Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Intervention au Camp de formation de Lutte commune, 2017/01/29

Bilan des dernières décennies de syndicalisme de partenariat et de concertation

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Le bilan des luttes syndicales au cours des 20 dernières années [1] est peu reluisant. Plutôt que d’être un agent conflictuel qui s’attaque résolument aux profits des entreprises et aux effets des réformes gouvernementales, les centrales font la promotion du « partenariat social », un mode de gestion du social sur des bases consensuelles. Il en résulte la reconnaissance des centrales comme acteur politique et son imputabilité dans la définition des politiques économiques et sociales de l’État. Cette stratégie adoptée par le mouvement syndical québécois dans les années 1990 rejette les rapports antagoniques de classe. La référence à la lutte de classe disparaît du discours de ce dernier bien que l’exploitation des travailleuses et des travailleurs et l’exclusion sociale demeurent.

La stratégie de partenariat

Le vocabulaire varie : Dialogue social, partenariat social, concertation, responsabilité sociale des entreprises, clauses sociales dans les accords de libre-échange, contrat social adapté au 21e siècle... mais les fondements sont les mêmes

Cela présume que les salariées et les patrons partagent un intérêt commun fondamental, celui de favoriser la compétitivité de l’entreprise « nationale », du bon fonctionnement des services publics, des finances de l’État.

Cela implique une absence de rapport de force pour gagner des revendications et oblige les syndiquées à se soumettre aux consensus établis en dehors du cadre des relations de travail.

Les penseurs de cette orientation d’accommodement au néolibéralisme

Ce sont les départements de relations industrielles des universités francophones qui alimentent les centrales en ce sens. Gagnon (1991) voit dans cette approche une évolution du mouvement syndical québécois en continuité avec son institutionnalisation amorcée dans les années 1960, un virage qu’elle oppose à la planification démocratique de tendance marxiste et à l’économie de marché et par lequel a été possible un « désamorçage des conflits de classes ». Les rapports de confrontation lors des luttes défensives du mouvement syndical dans les années 1980-1990 n’ayant pas permis de gains significatifs, le « partenariat social » devient en ce sens une alliance nécessaire à laquelle doivent être associés des compromis stratégiques (Gagnon, 1994).

Le rejet des tendances politiques anarcho-syndicalistes et révolutionnaires au sein des syndicats s’avère ainsi nécessaire, avance Boismenu (1994) qui les considère comme étant incompatible avec les finalités du partenariat lequel déprécie l’activité revendicative et l’action directe au profit d’un positionnement stratégique sur le terrain politique.

Les lieux où s’établit et se consolide le « partenariat social »

  • Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre (CCTM)
  • Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)
  • Société québécoise de développement de la main- d’œuvre (SQDM)/
  • Commission des partenaires du marché du travail (CPMT) créée en
    1997 remplace SQDM

Deux étapes dans la mise en place du « partenariat social »

  Secteur privé

En réponse à la crise industrielle des années 1980, les syndicats de ce secteur sont amenés à participer aux grappes industrielles sectorielles et aux contrats sociaux associés à des conventions collectives de longue durée, dans les usines. L’objectif déclaré est d’augmenter la compétitivité des entreprises québécoises dans le marché libéralisé, ce qui offrirait des possibilités nouvelles de développement.

Les centrales acceptent de souscrire à ces démarches de comités paritaires, espérant ainsi forcer l’ouverture des livres comptables des entreprises, donnant ainsi aux syndicats la possibilité de jouer un rôle, entre autres, dans la planification du travail et la formation de la main-d’œuvre.

  Secteur public

Au terme de négociations marquées par les menaces et retraits gouvernementaux, la FTQ et la CEQ ont signé, à l’automne 1993, une lettre d’entente novatrice avec l’État employeur. En vertu de cette dernière, les parties conviennent de revoir l’organisation du travail, définie très largement, en vue de dégager des gains de productivité qui seront ensuite retournés partiellement aux salariés. Cette façon de faire s’inscrit dans un contexte où l’aide sociale subit de sévères contraintes au début des années 1990, le secteur de la santé est en mode « réforme » alors que la réforme de l’éducation s’amorce en 1995.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le sommet socio-économique de 1996.

