Tiré de Politis.
La place de la République était pleine mardi soir, lors du rassemblement contre l’antisémitisme initié par le député Olivier Faure (PS)… Ou presque. Le quart est de la place où se dressait la tribune et l’espace réservé à la presse était en effet vide et protégé par un important dispositif policier, sécurisant la venue d’une partie du gouvernement et de nombreuses autres personnalités politiques.
Dans la foule compacte, se déplacer est un sport de combat et les JRI présents peinent à faire leurs images. « De toute façon, personne ne voit rien », peste une femme coincée derrière un groupe de jeunes en rangs serrés arborant une banderole et le célèbre logo de SOS Racisme. Un peu plus loin, un énorme ballon aux couleurs de l’Union des étudiants Juifs de France flotte dans les airs. Sous celui-ci, les pancartes brandies par l’UEJF sont légion. Sur l’une d’elle, la phrase « l’antisionisme est antisémitisme par nature et il le restera », est faussement attribuée à Martin Luther King, qui ne l’a jamais écrite ou prononcée, comme le souligne le Crif.
« Cette étoile, je l’ai portée pour la première fois à 8 ans »
Quelques personnes portent l’étoile jaune sur le torse, comme Jean-François, né en 1934, qui ne se dit pas inquiet face aux manifestations récentes de l’antisémitisme dans l’espace public : « Je me dis que l’antisémitisme fait partie de la culture française. Certains en sont très imprégnés, d’autres pas du tout. Nous faisons face à une remontée de l’antisémitisme, mais cela va se tasser », expose-t-il avec confiance. « Cette étoile, je l’ai portée pour la première fois à 8 ans avec ma mère dans les rues de Paris. Elle ressert aujourd’hui. Et, c’est amusant, elle est jaune, comme les gilets », conclut-il l’air malicieux.
Les gilets jaunes ne semblent pas pour autant être les bienvenus. Alors que les poèmes lus par des collégiens sur la tribune sont inaudibles par la grande majorité de la foule, un homme en gilet jaune, la trentaine, se hisse sur la statue du centre de la place pour brandir un écriteau « Antisémitisme, islamophobie, racisme : pas en mon nom ». Au pied de la statue, un homme s’énerve : « Il est content l’autre avec son gilet, il a ses deux minutes de gloire… Et les journalistes, vous n’avez rien d’autre à filmer ? » Un peu plus loin, ce sont deux personnes qui tentent d’en convaincre une troisième de retirer son gilet.
« La haine, quelle qu’elle soit, m’inquiète. C’est pour ça que je suis ici. Quand je vois la violence depuis le 17 novembre, j’en ai ras-le-bol ! » explique Catherine, encartée chez LR, qui semble très remontée contre le mouvement social des gilets jaunes.
« Là-bas se trouve le temple du cynisme, de l’hypocrisie et de l’incohérence »
Même jour, même heure, même ville. À Ménilmontant, le NPA et des organisations antiracistes donnaient un rendez-vous alternatif à leurs sympathisants, eux aussi contre l’antisémitisme. « Et contre son instrumentalisation politique », complète Aurélie, tatillonne. Cette professeure, vêtue d’un gilet jaune, ne voulait pas répondre à l’appel d’Olivier Faure. Un petit kilomètre la sépare du rassemblement de République, mais quand elle en parle, deux mondes s’opposent. « Là-bas se trouve le temple du cynisme, de l’hypocrisie et de l’incohérence », lâche la trentenaire. Elle critique vertement les politiques du gouvernement :
La dérive antisémite, comme toutes les autres dérives humaines, se cultivent par l’exclusion sociale et économique d’une partie de la population.
L’enseignante au gilet jaune passe en revue la liste des organisateurs : Collectif pour Adama, Brigade antinégrophobie, Union juive française pour la paix (UJFP), les Indigènes de la République (PIR)... Pas de doutes à avoir, elle y voit un gage de sincérité dans la constitution d’un front antiraciste uni. Devant une foule compacte, les discours s’enchaînent. Au tour de Simon Assoun, membre du NPA et de l’UJFP. Il dénonce vivement le flou entretenu par « l’appel de République » : « À aucun moment les organisateurs ne nomment l’extrême droite ! Des croix gammées et celtiques pour profaner les cimetières juifs, le mot "Juden" sur un commerce… Ces symboles portent pourtant sa signature. »
« Il existe aussi une injonction à être un bon juif à l’extrême gauche »
La parole circule, Houria Bouteldja la saisit. La porte-parole du PIR raille : « La lutte contre l’antisémitisme est trop sérieuse pour la laisser à des guignols et des pyromanes ! » La militante décortique le deux poids, deux mesures du gouvernement : « Il y aurait des bons et des mauvais juifs. Les bons du côté du pouvoir, du libéralisme économique et des pro-impérialistes. » L’auteure de l’essai Les Blancs, les Juifs et nous continue sa diatribe : « Et les mauvais, ceux que le gouvernement méprise ou ignore. Ceux – comme l’UJFP – pour la justice sociale, contre tous les racismes sans distinctions et propalestiniens ! »
Moment de flottement, un jeune homme en profite pour rebondir : « Je viens avec la boule au ventre. » Jonas hésite et butte sur les mots : « Il existe aussi une injonction à être un bon juif à l’extrême gauche. » Quelques-uns râlent, d’autres appellent au calme, certains opinent silencieusement. « Nous devons toujours donner des gages, hiérarchiser les racismes, admettre nos privilèges et avouer que notre souffrance est moins grande que celle des autres », témoigne-t-il. Dans un mélange de désapprobation et d’applaudissements, l’orateur quitte la scène improvisée. Un contradicteur vient à sa rencontre et lance un débat sur Israël, Jonas s’exaspère :
Tout le monde m’a toujours fait chier à ce sujet. Ma mère est marocaine, mon père est égyptien, je suis né en France, qu’est ce que j’ai à voir avec Israël ?
Assa Traoré du Collectif pour Adama observe la querelle de loin. « Ça n’est pas le moment », commente-t-elle. La militante souligne : « Nous voulons opposer un message fort : tous unis contre toutes formes d’oppression, contre l’antisémitisme. Mais il faut prendre en compte ce sentiment de rejet, comment faire pour mieux s’aider, faire en sorte que ce sentiment n’existe plus. » Aussi vite qu’elle s’était remplie, la place de la République se vidait. Et pendant ce temps-là, à Ménilmontant, quelques groupes continuaient de s’écharper.
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