Est-ce que tu peux expliquer comment le mouvement a démarré chez les jeunes ?
Des appels à sortir dans la rue ont été lancés dans les réseaux sociaux au lendemain de l’annonce de la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat par l’alliance présidentielle. Des mobilisations spontanées ont eu lieu dans quelques villes du pays (Khenchla, Kherata, Jijel…). Le 22 février, suite à des appels anonymes, des centaines de milliers de jeunes ont manifesté dans les quatre coins du pays en brisant la peur et en bravant l’interdit, notamment dans la capitale, pour exprimer leur rejet du 5e mandat et du système. La mobilisation ne cesse de grandir et de toucher à des secteurs comme les avocats, les journalistes, les étudiants, les femmes, etc.
Quels sont les objectifs des jeunes mobilisé·e·s ?
Il est évident que la mobilisation s’oppose au passage en force du 5e mandat d’un Bouteflika démuni qui a perdu toutes ses capacités depuis 2013. Mais la population exprime aussi son rejet de tout un système oligarque et corrompu soumis aux forces impérialistes. On a vu des centaines de milliers de jeunes, de moins jeunes, de vieux, de femmes, scandant des mots d’ordre de liberté, de démocratie, d’égalité et de justice sociale.
Quelles sont les forces militantes impliquées ?
Pour l’instant, le mouvement est hétérogène sans représentation politique, toute les franges de la société et toutes les sensibilités sont parties prenantes de ce mouvement.
L’UGTA, dirigée par Sidi Saïd, maintient une position de soutien à Bouteflika et à son programme. Elle a réitéré sa position même après le début des évènements actuels. Mais certains secteurs combatifs sont susceptibles de désobéir et de mener un mouvement plus combatif.
Le FFS et le PT ont exprimé un soutien au mouvement à travers leurs communiqués, ils affirment vouloir un « changement de système ». Ces deux forces défendent le principe de l’élection d’une assemblée constituante.
Est-ce qu’il y a de l’auto-organisation ?
La plupart des mobilisations sont spontanées ou sur la base d’appels sur les réseaux sociaux. De nouvelles formes de protestations, à l’image des gilets jaunes en France, apparaissent tels que les brassards rouges qui sont nés à Bejaia. Au fil de la mobilisation, on voit la mobilisation de certains secteurs peu combatifs dans l’histoire tel que les avocats, des journalistes des médias publics (organe de propagande du pouvoir) manifestant aujourd’hui pour exiger l’objectivité dans la diffusion de l’information, les étudiants qui sortent en centaine de milliers aujourd’hui dans toutes les universités du pays, des femmes qui se préparent à investir la rue les 8 et 9 mars, en attendant les autre secteurs (ouvrier, santé, l’éducation, etc.).
La présence des femmes est assez importante dans les manifestations. Il y a des appels à célébrer le 8 mars dans des manifestations qui font converger les revendications du mouvement avec celles du mouvement féministe et de la journée internationale de la lutte des femmes pour leur émancipation.
Est-ce que la peur d’une trajectoire à l’iranienne est quelque chose de présent ? Est-ce que c’est absurde ?
Ce scénario est loin de réalisable, parce que les réalités sont totalement différentes, malgré l’islamisation de la société. Je pense que l’islamisme politique est défait en Algérie et cela pour de nombreuses raison : la décennie noire, l’échec relatif des partis islamistes qui ont été un certain moment dans l’alliance présidentielle, mais aussi dans leur gestion catastrophique dans les instances élues, etc. Suite aux directives du ministère des affaires religieuses, des fidèles s’insurgent contre les Imam qui appellent à ne pas manifester après les prières de vendredi. Les tentatives de récupération de certains groupes islamismes ont été totalement déjouées par les manifestants.
Qu’est-ce que vous proposez dans le mouvement ?
Notre objectif est d’imposer par la mobilisation l’élection d’une assemblée constituante représentative des aspirations démocratiques et sociales des travailleurs et des masses populaires, et cela ne peut venir que par la convergence des luttes de toutes les forces progressistes, démocratiques et sociales. Mais, pour l’instant, la priorité est d’accompagner ces luttes et de donner une clarification et une explication politique à cette mobilisation qui exprime avant tout le rejet des politiques libérales, antisociales et antidémocratiques d’un gouvernement soumis à l’impérialisme. Des politiques qui ne cessent de nous priver de nos libertés, qui nous appauvrissent et qui réduisent notre pouvoir d’achat.
Propos recueillis par Antoine Larrache
Créé le Mercredi 27 février 2019
Un message, un commentaire ?