La démarche de la CSN

Au lendemain de la défaite référendaire de 1995, la CSN demande au premier ministre Bouchard de mettre en place un forum réunissant les principaux acteurs économiques, politiques et sociaux autour de trois enjeux : l’emploi, les services publics et leur financement ainsi que la dette et la fiscalité.
« Nous avons obtenu ce rendez-vous parce que nous voulions nous mettre à l’abri de la méthode néolibérale, qui consiste à redresser les finances publiques essentiellement par des coupures [sic], en le faisant le plus rapidement possible, de telle sorte que l’on puisse, en fin d’opération, se retrouver avec un État minimal, avec comme seule loi, la loi du marché. »

Conférence sur le devenir social et économique du Québec, mars 1996

Orientations des centrales CSN, CSQ, FTQ :

Les centrales reconnaissent que les finances publiques sont dans un piteux état. Cette situation met en péril les services publics et les programmes sociaux.
Elles revendiquent des mesures qui permettraient, estiment-elles, de maintenir les services publics et les programmes sociaux en les jumelant à une relance de l’emploi. Elles revendiquent pour cela la mise en place d’un nouveau pacte social fondé sur l’équité et la solidarité.

Conjointement, elles définissent leurs orientations pour la conférence dans leur plate-forme, Pour un nouveau pacte social fondé sur l’équité et la solidarité. D’emblée, elles acquiescent aux constats gouvernementaux :

L’emploi, essentiel à la création de la richesse, doit être relancé, y compris par le retour au travail obligé des personnes assistées sociales ; les finances de l’État doivent être redressées ; le redéploiement des fonctions de l’État passe par une régionalisation et une décentralisation des activités gouvernementales – les services doivent se rapprocher des citoyens.

Les centrales soutiennent qu’il faut revoir la fiscalité et accroître les revenus de l’État en instaurant un impôt minimal sur les profits des entreprises et en instaurant de nouvelles taxes pour les mieux nantis. Le régime du contrat social dans l’éducation, la santé, les services sociaux et la sécurité du revenu doit être maintenu.

Elles font aussi l’apologie des entreprises et des syndicats qui ont promu une organisation du travail renouvelée, un nouveau mode de gestion en relations industrielles.

Auparavant, les centrales syndicales exigeaient des patrons qu’ils investissent dans la modernisation des entreprises et qu’ils assument la formation des salariés.
Désormais, elles en arrivent à faire du « cas par cas » la règle générale. La solidarité entre les salariés s’effrite sous la coupe du « partenariat social » où prime dans le secteur privé, la rivalité entre les entreprises. Elles souhaitent même un élargissement de cette façon de faire aux employés des services publics.

Les décisions mars 1996

Les résultats de cette conférence incluent une entente sur les constats et les enjeux présentés par le gouvernement sur l’état des finances de l’État, une reconnaissance de l’économie sociale et les parties conviennent du déficit zéro :

Le « déficit zéro » sera atteint en 4 ans et nécessite non seulement le rééquilibrage des comptes courants, mais aussi celui des immobilisations. Aux coupures de 2 G$ prévues par le gouvernement s’ajouteront 5 G$ dans les années à venir.
Quelques-uns parlent au nom de tous, sans en avoir eu le mandat initial. En effet, aucune décision d’instance des centrales n’indique que l’une ou l’autre des composantes en avait décidé ainsi.

Initiative FTQ : « Plusieurs jours avant la réunion, dans le cadre d’une série de rencontres avec le gouvernement et les milieux d’affaires, la FTQ suggéra un étalement des compressions ; sans cet adoucissement, le secteur public allait être “désossé” par des coupes massives d’effectifs. »

Analyse des décisions prises à la Conférence

Diminution immédiate de 1,1 milliard de dollars dans les dépenses de l’État : Cela entraînera « une diminution de la croissance du PIB de l’ordre de 0,3 % en 1996 et aura pour effet de mettre “quelques milliers” de personnes au chômage ». Cela implique :

· Santé : le virage ambulatoire, qui devait favoriser les soins de proximité, se poursuivra tout en lui imposant une coupe de 320 millions de dollars à laquelle s’ajoute une réduction de près de 350 millions de dollars à la Régie de l’assurance maladie une exclusion de la gratuité pour certains médicaments et une tarification pour tous dans le cadre de la mise en place du régime universel d’assurance médicaments.
· Éducation : les budgets de l’enseignement primaire et secondaire seront diminués de 6,1 %, ceux du réseau collégial, de 5 % et ceux des universités de 6 %.

