ce capitalisme étatique génère de plus en plus de problèmes pour lui-même : ces dernières années, sous prétexte de lutter contre la corruption, l’État a emprisonné de nombreux magnats, par exemple Wang Jian du groupe HNA, Wu Xiaohui du groupe d’assurance Anbang et la star de cinéma Fan Bingbing.
Depuis la fin de l’année 2018, les médias (qui sont presque tous détenus par l’État) ont commencé à promouvoir la nouvelle idée selon laquelle, dans une période d’escalade du conflit avec les États-Unis, la Chine doit faire reculer le secteur privé et soutenir le renforcement du secteur public afin de renforcer la capacité du pays à lutter contre les États-Unis. Suite à cela, 41 sociétés privées cotées en bourse ont vendu une partie de leurs actions à l’État, et leur contrôle pratique a été transféré à ce dernier.
Une autre forme de contrôle de l’État consiste à introduire des cadres du parti dans les entreprises privées pour tout superviser. Le dirigeant d’Alibaba, Jack Ma, a annoncé qu’il se retirerait du géant qu’il a fondé en 2019, alors qu’il n’avait que 54 ans. On pense généralement qu’il a dû se retirer pour permettre au parti de contrôler sa société. Suite à l’attaque du parti contre les magnats, une tension croissante existe entre le parti et le monde des affaires en général.
Le secteur privé représente plus de la moitié du PIB, mais les entreprises d’État (SOEs) monopolisent les sommets de l’économie, tels que les banques, les assurances, les finances, les transports, les communications, l’aviation, etc. Étant en situation de monopoles ces entreprises ont davantage la possibilité de fixer unilatéralement leurs prix de vente, ce qui n’est pas le cas des autres entreprises. Ces entreprises d’État dévorent une grande partie des prêts bancaires et des subventions de l’État.
En contrôlant les entreprises d’État, les hauts dirigeants du parti ont pillé les richesses du pays. Un autre canal de pillage est le contrôle qu’ils exercent sur le gouvernement, par exemple en octroyant des contrats d’État à leurs amis. C’est pourquoi je décris ce régime comme un type particulier de capitalisme d’État, à savoir le capitalisme bureaucratique. En combinant le pouvoir de l’État et le pouvoir de l’argent, la bureaucratie du parti s’est énormément enrichie.
Dans une période de prospérité économique, étant donné la profondeur de la réforme du marché et la taille énorme du pays, cela permet la croissance simultanée des entreprises d’État et du secteur privé, remplissant en même temps les poches de la bureaucratie et de la classe des entrepreneurs privés.
Le monde du travail doit se démener pour satisfaire à la fois leurs patrons et ceux du parti, mais ils peuvent toujours trouver un emploi.
La Chine connaît une croissance plus lente depuis plusieurs années et il est de plus en plus difficile de satisfaire simultanément la cupidité des entreprises privées et des chefs de parti. Quand aux plus pauvres, leur situation ne cesse de se dégrader.
C’est pourquoi nous constatons que les entreprises privées craignent de se faire « approprier » leurs actifs par le parti pour la deuxième fois (la première fois, c’était au milieu des années 1950). Avec la crise économique qui s’installe, il a été récemment rapporté que, bien que la taxe sur le secteur privé ait été réduite pendant ce ralentissement économique, les entreprises d’État ont forcé leurs partenaires commerciaux privés à leur restituer la réduction d’impôt en leur accordant d’énormes remises dans leurs achats.
L’attaque du parti contre les magnats et l’intimidation du secteur privé par les entreprises d’État ont inquiété de nombreux hommes d’affaires, qui ont donc fait de leur mieux pour transférer leur argent à l’étranger. C’est l’une des raisons de l’énorme fuite de capitaux de ces dernières années
La situation des classes laborieuses
La couche inférieure de la société chinoise est aujourd’hui dans une situation de plus en plus difficile. Il y a beaucoup moins de grèves cette année que l’année dernière. La pandémie et le ralentissement économique ont :
– soit incité de nombreux travailleurs/euses migrant.es venu.es des campagnes chinoises à rester dans leur village d’origine,
– soit ont probablement rendu plus conformistes celles et ceux ayant la chance d’avoir un emploi dans les villes et qui craignent de perdre leur emploi.
Simultanément, ces salarié.es ont désespérément essayé de se protéger de la pandémie, mais pendant un certain temps, les masques étaient très cher pour eux. Les militant.es ont dû leur expliquer pourquoi il ne fallait pas ramasser les masques usagés, et pourquoi il ne fallait pas continuer à les utiliser, mais les jeter. L’une des tâches des militant.es est de réunir de l’argent pour obtenir des masques appropriés pour leurs collègues.
En mai dernier, une remarque faite par le Premier ministre Li Keqiang a une fois de plus mis en lumière les millions de travailleurs/euses pauvres. Il a déclaré que la Chine compte 600 millions de personnes avec un revenu mensuel de 1 000 RMB (125 euros). Cela représente plus de 40 % de la population chinoise, soit 600 millions de personnes. Comme l’a fait remarquer un journaliste, un tel salaire ne suffirait pas à couvrir les frais de déjeuner d’un employé dans les grandes villes.
Li Keqiang a dit cela au milieu d’un engagement énorme de Xi Jinping pour éradiquer la pauvreté absolue en Chine d’ici la fin de cette année, en faisant de la Chine une « société modérément prospère ».
La remarque de Li est une gifle au visage de Xi. Ce qui l’a encore plus ennuyée, c’est le fait que Li ait poussé les gouvernements locaux à soutenir les vendeurs de rue afin de fournir des emplois aux chômeurs. Cette attitude est considérée comme une dégradation de la société proposée par Xi. Rapidement, les médias se sont emplis d’attaques contre l’économie des « vendeurs de rue ». Cet événement a mis en évidence des divergences au plus haut niveau en pleine récession économique.
Mais la saga du capitalisme bureaucratique ne se limite pas à cela. Il a été rapidement révélé que les villes qui avaient fourni un espace public aux vendeurs de rue en avaient également profité pour leur imposer de lourdes taxes, en les multipliant par dix dans certaines villes.
En période de ralentissement économique, beaucoup de Chinois.es se nourrissent désormais d’« herbe », mais le fardeau n’est assurément pas réparti équitablement. Ce sont, une fois de plus, les travailleurs/euses pauvres qui souffrent, alors que les patrons du parti continuent à profiter de leur mode de vie plus que « modérément prospère ».
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