Quel bilan tires-tu de l’intervention à Gaza ?
Cette agression, présentée à tort comme une guerre, est un échec pour le gouvernement israélien. Son objectif inavoué, mettre en échec le processus de réconciliation entre le Hamas et l’Autorité palestinienne (AP), n’a pas abouti. Car ne nous y trompons pas, ce n’est pas Gaza et la résistance qui étaient visés, c’était Mahmoud Abbas !
C’est un point de vue inhabituel. Peux-tu développer ?
Israël, pour poursuivre sa politique de colonisation, a besoin de montrer qu’il n’y a pas de partenaire pour la paix. L’attaque contre Gaza visait à faire se désolidariser l’Autorité palestinienne de la résistance à Gaza. Mais ceci ne pouvait aboutir, car l’AP aurait été désavouée par le peuple palestinien si elle n’avait pas condamné cette agression. La brutalité de l’attaque a isolé Israël sur le plan international, et c’est sous la pression des USA et de l’Égypte que le gouvernement Nethanyaou a été contraint de signer un armistice.
La seule faute politique du Hamas a été d’accepter de voir les négociations sur la levée du blocus remises à 4 mois. Car la tactique d’Israël est la même depuis plus de 20 ans : remettre à plus tard les décisions, faire traîner les négociations, et continuer d’avancer dans son projet inchangé depuis sa création : poursuivre la colonisation de la Palestine. Et 4 mois plus tard, le blocus n’est toujours pas levé !
Depuis, un nouveau front s’est ouvert à Jérusalem, en particulier autour de la question de l’accès à la mosquée al-Aqsa. Le conflit peut-il changer de nature ?
Le conflit est toujours un conflit entre une puissance occupante, un État colonial, et un peuple qui veut reconquérir ses droits. En Cisjordanie, et depuis plusieurs années à Jérusalem, se poursuit la politique d’implantations des colonies. À Jérusalem, les destructions de maisons arabes et la construction de nouvelles colonies s’accélèrent. Par ailleurs, le gouvernement laisse des groupes de colons d’extrême droite multiplier les provocations sur l’Esplanade des mosquées et limite l’accès de la mosquée aux Palestiniens. C’est cela la réalité.
Mais en effet, sous la pression des ultras, la politique du gouvernement cherche à déplacer aux yeux de l’opinion le conflit sur le terrain religieux. Pour cela, il s’attaque à un symbole essentiel pour tous les musulmans. Ce n’est pas nouveau : déjà en 2000, la provocation de Sharon sur l’Esplanade des mosquées avait entraîné la deuxième Intifada ! Aujourd’hui, la pression des ultras dépasse même le gouvernement qui ne sait comment faire machine arrière. Au cours de négociations secrètes avec la Jordanie, Nethanyaou a été mis en garde : toucher à ce lieu saint de l’Islam ne concerne pas que les Palestiniens, mais les musulmans du monde entier. Et là, ce serait un conflit d’une tout autre ampleur.
Cela m’amène à la question suivante : quelle est l’évolution de la société israélienne ?
Tout le monde peut l’observer : le gouvernement actuel est le plus à droite, voire à l’extrême droite, depuis la création de l’État d’Israël. Il n’y a que votre président pour ne pas s’en être aperçu : son discours d’amour pour Israël, lors de sa visite, était réellement honteux, de même que ses premières déclarations lors de l’agression contre Gaza.
Au moment de cette agression, tu as parlé de « fascisation du régime ». N’est ce pas un peu excessif ?
Je persiste ! Quand un gouvernement pratique une politique pour museler l’opposition, quand il fait voter des lois racistes, liberticides, n’est-ce pas le début d’un processus qui vise à terroriser la population ? La brutalité de l’ambiance créée, plus l’apparition de petits groupes fascistes et de milices, ce n’est pas comme cela que ça a commencé en d’autres temps et d’autres lieux ?
Et la gauche dans tout ça ?
La droite est à l’offensive, structurée, réaffirmant sans états d’âme son projet colonial. La gauche, désarçonnée, est hors jeu. Pour prendre une image : nous n’étions que 3 000 à manifester au moment de l’agression contre Gaza, ce qui est très peu. Mais on pourrait dire que nous étions 100 000 de plus si l’on compte celles et ceux qui quittent aujourd’hui le pays parce qu’ils ne supportent plus l’évolution de cette société. Ce sont les jeunes, souvent les plus diplômés, qui cherchent à partir. Beaucoup d’Israéliens aujourd’hui se font faire des passeports pour avoir une double nationalité.
En France, il y a beaucoup de reportages sur les départs des juifs français en Israël…
Peut-être, mais ce qu’on oublie de dire, c’est qu’au bout d’un an, la moitié environ repartent !
À tes yeux, quel est le sens de la proposition du gouvernement d’une loi visant à instaurer Israël comme « État–nation du peuple juif » ?
Une provocation supplémentaire ! Et une surenchère de plus dans la réaffirmation des discriminations envers les Palestiniens d’Israël. Une autre façon de dire au peuple palestinien : oubliez la question des réfugiés.
Pour changer de registre, la France et d’autres membres de l’Europe s’apprêtent à reconnaître l’État palestinien. Qu’en penses tu ?
La rage que cela provoque dans la classe politique israélienne fait plaisir ! Mais au-delà, il faut l’interpréter comme un coup de semonce donné par la communauté internationale envers un allié qui devient incontrôlé et commence à irriter même « l’establishment » américain. Celui-ci a besoin dans sa coalition contre Daesh du soutien des gouvernements arabes, et les prises de position de Nethanyaou deviennent encombrantes. Alors tout ce qui est mauvais pour le gouvernement israélien est bon à prendre ! Mais ce n’est qu’un gain symbolique, cela ne changera pas la vie des Palestiniens, la réalité de l’occupation, de la colonisation. Un État qui n’a pas de souveraineté, qui ne contrôle pas ses frontières, n’est pas un État, juste un bantoustan !
Et pour imposer la reconnaissance des droits des Palestiniens à Israël (dont le projet, inchangé depuis sa création – faut il le rappeler –, reste la colonisation de plus de territoire possible), il faudra un bouleversement tout autre du rapport de forces à l’échelle internationale. Il faudra une réelle volonté politique de la communauté internationale de s’opposer réellement à la politique israélienne, au-delà du geste symbolique…
Une remarque encore : il faut toute l’arrogance israélienne pour reprocher aux Palestiniens de proclamer unilatéralement un État. Que je sache, l’occupation, la création même de l’État d’Israël, n’a pas été une décision conjointe !
Alors que faire ?
Cela se résume en trois mots : Boycott-Désinvestissement-Sanctions (BDS). Quand les États ont failli, c’est aux sociétés civiles de prendre le relais ! Il faut boycotter, isoler par tous les moyens cet État voyou. D’ailleurs, cette campagne inquiète le gouvernement israélien qui vient de faire voter une loi criminalisant le soutien au boycott en Israël même. Amplifier cette campagne, en faire l’axe central de la solidarité, est aujourd’hui, à mes yeux, ce qui doit être la priorité du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien. J’ai envie de vous dire : boycottez-nous, c’est le meilleur service que vous pouvez rendre à celles et ceux qui en Israël se battent pour que justice soit rendue au peuple palestinien.
Propos recueillis par Claude B.