Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Ça brasse à McGill !

L’Université McGill est en proie à une vague de syndicalisme et de militantisme jamais vue depuis plus de 50 ans. Grèves et actions des syndicats et groupes étudiants s’enchaînent à un rythme effréné sur le campus depuis quelques mois. Le campement pro-Palestine qui s’y est érigé le 27 avril 2024 en est la plus récente démonstration.

1 mai 2024 | tiré d’Alternative socialiste | Photo : Barricade autour du campement pro-Palestine sur le campus de l’Université McGill

Cela s’inscrit dans un contexte de lutte ouvrière renouvelée. La récente demande d’accréditation d’un syndicat chez Amazon à Laval, la grève à la SAQ et les actions syndicales reliées aux négociations du secteur public (au Front Commun et à la FAE, mais aussi à la FIQ et au SPGQ toujours en négociation) en sont quelques exemples. Au niveau international, les dernières années ont vu un regain d’actions des travailleurs et travailleuses, en particulier aux États-Unis.

La situation à McGill est intéressante, car cette université est la plus riche au Québec, la moins syndicalisée (du moins pour les professeur⋅es) et avec un bassin étudiant traditionnellement peu militant. Cependant, ces deux derniers aspects semblent appelés à changer.

Grèves d’employé⋅es à McGill

Jusqu’à récemment, l’université était en négociation de renouvellement de convention collective avec l’Association des étudiantes et étudiants diplômé-e-s employé-e-s de McGill (AÉÉDEM), représentant surtout les auxiliaires en enseignement, ainsi qu’avec le Syndicat des chargé-es de cours et instructeurs et instructrices de McGill (SCCIM). Leurs conventions collectives étaient échues depuis juillet 2023 et août 2022 respectivement. Ces deux négociations sont arrivées à terme en avril 2024, après une âpre lutte de l’AÉÉDEM.

L’université n’a pas hésité à utiliser des tactiques antisyndicales et la désinformation envers sa propre communauté à propos d’une décision de la cour. McGill a également fait pression sur les instructeurs pour être briseurs de grève (en faisant le travail des grévistes tel la correction). L’université a aussi fait pression pour changer le format des évaluations afin de réduire le besoin du travail des grévistes (une façon détournée de briser la grève).

McGill a évidemment elle-même obtenu une injonction pour limiter le nombre de grévistes sur le campus, après avoir voulu faire croire que le syndicat n’avait pas le droit de faire un piquet de grève sur place. La demande d’une présence policière constante sur le campus sans raison valable a aussi mis à mal les efforts de l’AÉÉDEM.

Au même moment, l’université fait face à l’accréditation de nouveaux syndicats qu’elle conteste bec et ongles. McGill a d’abord perdu sa contestation de l’accréditation de l’Association mcgillienne de professeur.e.s de droit (AMPD), puis fait traîner les négociations de leur première convention collective depuis plus d’un an et demi.

Ce printemps, l’AMPD a voté trois journées de grève, du jamais vu à McGill. Elle en a utilisé une pour accentuer la pression, connaissant les tactiques de l’université utilisées avec le SCCIM et l’AÉÉDEM. En effet, l’administration n’hésite pas à :
• annuler ou raccourcir les rencontres de négociations ;
• refuser un calendrier de rencontres accéléré ;
• mal préparer leur équipe de négo qui procède ensuite à pas de tortue.

Finalement, devant le refus continuel de McGill de négocier de bonne foi, l’AMPD a décidé d’utiliser son rapport de force en déclarant une grève illimitée le 24 avril 2024.

Nouveaux efforts de syndicalisation

Pendant ce temps, les professeur⋅es de la faculté d’éducation entendent négocier leur première convention collective avec McGill grâce à leur tout nouveau syndicat. Ceux et celles de la faculté des arts ont d’ailleurs déposé leur demande d’accréditation syndicale en avril 2024. Avant ces initiatives relativement récentes, aucune personne dans un poste de professeur ou de maître d’enseignement (faculty lecturer) à McGill n’a jamais été syndiquée.

Il existe bien une association qui prétend représenter ces personnes devant l’employeur, l’Association des Professeur(e)s et Bibliothécaires de McGill (APBM). Cependant, il faut noter qu’un ancien président de cette association est aujourd’hui doyen de la faculté des sciences, et donc membre de l’administration de McGill. Un organisateur du syndicat des professeur⋅es en arts rappelle que l’administration semble faire l’effort d’écouter ses employé⋅es, mais finit toujours par faire à sa tête.

De son côté, l’AÉÉDEM s’efforce de syndiquer les nouvelles catégories d’emploi créées par l’université afin d’éviter que ces employé⋅es soient reconnu⋅es comme faisant partie d’un syndicat déjà existant. Ainsi, l’université peut moins les payer. Par exemple, les correctrices et correcteurs sont moins payé⋅es que les auxiliaires d’enseignement pour un travail similaire. Voici, en anglais, une liste non-exhaustive de titres d’emploi possiblement conçus pour une telle raison : marker, teaching assistant, graduate course assistant, undergraduate course assistant, tutor, mentor, invigilator, course lecturer, faculty lecturer, senior faculty lecturer.