En juillet 1996, 20 000 emplois sont supprimés dans le secteur public : 12 000 dans la santé, 6000 dans l’éducation et 2000 dans la fonction publique

· Aide sociale : À la baisse initiale de 47 millions annoncée par le gouvernement, s’ajoutera une coupe de 100 millions de dollars pour permettre d’absorber à coûts nuls l’augmentation de 3 % du nombre de prestataires occasionnée par les modifications apportées par le gouvernement fédéral au régime de l’assurance-chômage.

Taux de chômage : 12 %

Malgré les effets catastrophiques pour les salarié.e.s et les exclu.e.s du marché du travail, Pierre Paquette, secrétaire général de la CSN, le 1er mai 1996 précise le sens que l’action syndicale devrait désormais adopter : « Fini le “braquage”. Il faut changer les méthodes. Ça va prendre beaucoup de courage, mais il faut faire un effort de compréhension plus complexe que de dire simplement que tout est de la faute des riches ou du capital. »

Les centrales concentrent leurs énergies non pas à combattre les coupures gouvernementales, mais plutôt à s’impliquer activement tant dans les travaux du groupe de travail sur l’économie sociale que dans les consultations de la Commission des États généraux de l’éducation et dans celles sur la fiscalité et les services publics en préparation du sommet socio-économique de la fin octobre.

Les syndicats mènent aussi des travaux dans les instances de la SQDM et du CCTM, où se finalisent avec le patronat leurs prises de position, entre autres sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, le régime d’apprentissage et l’aménagement de nouvelles structures pour intégrer à la fois le soutien aux chômeurs et aux chômeuses, aux personnes assistées sociales ainsi que celles qui ont été exclues du marché du travail, la déclaration sur l’emploi et l’organisation du travail.

« Conjuguons nos efforts, l’urgence c’est l’emploi », la plate-forme syndicale à la veille du Sommet indique que :

« La question de l’emploi se pose comme une responsabilité collective. Cette responsabilité passe par des mesures favorisant à la fois la productivité et la compétitivité des entreprises ainsi que le maintien et la création d’emplois. L’État a un rôle déterminant à jouer pour assurer la participation au marché du travail et l’accès à l’emploi. »

« Les coupures dans les prestations d’aide sociale devront être l’objet d’une bonne opposition, mais il faudra favoriser toute mesure permettant réellement le développement de l’employabilité et la réinsertion sur le marché du travail. En fait, il faut favoriser une réelle intégration des mesures de sécurité du revenu à une politique d’emploi.

Pour le président de la FTQ :

“Ce nouveau partenariat repose sur une nécessité : les employeurs, pour améliorer leur position concurrentielle, ont besoin de toutes leurs forces vives. Les salariés sont une de ces forces, au même titre que le capital. Il faut donc que l’employeur reconnaisse les compétences des salariés et apprenne à les utiliser à fond.” Godbout-Massé, oct. 1996.

Comme si cela n’était pas assez les centrales iront jusqu’à signer une Déclaration sur l’emploi où :

Les syndicats reconnaissent le 1er novembre 1996 :

“que la productivité et l’efficacité des entreprises, autant celles du secteur public que celle du secteur privé, sont des facteurs essentiels à la croissance économique et au développement de l’emploi ;

que pour maintenir et créer des emplois de qualité, il est important pour l’entreprise publique ou privée d’assurer sa flexibilité organisationnelle et sa rentabilité, de faire face à la concurrence, d’innover régulièrement et rapidement, de gérer efficacement les ressources humaines, financières et techniques et de répondre aux besoins des clients ou de la population : ils souhaitent jouer un rôle actif à cet égard ; qu’ils sont prêts à travailler en partenariat pour que ces objectifs soient atteints.”

