Tiré de Afrique en lutte.
Le tribunal de Bir Mourad Rais à Alger a examiné le 29 septembre une requête qui vise la dissolution du RAJ, affirmant que ses activités « politiques » violaient les objectifs énoncés dans ses propres statuts. Les dirigeants du RAJ ont rejeté cette accusation, affirmant que les autorités prennent pour cible l’association en raison de son soutien au mouvement prodémocratie Hirak, qui a débuté en 2019.
Les cinq organisations de défense des droits humains sont Human Rights Watch, Amnesty International, l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et MENA Rights Group.
« Chercher à interdire l’une des principales organisations de la société civile sur la base de motifs fallacieux est une nouvelle tentative d’écraser le Hirak », a déclaré Eric Goldstein, Directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Cette décision intervient sur fonds d’arrestations arbitraires et de poursuites en cours contre des activistes et des journalistes, et de rafles de manifestants. »
Les forces de sécurité algériennes exercent, de façon régulière, une répression à l’égard des individus et des groupes associés au mouvement protestataire Hirak, qui mobilise un grand nombre de manifestants depuis février 2019. Exigeant des réformes démocratiques, ils ont continué à descendre dans la rue après la démission de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, remplacé par Abdelmadjid Tebboune sept mois plus tard, à l’issue d’un scrutin contesté.
Le RAJ a été créé en 1992 pour « promouvoir les activités culturelles, les droits humains et les valeurs de la citoyenneté », selon ses statuts. Il s’est fait connaître pour sa mobilisation populaire locale auprès de la jeunesse algérienne.
Le RAJ soutenait ouvertement le Hirak ; son siège est devenu un lieu de rencontre et de débat pour les activistes. En 2019, il a cofondé le Pacte pour l’alternative démocratique (PAD), un collectif de partis d’opposition, d’organisations de la société civile, de syndicalistes, d’avocats et d’intellectuels. Le Pacte a rejeté l’élection de Tebboune, appelant à une profonde réforme des institutions de l’État. Les autorités ont poursuivi 11 de ses membres, jetant en prison au moins neuf de ses dirigeants et militants pour délits d’expression à plusieurs reprises depuis 2019 et interdisant certaines de ses activités, comme une université d’été en août 2019.
« La dissolution du RAJ serait un nouveau recul pour la liberté d’association en Algérie », a déclaré Nadège Lahmar, chercheuse sur le Maghreb à l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme (CIHRS). « En prenant pour cible une organisation de la jeunesse favorable au Hirak, les autorités cherchent à faire taire des voix indépendantes et pacifiques. »
Le 26 mai, le RAJ a annoncé avoir été notifié d’une requête déposée par le ministère de l’Intérieur auprès d’un tribunal administratif demandant la dissolution du groupe. La requête affirme que le groupe s’était livré à des activités « différentes de celles pour lesquelles il avait été créé », qu’il avait « initié et mené des activités suspectes avec des étrangers », « contribué à inciter les citoyens à se rassembler sans autorisation » et « adopté des stratégies de nature politique dans le but de semer le chaos et de perturber l’ordre public ».
« L’accusation du ministère de l’Intérieur selon laquelle le RAJ a violé la loi est basée sur les activités publiques quotidiennes que le RAJ a menées pendant le Hirak, telles que des forums, des débats et des initiatives citoyennes, aux côtés de millions d’Algériens afin de trouver une issue unificatrice et consensuelle de la crise », a déclaré à Human Rights Watch le président du RAJ, Abdelouahab Fersaoui.
La loi algérienne sur les associations de 2012 prévoit à son article 43 que les autorités peuvent demander une décision de justice pour dissoudre une association « lorsque l’association a exercé une ou des activités autres que celles prévues par ses statuts ». La requête du gouvernement cite également l’article 13 qui stipule que « les associations sont distinctes par leur objet, leur dénomination et leur fonctionnement des partis politiques et ne peuvent entretenir avec eux aucune relation… » Les autorités soutiennent que le RAJ « a adopté des stratégies de nature politique » en entretenant des relations avec deux partis politiques d’opposition, appelé et participé à des marches en 2019, et scandé des slogans exigeant une « Algérie démocratique et libre ». La requête affirme également que le RAJ constitue un « danger pour la souveraineté nationale, la politique étrangère de l’État, l’ordre et la sécurité publics ».
