De mémoire de New-Yorkais, on n’avait jamais vu de manifestation aussi grande. La People’s climate march new-yorkaise a tout bonnement épaté par l’ampleur de la mobilisation. Selon les estimations des organisateurs, plus de 300 000 personnes se sont rassemblées à Manhattan, défilant sur quatre kilomètres sous la surveillance renforcée des forces de police new-yorkaises (n’étant, au passage, pas réputées pour leur tolérance à l’égard des manifestants).
Pour mieux cerner l’événement, il faut donc imaginer un immense défilé dans une ville qui n’aime pas trop le désordre. Ce fut un peu statique par la force des choses : les derniers arrivés ont attendu près de deux heures avant de commencer à marcher. Il faut aussi se figurer une foule joyeuse, mêlant des familles avec enfants, des étudiants, des associations écologistes, des scientifiques, des groupes de défense des immigrants, pour la justice sociale, des syndicats, des groupes religieux, ou encore des militants pacifistes ne ratant pas une manifestation depuis la lutte contre la guerre du Viêtnam.
Il faut encore imaginer une marche festive et bariolée, où les déguisements étaient appréciés (le costume d’ours polaire faisait fureur) et où se mêlaient des pancartes aux messages divers. De très nombreuses déclarations d’amour à la planète Terre, des attaques contre les grandes compagnies pétrolières, des dénonciations des errements du néolibéralisme, des appels à l’action politique, à l’instauration d’une taxe carbone, au boycott du fracking, à l’abandon du projet d’oléoduc Keystone XL devant acheminer du pétrole canadien vers les raffineries du Texas…
La « marche des peuples pour le climat » a atteint l’un de ses objectifs : être un rendez-vous populaire et grand public, afin de montrer que le dérèglement climatique est un sujet qui sensibilise de plus en plus, et tenter de faire pression sur les dirigeants politiques. La date n’avait bien sûr pas été choisie au hasard : un sommet sur le changement climatique s’ouvre mardi au siège de l’ONU à New York, réunissant 140 chefs d’État, devant préparer le terrain à un éventuel accord international lors de la conférence onusienne qui se tiendra à Paris en décembre 2015. Certains politiques se sont donc montrés au défilé, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon à l’ancien vice-président démocrate Al Gore, en passant par Laurent Fabius du côté français.
Pour parvenir à une manifestation de cette taille, les organisateurs n’ont pas lésiné sur les moyens, notamment l’association écologique américaine 350.org fondée par Bill McKibben et le mouvement citoyen sur internet Avaaz (à l’origine d’une pétition 3 ayant recueilli plus de 2 millions de signatures afin de demander aux responsables politiques d’agir contre le dérèglement climatique). Leur stratégie fut de rassembler au-delà des réseaux écologistes classiques. Au bout du compte, des centaines d’associations 3 se sont coordonnées, mobilisant leur base depuis des mois via emails, au téléphone, appelant à manifester pour « la justice environnementale ». Un mot d’ordre délibérément flou pour attirer le plus grand nombre.
« Je me suis beaucoup interrogé sur le sens de cette action, ce qu’on pouvait véritablement en attendre… J’ai au moins une certitude : cela permet de recharger les batteries, de garder l’envie de se battre malgré la dose de mauvaises nouvelles quotidiennes », témoigne Walker, artiste new-yorkais entouré d’artistes de la région. À ses côtés, Aislinn, venue de Philadelphie, ajoute : « En étant si nombreux, on montre que ce sujet touche tout le monde, qu’il n’y a rien de bien extrémiste à vouloir agir pour protéger l’environnement. » Un refrain entonné par tous ceux que l’on interroge. Ils se disent inquiets face à l’état du débat aux États-Unis, et ont même un peu honte. « Le pays va donner de grandes leçons aux pays en développement, mais se montre incapable de voter des lois efficaces », résume Judy, venue manifester en famille.
« Niveau d’indifférence effarant »
« Sur le dérèglement climatique, le niveau d’indifférence que l’on ressent encore aux États-Unis est effarant. Mais un changement s’opère en ce moment, ce n’est pas seulement une impression, la marche n’est pas une jolie façade sans rien derrière », assurent Sarah et Kate, étudiantes en sciences de l’environnement venues du Vermont. « Un État où l’écologie a plus de sens qu’à New York ; où faire son compost n’a rien de très original », glisse l’une d’elles.
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« Étant donné les faits scientifiques dont on dispose, c’est incroyable que le changement climatique soit encore l’objet d’un débat », s’emporte Dina, venue de Washington, où elle travaille pour le département d’État, « que je ne représente absolument pas ici », insiste-t-elle. Leur colère se dirige contre Barack Obama, dont le bilan écologique est jugé faible et insuffisant, mais surtout contre le camp républicain, « qui s’enferre dans le déni en refusant de "croire" au changement climatique », poursuit Dina. Un camp républicain qui bloque la plupart des réformes : le parti dispose d’une majorité d’élus à la Chambre des représentants, et peut ainsi s’opposer à toute législation d’envergure proposée par les démocrates.
« En étant si nombreux, nous voulons envoyer un message à Barack Obama, qu’il s’engage sur un accord international à l’ONU, mais qu’il soit aussi plus ferme en politique intérieure. Il pourrait prendre des mesures en faveur de l’environnement grâce à des décrets présidentiels, sans attendre que le Congrès ne se mette d’accord. Nous le soutiendrons », estime Judith Le Blanc, l’une des directrices de la grande association pour la paix Peace Action, associée à l’organisation de la marche. Cette manifestation, selon elle, permet aussi de mettre en valeur toutes les incitatives américaines locales, notamment « le mouvement d’opposition à l’oléoduc Keystone XL qui grandit au cœur du pays chez les fermiers et dans les communautés amérindiennes ».
La consommation de pétrole américaine est bien sûr au cœur de la manifestation, d’autant que celle-ci augmente, ainsi que sa production (notamment grâce au développement de la méthode du fracking). « Ce qui freine notre mouvement, c’est le fait que beaucoup d’Américains croient que nous n’arriverons jamais à être plus forts que les lobbies représentant les intérêts pétroliers, qui biaisent totalement notre débat politique. Je continue de croire que c’est faux, et le seul moyen de le montrer, c’est de descendre dans la rue, de faire du bruit », poursuit Judith Le Blanc.
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Ce dimanche, dans la rue, chacun se prenait donc à rêver et à proposer des réformes politiques considérées comme à portée de main : « mieux taxer l’essence », « obliger les industries qui fabriquent des énergies non renouvelables à investir une part de leurs revenus dans l’alternatif », « éteindre de temps à autre les lumières de New York, les panneaux publicitaires de Times Square par exemple, car c’est tout de même un peu schizophrène de vivre ainsi en voulant protéger l’environnement », glissera une femme âgée descendue rejoindre la marche parce qu’elle se déroulait sous ses fenêtres.
Certains tenteront des messages plus radicaux et critiques à l’égard du système économique dominant, oseront des pancartes barrées d’un « arrêter de dépenser des dollars », « stopper le shopping », tout en dénonçant la responsabilité de Wall Street dans la crise climatique en cours. À l’initiative de militants associés au mouvement Occupy, une autre manifestation est d’ailleurs prévue ce lundi afin d’« inonder » symboliquement Wall Street. New York est bel et bien en train de se mettre en mouvement, il reste à voir combien de temps cela va durer.