Tiré de France-Palestine Solidarité.
« Aujourd’hui, c’est le jour où la juste opération de dénazification a commencé en Ukraine ». Voilà comment Vladimir Soloviev, populaire présentateur de la télévision russe sur la chaîne publique de Russie, a décrit la guerre menée par son pays sur l’Ukraine et ses 42 millions d’habitants.
L’invasion du Président russe Vladimir Poutine est ouvertement soutenue par la droite israélienne. Ce soutien est d’abord et avant tout issu d’une position politique : la guerre est faite pour prouver la supposée « faiblesse » américaine sous le Président démocrate Joe Biden, qui a commis le péché impardonnable de battre Donald Trump, le chéri de la droite israélienne.
Elle est faite également pour nous montrer l’importance d’avoir un premier ministre israélien que le monde respecte – c’est-à-dire, Benjamin Netanyahou. Rien, bien sûr, ne prouve que la guerre aurait pu être évitée si Trump et Netanyahou étaient toujours dirigeants, mais cette affirmation contrefactuelle sert néanmoins la position de la droite.
Au-delà de la conjecture politique, quelque chose de plus profond est en jeu ici. La façon dont Poutine élabore la violence d’état russe est très semblable à la rhétorique et au jeu sur les mots dont Israël s’est servi dans ses guerres contre les Palestiniens et les États arabes depuis des décennies.
Occupation ? Ce n’est qu’une ‘opération’
Avant toute chose, il y a le mot « opération » pour décrire ce qui est en fait une guerre à part entière dans laquelle des dizaines de milliers de soldats russes envahissent un État voisin indépendant. D’anciens soldats israéliens se rappelleront « Opération Paix en Galilée », nom qu’Israël a donné à la guerre qu’elle a entamée en 1982, qui a conduit à la conquête de presque la moitié du Liban, y compris sa capitale Beyrouth, et l’occupation qui s’en est suivie du sud du pays.
Bien que la guerre du Liban ait duré 18 ans jusqu’au retrait d’Israël en 2000, et qu’elle ait coûté la vie de dizaines de milliers de Palestiniens, de Libanais, de Syriens, et de plus d’un millier d’Israéliens, on continue d’en parler jusqu’à aujourd’hui dans les documents officiels des FDI sous son nom militaire officiel. La guerre du Sinaï, dans laquelle Israël a occupé la presque totalité de la péninsule désertique de l’Égypte en 1956, est encore présentée dans certains documents sous le nom d’ « Opération du Sinaï » ou « Opération Kadesh ».
Depuis lors, le générateur de noms des FDI, particulièrement pour les guerres d’Israël sur la Bande de Gaza, n’est devenu que plus sophistiqué. De « Pluies d’Été » à « Hiver Brûlant », « Plomb Durci », « Barrière Protectrice », « Gardien des Murs », Israël utilisera tous les mots lui permettant d’éviter de dire au public israélien ce qui est si évident : nous allons faire la guerre. Poutine s’avère en être un excellent élève, choisissant le mot « opération » et suggérant quelque chose possédant clairement un début, un milieu et une fin.
Les Nazis au coin de la rue
Une autre astuce favorite volontiers adoptée par Poutine, c’est de s’attribuer le rôle de victime, de préférence en faisant mention de l’Holocauste. En utilisant le terme « dénazification » pour décrire ses projets en Ukraine, Poutine non seulement diabolise l’ennemi et fait passer sa guerre du domaine politico-militaire à un autre presque mythique, mais il laisse entendre qu’il s’agit d’une guerre du faible contre le fort – de ceux qui agissent en auto-défense contre des belligérants.
La Russie – ou plutôt l’ancienne Union Soviétique, dont Poutine se voit comme l’héritier au sens territorial et impérial – a été une des victimes des Nazis. En ravivant ce passé obsédant, l’agression russe et son avantage sous presque tous ses aspects sur l’Ukraine sont renversés. Le Russe est transformé en partie faible et l’Ukrainien devient l’agresseur.
L’utilisation par Israël de la mémoire de l’Holocauste pour justifier sa violence d’État est inépuisable. Elle est, bien sûr, encore plus ironique si l’on considère que les forces « nationales » ukrainiennes ont coopéré avec les Nazis et qu’il y a même aujourd’hui des milices néo-nazies dans le pays, tandis que les Palestiniens n’avaient rien à voir avec l’extermination des Juifs d’Europe. Mais rien de cela n’importe pour la propagande israélienne. La déclaration de Netanyahou prétendant que c’était le Mufti Haj Amin al-Husseini qui avait persuadé Hitler d’adopter la Solution Finale n’est qu’un des nombreux exemples utilisés pour défendre l’assujettissement accru des Palestiniens.
