« Dès que tu atteins un objectif, on en fixe un nouveau plus élevé », témoigne Brahim, salarié depuis huit ans chez Téléperformance à Tunis et syndiqué à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). L’entreprise française spécialisée dans la « relation-clients » possède six centres d’appels en Tunisie et y emploie 5 000 personnes. « Nous sommes sujets à des maladies du travail. Pas seulement des troubles musculo-squelettiques ou des troubles de la vision liées à la lumière non naturelle et aux écrans, mais aussi à des troubles psychologiques. Et à cause des scripts à répéter, des questions obligatoires à poser, on se fait insulter tous les jours par les clients. »
« Malade ou pas, tu vas travailler, tu n’as pas le choix »
Un jour de repos obligatoire par mois, une petite pause toutes les 3h, une part variable qui représente environ un tiers du salaire et qui peut être supprimée au moindre retard... Telles sont les conditions de travail et de rémunération que décrit Brahim. « Malade ou pas, tu vas travailler, tu n’as pas le choix. Et quand une personne du groupe s’absente ou tombe malade, c’est toute l’équipe qui est sanctionnée par la baisse des résultats. Alors imaginez si un type fait grève ! » Selon le jeune syndicaliste, tout est mis en œuvre pour que les téléopérateurs « vivent dans un stress continuel ». Les femmes enceintes n’y échappent pas : certaines sont obligées de tenir leurs vacations jusqu’à 1h du matin.
Les syndicalistes tunisiens avaient entamé des négociations salariales. Mais face à un patronat qui menace ici aussi de délocaliser, ces négociations sont au point mort. Un téléopérateur tunisien travaillant pour Téléperformance perçoit 500 dinars, soit 250 euros (le salaire minimum est d’environ 330 dinars en Tunisie). Un sort, compte-tenu du pouvoir d’achat local, pas plus enviable que celui d’un téléopérateur français, où le salaire minimum dans la profession est fixé à 1 395 euros bruts par mois, soit un peu moins que le Smic.
Système d’exploitation universel
« C’est un système d’exploitation universel qu’il faut arriver à combattre ensemble », lance Brahim. Tel est l’objectif de ce réseau international des téléopérateurs, qui se structure de la Belgique à l’Afrique du Sud, de l’Argentine à la Grèce. En plus d’aider des syndicats à se créer, comme chez Free au Maroc, des revendications communes sont en préparation : instaurer un minimum de 5 minutes de temps de pause payée par heure (dans certaines plateformes le temps de pause n’est pas rémunéré), s’opposer aux systèmes de surveillance des salariés qui se développent partout, et en finir avec les scripts, qui provoquent des tensions avec les clients et empêchent les téléopérateurs de bien faire leur travail.
Problème : en Europe comme ailleurs, les syndicalistes sont sous pression : « Dans les boîtes, les camarades sont submergés : par les plans sociaux en France et en Europe, par l’accélération des cadences et le renforcement du flicage en Afrique du Nord », pointe Frédéric Madelin, de Solidaires. Un obstacle de plus à surmonter pour construire la solidarité entre « téléconseillers » du monde entier.