Édition du 17 décembre 2024

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Ce qui ne nous lie pas

Les députés de Québec solidaire et deux Innus viennent de rédiger conjointement un livret de 127 pages, intitulé Ce qui nous lie (Écosociété), en vue des élections de l’an prochain. On voit mal comment cet ouvrage pourra élargir la base électorale de ce parti de la gauche québécoise. Je croyais qu’après quelques années d’existence, il pourrait maintenant avoir la maturité de nous offrir une pensée approfondie et rigoureuse dans mon champ d’expertise, le droit constitutionnel et le droit autochtone. Cet espoir a été déçu.

L’auteur est avocat constitutionnaliste

17 décembre 2021 | tiré de l’Aut’journal

Tout n’est pas mauvais dans ces textes. Gabriel Nadeau-Dubois présente une vision générale qui est légitime. Vincent Marissal fait du bon travail d’ancien journaliste qui fouille ses dossiers ; il a raison d’écrire que l’indépendance sera aussi une libération des priorités fiscales de l’État canadien, qui ne sont pas les nôtres. Émilise Lessard-Therrien explique bien l’importance de la décentralisation régionale.

Mais lorsque les différents auteurs décrivent leur conception d’une assemblée constituante, nous entrons dans le droit constitutionnel fantasmé. Cette assemblée est présentée comme une panacée qui guérira tous les maux de notre société. Cette vision juvénile est une lubie de la gauche québécoise.

Une vision juvénile de l’assemblée constituante

Les auteurs ne vous diront pas que, si elle est réellement représentative, les membres de cette assemblée qui partageront les idées de QS ne dépasseront pas les 15%. Selon certains sondages, la majorité des jeunes appuient la CAQ. Ils ne vous diront pas non plus qu’il faut une loi de l’Assemblée nationale pour créer une assemblée constituante, fixer son mandat et son échéancier, la financer et choisir ses membres. Ils ne vous diront pas qu’en droit canadien une telle assemblée ne pourra faire que des recommandations qui pourront être ignorées par l’Assemblée nationale, et encore davantage par l‘État canadien et ses tribunaux.

Ce n’est pas en lisant cet ouvrage que vous saurez que la plupart des assemblées constituantes ont échoué parce qu’elles ont dérapé ou ont été "tablettées". La récente assemblée constituante en Islande a été évacuée par un gouvernement de droite. Celle du Venezuela a servi à créer un parlement parallèle en compétition avec le premier dans un contexte de quasi-guerre civile. Celle qui est en cours au Chili aura fort à faire devant l’extrême polarisation de cette société.

L’assemblée constituante dans l’histoire

Sur le plan historique, lorsque l’Assemblée nationale française s’est transformée en assemblée constituante au moment de la Révolution, elle a inauguré une ère d’instabilité constitutionnelle qui a duré près d’un siècle. L’assemblée constituante russe s’est muée en dictature bolchevik en 1917. L’assemblée constituante française à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’a fait que reproduire les faiblesses de la constitution précédente.

Une assemblée constituante dans le canton suisse de Lausanne a bien fonctionné il y a quelques années, mais elle n’a servi qu’à adopter une constitution régionale qui respecte strictement la constitution fédérale : si c’est ce que QS a réellement en tête, il devrait avoir la franchise de le dire. Autrement, il n’acquerra aucune crédibilité constitutionnelle.

La réflexion de QS sur ce sujet qui est au cœur de son programme ne dépasse toujours pas les vœux pieux, les bonnes intentions, la main sur le cœur et les banalités du jour. Ce n’est pas sérieux. L’assemblée constituante avant le passage à la souveraineté que ce tiers parti imagine ne ferait que reconduire et amplifier les tensions sociales. La plus grande erreur est de faire croire que l’idée de souveraineté appartient à la gauche. Comme Lévesque, Parizeau et Landry l’ont toujours su, on ne pourra pas faire la souveraineté sans l’ensemble du peuple québécois, qui comprend hélas, Bock-Côté. Le bon moment pour convoquer une assemblée constituante demeure après un référendum favorable à la souveraineté lorsque l’unité de la nation québécoise sera renforcée.