Pour le mouvement syndical, les résultats de cet exercice vont à l’encontre de leurs objectifs. Les emplois dans la fonction publique et parapublique ont été la cible du gouvernement péquiste qui a supprimé, de 1996 à 1999, quelque 40 000 postes équivalents temps complet, ce qui s’ajoutait aux 8 000 postes déjà abolis, de 1992 à 1995, par le gouvernement libéral. Plus de 100 000 personnes, majoritairement des femmes, ont fait les frais de ces coupes.

Le “partenariat social” » a engagé les organisations syndicales dans un processus où leurs dirigeants ont agréé aux consensus, en dehors du cadre des relations de travail et des négociations formelles. Ces consensus ont été par la suite imposés aux membres mis devant le fait accompli. Les directions des centrales syndicales ont ainsi été des partenaires utiles, capables de faire accepter par leurs membres les règles du jeu économique néolibéral, dont les travailleuses et travailleurs ont fait les frais.

Les centrales syndicales avaient développé des analyses montrant que l’on pouvait faire autrement. La démonstration en avait été faite avant la tenue de la Conférence sur le devenir social et économique du Québec en mars 1996. En créant de 1997 à 2002, 79 000 nouveaux emplois par année, on pouvait, en 2002, abaisser le taux de chômage à 8 % sans toucher aux conditions de travail des salariés de l’État.

En ce sens, les centrales proposaient, en plus du retour à la progressivité de l’impôt, d’imposer une taxe minimale sur les projets, de frapper d’une taxe les fiducies familiales et les transactions financières. En outre, elles demandaient à l’État de mettre fin à l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux.

Mais l’attrait du « partenariat social » en dehors des règles du travail préétablies mène les centrales à être instrumentalisés dans une logique marchande. Le Sommet a eu pour résultat des pertes d’emplois, de nouvelles tarifications, une diminution de l’efficacité des services publics, ce qui a favorisé le recours à des services privés de santé et d’enseignement. Ainsi, le mouvement syndical a contribué à déstructurer les services publics qu’il voulait préserver.
Le partenariat social se poursuit

· 2000 Sommet du Québec et de la jeunesse : introduction du communautarisme en éducation

· 2008 Pacte pour l’emploi  : Les centrales conviennent une fois de plus de l’employabilité des personnes assistées sociales.

Les instances tripartites/quadripartites auxquelles participaient les centrales dans les années 1990 demeurent actives et elles y sont toujours présentes.

CCTMO Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre actif
Membres du groupe syndical

CPMT : Six membres du secteur de la main-d’œuvre
Ils représentent des organisations syndicales qui regroupent ensemble plus d’un million de travailleuses et travailleurs.

CNESST Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail
Membres représentant les travailleurs

CARRA

· Rendez-vous national sur la main-d’œuvre 15-16 février prochain va dans le même sens que les rencontres précédemment citées. Ile gouvernement cherche à orienter vers les entreprises les nouvelles sommes consenties à l’enseignement postsecondaire durement touché par l’austérité du gouvernement Couillard.
Le syndicalisme est en crise affirmait Raymond Johnston (1989), alors vice-président de la CSQ. Il doit réinventer ses orientations, déterminé à agir fermement sur tous les terrains à la fois pour faire obstacle à la pensée unique, pour renforcer le contrôle démocratique du développement social et économique et revaloriser la citoyenneté. Pour cela, disait-il, le mouvement syndical devra secondariser son rôle institutionnel au bénéfice de la dimension « mouvement ».
Cette réappropriation de nos syndicats et centrales est toujours d’actualité.
Ghislaine Raymond, intervention au Camp de formation de Lutte commune, 2017/01/29


[1Les références aux travaux, auteurs et rencontres entourant la Conférence sur le devenir social et économique du Québec (mars 1996) et le Sommet socio-économique d’octobre 1996, mentionnées dans cette présentation, se retrouvent dans : Ghislaine Raymond, Le « partenariat social », Sommet socio-économique de 1996, syndicats et groupes populaires, Éditions M, 2013 et http://www.archipel.uqam.ca/4458/1/M12320.pdf.

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