Publié le 5 mai 2020 | tiré d’Alternative socialiste
https://alternativesocialiste.org/2020/05/05/chsld-lasalle-le-personnel-au-coeur-de-la-tempete/
Les événements se bousculent et la couverture médiatique n’a rien de rassurant. Avant la pandémie, le syndicat exhortait le gouvernement de François Legault de pallier à la pénurie de main-d’œuvre en améliorant les salaires et les conditions de travail. Au lieu de cela, la CAQ s’est entêtée à maintenir une rigueur budgétaire. Il aura fallu une pandémie pour qu’enfin le gouvernement ouvre les cordons de la bourse. Et encore, les primes octroyées sont insuffisantes. Les »préposé·es aux bénéficiaires (PAB), le personnel de cuisine, celui à l’entretien ou au secrétariat payent le gros prix du sous-financement chronique.
Sans bonnes pratiques, le virus se propage
Sur son site web, TVA nouvelles publie le journal de Terrie Laplante-Beauchamp, une étudiante à la maîtrise en microbiologie et immunologie envoyée au CHSLD LaSalle en renfort :
C’est à ce moment que je réalise qu’on m’a assigné à l’étage des patients positifs pour le COVID-19. Je suis nouvelle, et on m’assigne à l’étage qui requiert des employés expérimentés. Le coordonnateur ne me donne aucune directive quant aux mesures d’hygiène ni d’indications de l’utilisation de l’équipement de protection individuelle. Je lui demande de me fournir un masque N95, mais il me dit qu’il ne peut pas.
Chaque jour, c’est ce qui arrive aux nouvelles et aux nouveaux employé·es étant donné que plusieurs travailleuses plus expérimentées ont été contaminées par la COVID-19 et sont absentes du travail.
C’est le cas de Stéphanie Rivard, préposée aux bénéficiaires possédant 12 ans d’expérience. « C’est comme si j’avais fumé un cartoon de cigarette en une journée. Ça me brûle dans le nez, à la gorge, au larynx », nous explique-t-elle, sans oublier l’extrême fatigue qui l’accable ainsi qu’une vilaine toux. La souffrance ne s’arrête pas là. Enfermée et isolée pendant plus de dix jours dans une chambre du nid familial, la présence de ses proches lui manque. « J’ai regardé mes enfants jouer dehors par la fenêtre de ma chambre. Je voulais les serrer dans mes bras, mais je ne pouvais pas. Ça me faisait de quoi », souffle-t-elle. Stéphanie n’est pas la seule. Plus d’une dizaine de ses consœurs et confrères ont contracté le virus. Chaque personne est tourmentée par d’innombrables questions. Des questions auxquelles l’employeur n’est pas en mesure de répondre.
Que s’est-il passé au CHSLD LaSalle ?
Jusqu’à la fin mars, le premier ministre Legault et son équipe se réjouissaient des « bonnes statistiques » qu’on présentait en conférence de presse. Depuis, plus les journées passent, plus le nombre de décès en CHSLD augmente. Le CHSLD LaSalle était-il prêt à faire face à la pandémie ? Sophie Bibeau, vice-présidente à la section locale 2881, nous explique : « Le gouvernement a tenté de mettre des mesures en place pour être prêt à affronter la pandémie. Tous les efforts ont été mis dans les hôpitaux. Sauf que la pandémie s’est propagée dans les CHSLD. Alors l’employeur est en réaction plus tôt que de faire de la prévention. »
L’accès au matériel est très difficile. Pendant un quart de travail, il arrive fréquemment qu’une personne préposée fasse un constat de manque de matériel médical : jaquette, débarbouillette, piqué, etc. Sophie Bibeau nous explique que le syndicat a dû faire pression auprès des ressources humaines pour améliorer la situation : « On incite les membres à demander de l’équipement à leur gestionnaire. À chaque fois, le gestionnaire leur en donne, mais c’est un éternel recommencement. Ils doivent le demander encore et encore ». Et on constate le même problème pour les équipements de protection individuelle (EPI).
La gestion austère nuit à la santé du personnel
Pour Francine Sigouin, vice-présidente du syndicat local de la FIQ représentant le personnel infirmier, les consignes quant à l’utilisation du masque N95 ne sont pas claires. Il semblerait que les gestionnaires aient reçu la directive d’utiliser les EPI de façon limitée. Ce manque d’accès aux EPI est l’un des facteurs parmi les plus stressants pour le personnel. Sans oublier que les membres syndiqués sont souvent laissés à eux-mêmes. L’information circule au compte-gouttes. Terrie Laplante-Beauchamps nous raconte : « Au début de mon premier quart, il n’y a pas de réunion du personnel infirmier. Nous ne connaissons pas les routines des patients ni leur niveau de mobilité ou d’autonomie. On ne nous transmet aucune directive ».