L’article 2 de la loi sur les associations précise que les objectifs d’une association « doivent s’inscrire dans l’intérêt général et ne pas être contraires aux constantes et aux valeurs nationales ainsi qu’à l’ordre public, aux bonnes mœurs. ». Ces dispositions sont formulées de manière trop vague pour permettre aux associations de prédire raisonnablement si l’une de leurs activités constitue un crime, et elles menacent l’exercice de la liberté d’expression et d’association, a constaté Human Rights Watch.
La requête soutient également que le RAJ a violé l’article 23 de la loi, qui prévoit que la coopération avec des associations internationales et étrangères est possible « dans le respect des valeurs et des constantes nationales » et « subordonnée à l’accord préalable des autorités compétentes ». La requête accuse le groupe d’avoir rencontré des représentants d’Amnesty International et de la Ligue tunisienne des droits de l’homme.
Les dispositions légales utilisées par les autorités algériennes pour demander la dissolution du RAJ sont incompatibles avec le droit à la liberté d’association, a conclu Human Rights Watch. Les associations devraient être libres de déterminer leurs statuts et leurs activités et de prendre des décisions sans ingérence de l’État sans être exposées à la sanction ultime de dissolution pour avoir exercé des activités légales et pacifiques. Elles devraient être libres d’entretenir des relations avec des entités étrangères soumises à des obligations de transparence raisonnables, mais en l’absence de l’approbation préalable du gouvernement.
La requête citait comme « preuve d’activités politiques » une émission télévisée de 2019 dans laquelle le président du RAJ, Abdelouahab Fersaoui, avait exprimé son soutien aux politiciens arrêtés, et un débat politique sur Facebook dans lequel il a critiqué la répression des activistes du Hirak et appelé à la reprise des manifestations après la levée des restrictions de santé publique relatives au Covid-19.
Fersaoui a été arrêté le 10 octobre 2019 lors d’un sit-in organisé en solidarité avec les détenus du Hirak, et inculpé d’« atteinte à l’intégrité du territoire national ». Il a été condamné à un an de prison en avril 2020 et remis en liberté un mois plus tard, après la réduction de sa peine en appel. Le gouvernement a cité les poursuites et la condamnation de Fersaoui comme preuves que le RAJ mène des activités illégales.
En 2019 et 2020, plusieurs membres éminents du RAJ, dont son fondateur Hakim Addad, ont été arrêtés lors des marches du Hirak, et poursuivis pour « rassemblement illégal » et « atteinte à l’intégrité du territoire national ». Le 22 juin, un tribunal de Sidi Mhamed a acquitté ces activistes – Djalal Mokrani, Hakim Addad, Kamel Ouali, Hmimi Bouider et Massi Aissousse – des charges retenues contre eux.
Dans une autre affaire, le tribunal de Sidi Mhamed a condamné le 8 juillet Addad par contumace à un an de prison pour « incitation à un rassemblement non armé » entre autres charges, sur la base de publications en ligne témoignant d’un soutien au mouvement Hirak. Human Rights Watch a documenté par le passé la manière dont les autorités algériennes se sont servis de la loi sur les associations pour réprimer le droit à la libre association. En février 2018, les autorités ont contraint à la fermeture les bureaux de deux organisations de défense des droits des femmes à Oran, une ville située à l’ouest d’Alger, au motif qu’elles n’étaient pas légalement enregistrés, même si toutes deux ont déclaré avoir déposé une demande en ce sens.
En mai 2012, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a qualifié la loi sur les associations de « retour en arrière ».
L’article 52 de la constitution algérienne garantit le droit à la libre association, tout comme l’article 10 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a ratifié en 1989.
« La requête des autorités algériennes pour dissoudre le RAJ est un indicateur alarmant de leur détermination à réprimer davantage l’activisme indépendant et à supprimer les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique », a analysé Amna Guellali, Directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty international. « Les autorités devraient abroger la loi algérienne répressive sur les associations plutôt que de l’instrumentaliser pour écraser la dissidence. »
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