L’ouverture du Sommet a coïncidé avec l’annonce du décès de Nelson Mandela. Dans une atmosphère presque ubuesque, c’est donc entouré de nombreux chefs d’états africains, dont plusieurs se maintiennent au pouvoir depuis des lustres au mépris de leur peuple et de toute démocratie, que François Hollande a rendu hommage au héros sud-africain. On peut souligner que Jacob Zuma avait de toute façon décidé de ne pas participer à ce Sommet, en partie pour dénoncer les interventions militaires de la France en Afrique. Nelson Mandela avait par ailleurs lui-même refusé de participer au précédent Sommet France -Afrique organisé en 1998 sur ce même thème de « la paix et de la sécurité ».
Avec ce Sommet, la France continue d’affirmer, via le champ gauche en quelque sorte, que l’époque de la Françafrique est révolue, tout en avançant et replaçant sur le champ droit ses pions selon un scénario qui ne s’éloigne guère du script original. On sent là un soucis de venir consolider et renouveler sur le terrain africain des positions et des acquis qui s’effritent de plus en plus, souvent au profit de la Chine, des États-Unis, de l’Inde, du Brésil, et même de la Turquie. Il est clair que la situation économique et politique de la France n’est pas très brillante actuellement, et investir dans une perspective africaine peut apparaître comme un bon placement. En 2050, le quart de la population mondiale sera africaine. Le continent est très riche en ressources naturelles et son potentiel de croissance se construit.
En débarquant sur le sol africain sous des prétextes de paix et de sécurité, la France cherche avant tout à reprendre une place de premier plan comme partenaire économique de ces économies émergentes. Depuis 2011, la France a déployé quatre interventions militaires en Afrique : Côte d’Ivoire, Lybie, Mali, et maintenant au Centrafrique.
Le cas de la république Centrafricaine.
La république centrafricaine est un petit pays de 5 millions d’habitants niché au coeur de l’Afrique subsaharienne. C’est une région qui a été pratiquement en continu sous le joug de dictateurs, en général soutenus puis renversés avec l’aide de la France, dont le plus tristement célèbre est certainement « l’empereur » Bokassa.
En 2003, François Bozizé prend le pouvoir, avec l’appui militaire du Tchad, ou règne sans partage Idriss Déby, un autre « partenaire » de Paris. En 2011, Bozizé (surnommé le magicien Boz, par ses adversaires)confirme son pouvoir par l’organisation d’une élection bidon que la France estampillera de son approbation. Toute opposition au régime est durement réprimée dans le pays. Au nord, dans les zones frontières avec le Tchad et le Soudan, des rébellions s’organisent. Mais celles-ci ne prennent vraiment leur envol qu’avec la dégradation des relations entre Bozizé et Déby.
Par ailleurs, la France se questionne sur la pertinence de Bozizé. Déjà que le pétrole tchadien se trouve exploité par un consortium Exxon-Chevron-Petronas, mais, également par une entreprise chinoise ; le fait que Bozizé accorde les droits d’exploitation des gisements au Centrafrique à une entreprise chinoise contribue à diminuer sa cote. La rébellion va finalement renverser le président avant que soit effectué le premier forage.
La rébellion, issue du nord et unifiée sous le nom de « Seleka » (coalition) a pris le contrôle de Bangui au printemps de 2013. On a affirmé que 80 % des miliciens de la Seleka, dont le nombre est estimé à 5 000 dans Bangui et à 15 000 en brousse, sont des étrangers venus des pays voisins, notamment le Tchad. Aujourd’hui, Michel Djotodia, qui occupe le pouvoir (dit de transition) pour la Seleka, n’a apparemment plus aucune prise sur les milices qui, surtout en brousse, se livrent à des pillages et s’attaquent aux populations, ici majoritairement chrétiennes. Il faut dire que la grande majorité des membres de la Seleka sont musulmans, et ces actions violentes, qui sont à la base uniquement du banditisme, viennent exacerber des tensions communautaires ou religieuses parmi des populations qui avant vivaient plutôt en bonne entente.
Jouxtant cette situation, la France a tout de suite sorti les grands mots : on a même évoqué la possibilité d’un génocide. Ce n’est certainement pas le cas. Il n’en reste pas moins que les populations sont effectivement touchées et menacées par les violences criminelles, par la famine, et que les infrastructures sanitaires ont été détruites. 460 000 personnes auraient fuit leur domicile. Dans un tel théâtre, la France a su mettre en scène et renforcer une intervention sous les prétextes les plus honorables (et « parce que l’ONU nous le demandait... »).
Car les troupes françaises ont débarqué au Centrafrique dès le début de 2013, et le contingent totalisait 500 hommes en avril. La France avait alors précisé, officiellement, ne vouloir défendre que ses ressortissants et ses intérêts sur place. C’est donc semble-t-il en spectateurs que les soldats français ont assisté à la prise de contrôle par la Seleka (24 mars). Dans les faits, les français ont été des spectateurs plutôt actifs : ils ont assuré le contrôle de l’aéroport et ont même offert leurs services dès le mois de mai pour former et encadrer l’armée du nouveau pouvoir. Un autre contingent de 800 soldats a été déployé en décembre. Les troupes françaises (qui vont totaliser 1200 hommes) avec les forces africaines (3500), ont maintenant entrepris de désarmer les milices de la Seleka. On peut prévoir que les milices, certaines menées par de véritables chefs de guerre, ne vont pas se contenter de déposer les armes.
En parallèle, Francois Hollande a déclaré tout dernièrement, devant les médias français, que la légitimité de Michel Djotodia est plutôt douteuse. Parions que la France est à la recherche d’un nouveau partenaire qui, selon le discours officiel, serait porté par une transition dite démocratique.
Vendredi dernier, sur France-inter, Laurent Fabius justifiait les intérêts et la volonté de la France dans cette intervention en parlant de solidarité au sein du continent « Euro-Africain »...
La compagnie française Areva, qui avait en septembre 2012 stoppé son exploitation de la mine d’uranium de Bakouma, pourra peut-être bientôt reprendre ses activités en république centrafricaine. Et, qui sait, le nouveau gouvernement pourrait offrir à une compagnie française les droits d’exploitation du pétrole de la zone de Boromata.
Bernard Aubin, 9 dec 2013