Les relations avec les Autochtones

Ce n’est guère mieux pour ce qui concerne les relations avec les Autochtones. Une originalité de cet ouvrage, qui est la bienvenue, est la participation de Natasha Kanapé Fontaine, qui signe la préface, et de Michael Ottereyes, un Innu (ou Ilnu pour certains) de Mashteuiatsh, la réserve située au Lac-Saint-Jean. Mais on discerne un léger embarras dans leurs contributions. La préfacière est la seule à expliquer une ligne de parti évidente, à savoir qu’il n’est plus politiquement correct pour Québec solidaire d’utiliser le mot nation pour décrire les Premières Nations représentées par l’Assemblée des Premières Nations, reconnues comme nations en 1985 par l’Assemblée nationale. Seul le mot peuple serait acceptable. Ce point de vue est défendable, et il ne faut pas s’en étonner puisqu’avec Québec solidaire on n’est jamais loin de la leçon de morale. Encore faut-il savoir expliquer son choix logiquement.

On aurait pu dire que la Déclaration des Nations Unies de 2007 parle uniquement de peuples autochtones, de même que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce choix de vocabulaire n’entraîne aucune conséquence juridique et me laisse donc indifférent, mais j’aurais mieux défendu le choix de QS qu’il ne le fait lui-même.

Au lieu de cela, Natashé Kanapé Fontaine explique : « Avec le temps, différents Premiers Peuples ont commencé à utiliser le terme nations pour se désigner, pour mieux faire comprendre leur propre conception de la politique et de la diplomatie. Ce terme, pour eux, n’existait pas jusque-là ; c’est le contexte colonial qui en a imposé l’utilisation. » (p. 10) Deux pages plus loin, elle se contredit : « Comment, en tant que peuples, et en tant que nations, arriverons-nous à nous adapter aux changements climatiques ? » (p. 12) C’est trébucher dans les fleurs du tapis. Même une grande artiste peut ne pas être convaincante.

Mais il y a pire. Michael Ottereyes écrit : « Au fil de mes années de militantisme, j’ai pu sentir un début d’ouverture envers les Premiers Peuples. Je suis ainsi à même de remarquer un désir de travailler avec les Premiers Peuples, mais je ne vois malheureusement toujours pas beaucoup d’actions concrètes. » (p. 53) On a l’impression que ce message s’adresse aussi, subtilement, à ses co-auteurs. Il leur dit doucement qu’ils ont du chemin à faire.

Mutisme sur la collaboration de l’État québécois

Christine Labrie et Alexandre Leduc ont du chemin à faire. Elle et lui décrivent bien les ravages de la Constitution canadienne et des pouvoirs fédéraux, mais ils ne reconnaissent nulle part la complicité de l’État québécois dans le modèle prédateur du développement des ressources naturelles depuis l’obtention du gouvernement responsable dans le cadre du Canada-Uni en 1848.

Ils n’admettent pas que le gouvernement du Québec, comme dans les autres provinces, est le plus grand bénéficiaire de la Loi sur les Indiens, puisque cette loi d’apartheid a marginalisé les Autochtones dans la pauvreté pour atteindre le but dicté par le capitalisme mondial de livrer le territoire aux destructions des industries minière, forestière et hydroélectrique sur les terres publiques de propriété et de compétence provinciales.

Ils ne disent pas que la Loi sur les Indiens et les lois québécoises sur les mines, les forêts et Hydro-Québec sont complémentaires dans la perspective autochtone ni que le racisme systémique le plus profond et structurel se trouve dans les lois québécoises sur ces industries et sur le territoire, à l’extérieur de celui de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Sur ces questions, nous sommes toujours loin chez QS d’une pensée qui confronte le réel. Nous avons besoin d’une gauche adulte au Québec qui dirait ces vérités. Nous ne l’avons pas trouvée.

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