Mais lorsqu’il s’agit de dépeindre faussement la réalité des relations de pouvoir, Israël est encore plus radical que la Russie. Alors que l’Ukraine est bien plus faible que la Russie, la première a cependant ses propres avions, tanks, missiles et des centaines de milliers de soldats entraînés. Israël mène des « opérations » à Gaza contre un ennemi qui ne présente aucune comparaison en terme de puissance et de capacité militaires – et pourtant Israël est en quelque sorte toujours la partie la plus faible soumise à une agression.
Le choix du langage par Poutine rappelle celui d’Israël lorsqu’il s’agit de présenter le but de la guerre de la Russie. Dans son discours le premier jour de la guerre, Poutine a dit que le but de l’ « opération » était la « démilitarisation » de l’Ukraine. « Tous les soldats ukrainiens qui déposeront leurs armes pourront quitter sans risque la zone de combat », a-t-il dit. Poutine a dit ensuite que l’aide militaire à l’Ukraine provoque une « instabilité », faisant de l’agression russe un synonyme de la restauration de la stabilité et d’un état naturel des choses.
Ce récit fait écho à la règle du jeu israélienne. Israël occupe la Cisjordanie depuis plus de 54 ans et impose un siège suffocant à la Bande de Gaza depuis 15 ans. Il est la partie occupante, il est l’envahisseur, il est l’agresseur. Et pourtant, les Palestiniens occupés sont ceux dont on exige qu’ils « déposent les armes » et ne résistent pas. Toute résistance est considérée comme un acte de terrorisme ; tout soutien à la lutte des Palestiniens contre l’occupation « encourage l’instabilité ».
Les dites raisons de sécurité pour l’invasion sont elles aussi remarquablement similaires. L’Ukraine subit une invasion, non pas parce qu’elle a attaqué la Russie ni parce qu’il existait quelque renseignement crédible que ce soit disant qu’elle envisageait de faire du tort à sa voisine. La raison, c’est qu’elle pourrait rejoindre l’OTAN, ce que Poutine considère comme une « menace immédiate » et qui a poussé la Russie à attaquer préventivement. Ces prétentions rappellent les arguments présentés par Israël pour régulièrement mener des frappes aériennes sur la Syrie, dont la raison n’est pas qu’Israël a été attaqué, mais parce qu’il pense qu’il sera attaqué à l’avenir.
‘Il n’existe rien de tel qu’une nation ukrainienne’
Et bien sûr, il y a la justification historique pour l’invasion russe. Dans un discours qui a débouché sur la guerre, Poutine a dit que l’Ukraine n’a jamais eu de « tradition de véritable État » et que le pays est aujourd’hui une fiction créée par les Bolcheviks quand ils ont créé l’Union Soviétique. Dans un essai publié l’année dernière, le président russe a prétendu que l’Ukraine est un « projet anti-Russes ».
Ceci aussi résonne comme une réplique des déclarations d’Israël sur le nationalisme palestinien. Les dirigeants israéliens ont prétendu à maintes reprises que l’unique but du projet national palestinien était de faire du tort à Israël, tout en niant l’existence du peuple palestinien ou une identité collective.
La droite israélienne est particulièrement en accord avec ce genre d’arguments. Ce n’est pas une coïncidence si Gershon HaCohen – général de réserve de l’armée israélienne devenu un commentateur de droite – a suggéré qu’Israël devrait directement soutenir Poutine. « Kiev est le lieu de naissance de la Russie. Kiev pour Poutine est comme Bethléem et Hébron » a-t-i dit dans une récente interview. La conclusion logique est claire : la Russie libère Kiev, Israël libère Hébron.
Poutine est « le leader bien connu de l’extrême droite mondiale, qui est de plus en plus considérée comme une mouvement fasciste mondial », a écrit Jason Stanley, auteur de « Comment Fonctionne le Fascisme ». On ne devrait pas être surpris alors qu’il gagne de la sympathie en Israël et que sa conduite, et particulièrement sa rhétorique, soit un copié-collé directement tiré de l’arsenal israélien. Tout ce que nous avons à faire, c’est écouter.
Traduction : AURDIP
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