Coupures à McGill

Tout cela se déroule dans le contexte de la hausse des frais de scolarité des étudiants et étudiantes anglophones hors Québec. Plusieurs associations étudiantes mcgilloises se sont battues contre cette hausse par l’entremise de manifestations et de votes de grèves (incluant quelques jours de grèves de la part de petites associations étudiantes). La réponse des administrations des universités anglophones a plutôt été de traîner le gouvernement en justice, après que leurs efforts pour discuter avec la CAQ n’aient pas porté fruit.

Bien que ces changements risquent d’affecter les finances de l’université, cette hausse sert d’excuse à l’administration McGill pour geler les embauches et les remplacements. Elle diminue aussi l’offre d’enseignement par des coupures dans les budgets d’embauche de chargé⋅es de cours déjà précarisé⋅es, forçant les professeur⋅es à enseigner les cours de base plutôt que des cours avancés. Finalement, l’offre de services aux étudiants et étudiantes est dépréciée par l’élimination des postes de responsables d’étages dans les résidences étudiantes.

Les attaques contre McGill pleuvent de toute part

L’université est aussi en brouille avec les Mères Mohawk à propos de la construction d’un nouveau bâtiment sur les lieux de l’ancien Hôpital Royal Victoria, site d’un ancien cimetière Mohawk et aussi d’expérimentations psychiatriques dans le cadre du programme MKUltra de la CIA américaine. Ce site a d’ailleurs été cédé à McGill par le gouvernement provincial avec une bourse pour le démarrage du projet, sans égard aux autres universités montréalaises.

Il faut aussi noter que les tensions sur le campus ont monté d’un cran suite aux attaques du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023, et à la violente répression d’Israël contre Gaza depuis. Il semblerait que l’université ne veuille pas s’aliéner ses quelques grands donateurs sionistes tel Sylvan Adams. L’administration de McGill se met ainsi à dos un bon nombre de sa communauté estudiantine et de ses employé-es.

McGill contre le soutien à la Palestine

L’automne passé, l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a soumis au vote référendaire une nouvelle Politique contre le génocide en Palestine. Cette politique a été entérinée à 78% avec une participation record de 35% du corps étudiant, malgré la menace de l’administration de couper ses liens (entre autres financiers) avec l’association étudiante.

L’administration a aussi mis de la pression pour que le corps professoral ne laisse pas les étudiants et étudiantes s’exprimer sur le sujet en classe. La politique de l’AÉUM est présentement bloquée par une ordonnance de sauvegarde de la Cour Supérieure du Québec, suite à une demande d’injonction de la part d’un étudiant anonyme de l’université. Celui-ci serait soutenu par l’organisation B’nai Brith Canada, qui vise à défendre l’État d’Israël, mais promouvoie l’islamophobie.

Depuis l’automne, le groupe étudiant Solidarité pour les droits humains palestiniens (Solidarity for Palestinian Human Rights) organise régulièrement des manifestations et walk-out auxquels la police a assisté au moins une fois à cheval et une autre fois en équipement anti-émeute.

Un organisateur du groupe aurait d’ailleurs été arrêté pour avoir utilisé de la peinture à craie sur le portail de l’université. Alors que la police était prête à le relâcher s’il enlevait toute trace de craie d’ici la fin de la journée, la sécurité de McGill a insisté pour que la police procède à son arrestation. McGill a ensuite porté le blâme sur l’AÉÉDEM, dont le piquet de grève avait lieu au même endroit.

Des étudiants et étudiantes de McGill ont également entamé ce printemps une grève de la faim pour forcer, sans succès, l’administration à désinvestir des compagnies qui participent à la violence génocidaire de l’État d’Israël envers la Palestine. Des professeur⋅es ont aussi organisé une « visite guidée » du campus, mettant en lumière comment McGill est complice de la violence de l’État d’Israël, par exemple à travers ses liens avec des compagnies de surveillance et d’armement militaire.

Un campement pro-Palestine sur le campus

Mais l’action sur le campus de McGill qui restera la plus gravée dans la mémoire sera sans doute l’érection d’un campement, à l’image de ceux dans plusieurs universités américaines, en support à la cause palestinienne. En quelques heures seulement, le campement s’est constitué d’une vingtaine de tentes, incluant un service de nourriture ainsi qu’une toilette. Il rassemble quelques centaines de personnes présentes pour participer, chanter les slogans et écouter les discours. Qui eut cru voir une occupation du terrain gazonné à l’entrée même du campus de l’Université McGill ?

Une chose est sûre : l’Université McGill ne peut plus se permettre le business as usual. Elle doit maintenant prendre garde aux divers syndicats et associations qui luttent contre l’exploitation et les oppressions. Alternative socialiste salue et soutient ces initiatives militantes des groupes d’employé⋅es, d’étudiants et d’étudiantes de McGill.

par Alternative socialiste

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