Le manque de personnel et la surcharge de travail sont des problèmes qui existaient déjà avant la pandémie. Ils s’accentuent désormais avec la COVID-19. « Les membres vivent une profonde détresse. Au premier jour de la pandémie, avec le manque de personnel, la surcharge de travail était importante. Cela s’additionne à la peur de contracter le virus et de le propager à sa famille », explique Sophie Bibeau.
Faire plus, avec moins
« Sur mon étage, nous sommes 3 PAB pour 35 patients, dont 21 positifs au COVID-19 », mentionne Terrie Laplante-Beauchamps dans le reportage de TVA. Les tâches à faire pour une préposée sont nombreuses : alimenter les patients et patientes, apporter les soins d’hygiène, stimuler leur autonomie en appliquant le programme de marche, répondre aux demandes des personnes, etc. Vu la quantité de travail, il est difficile pour une seule PAB d’accomplir toutes ses tâches. Pour donner des soins de qualité, les préposé·es doivent avoir le temps de développer une bonne communication avec les résidentes et les résidents. Stéphanie Rivard résume bien la situation que vivent les PAB du CHSLD LaSalle et de partout dans le CIUSSS5 de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal : « Dans mon travail, la communication avec le patient, c’est la base. Pour bien communiquer, ça prend du temps, et du temps, c’est ce qu’il nous manque ».
« Va falloir mieux s’occuper de nos aînés au Québec » — Legault
Suite à la catastrophe sanitaire du CHSLD privé Herron, le premier ministre Legault a constaté publiquement les conditions très difficiles dans les résidences pour personnes âgées du Québec. Lors de son point de presse du 17 avril, il a reconnu que les PAB doivent être mieux payé·es afin de combattre la pénurie de personnel. Les PAB gagnent souvent entre 13 $ et 14 $/h en résidence privée alors que le salaire se situe entre 20,55 $ et 22,35 $/h dans le secteur public. Comble d’ironie, Legault a affirmé qu’il aurait dû monter leur salaire sans l’accord des syndicats !
Plus d’un mois avant la déclaration de pandémie, le Conseil provincial des affaires sociales (CPAS-SCFP) et son président, Frédéric Brisson, critiquaient déjà le « plan d’action » de la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, présenté au début de l’année :
ce plan aurait été une excellente occasion pour le gouvernement d’annoncer la reconnaissance de la formation des préposés aux bénéficiaires dans le calcul du rangement. Dans le plan, il réitère qu’il encourage les établissements à exiger cette formation, mais persiste à ne pas payer les préposés aux bénéficiaires en conséquence.
Michel Jolin, secrétaire général du CPAS a rajouté : « Des solutions, nous en avons et sommes prêts à collaborer afin de les déployer ». Mais, le gouvernement caquiste a toujours préféré faire la sourde oreille. Il est clair que le gouvernement caquiste cherche à préserver un système et une approche gestionnaire incapable de résorber la crise. Legault et son gouvernement cherchent à faire éponger la crise par les travailleurs et les travailleuses, en particulier celles du système de santé.
Si on veut vraiment « mieux s’occuper de nos aînés », comme le prétend Legault, on doit mieux payer le personnel soignant. On doit lui offrir les équipements de protection individuelle nécessaire, comme le masque N95, et dépister les salarié·es à même leur lieu de travail.
Cette crise nous permet de comprendre qu’il faut des services publics forts et préparés à toutes éventualités. Une partie du mouvement syndical faisait déjà campagne pour une assurance-médicaments universelle et gratuite. La situation actuelle ouvre de nouvelles avenues. Les syndicats doivent revendiquer des investissements massifs dans les services publics ainsi qu’une gestion démocratique à laquelle participent les employé·es. Pour faciliter l’accès au matériel médical, garantir des soins de santé de qualité et des conditions de travail sécuritaires, les résidences privées pour personnes âgées et les compagnies liées à la santé (pharmaceutiques, laboratoires, usine de matériel, etc.) doivent être nationalisées et gérées démocratiquement.
Pour que cela devienne réalité, les grandes compagnies, les géants du web ainsi que des banques doivent être hautement taxés afin d’être éventuellement nationalisés. Il ne fait aucun doute que la CAQ est le garant d’un ordre social dans lequel les élites peuvent dormir sur leurs deux oreilles et continuer d’empocher, même en temps de pandémie. La collaboration avec ce type de gouvernement est impossible. Il faudra que la classe des travailleuses et des travailleurs soit politiquement prête à un affrontement avec la classe possédante si on veut garantir la santé à l’ensemble de la population du Québec.
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