En tant qu’étudiants, ils ne sont pas protégés par les lois du travail et sont soumis à un contrat de travail maison élaboré par Honda. Leur salaire est en dessous du salaire minimum et ils n’ont pas de couverture sociale. Ils n’ont pas le statut de travailleurs réguliers. Ces étudiants-travailleurs sont logés dans des dortoirs fournis par l’entreprise et ne quittent pratiquement pas l’usine durant les rares périodes de repos. D’où un sentiment d’enfermement carcéral qui explique leur révolte.
Face à la détermination des grévistes, la direction a commencé par licencier les dirigeants des grévistes. Elle a ensuite cherché à les diviser en faisant des propositions différentes entre les travailleurs réguliers et les travailleurs-étudiants. Cette stratégie a au contraire renforcé la solidarité entre les employés. Comme l’usine de Foshan fabrique des composants pour les autres usines automobiles du groupe en Chine, la production de Honda s’est retrouvée paralysée dans l’ensemble du pays après 10 jours d’épreuve de force. C’est une première. Au bout de deux semaines de grève, la direction se résignait à augmenter d’environ 35 % le salaire des ouvriers réguliers et de plus de 70 % celui des travailleurs étudiants.
Les conflits du travail ne sont pas rares en Chine et le gouvernement central est très sensible à ces luttes qui engendrent des tensions sociales. Il est vigilant à toute agitation qui pourrait se transformer en contestation politique de son pouvoir. Les autorités locales sont en général promptes à résoudre (le plus souvent à réprimer) les conflits avec un minimum de publicité et dans les plus brefs délais.
Par sa médiatisation au niveau national et international, sa longueur et la détermination des ouvriers en lutte, la grève des salariés de Honda est donc remarquable à bien des égards. Elle pourrait marquer un tournant important pour les luttes des travailleurs chinois.
Remarquable d’abord par la mobilisation de jeunes employés nés après 1980 et qui n’ont jamais connu l’ère maoïste. Leur grève a montré leur détermination à faire respecter leur dignité d’êtres humains en commençant par imposer des conditions de travail décentes. Plus question de sacrifier sa vie et d’accepter les pires injustices au nom de l’intérêt de l’entreprise et du sens de la hiérarchie. Ces jeunes ouvriers, tous enfants uniques, aspirent à une vie décente dans les grands centres urbains et qu’il leur est impossible d’atteindre avec leur salaires de misère. Ils n’ont pas hésité à dénoncer un modèle de croissance qui repose sur le travail bon marché et l’exploitation féroce de la force de travail mais aussi sur l’indécence des grandes entreprises qui leur payent des salaires extrêmement bas alors qu’elles font des profits mirobolants.
La grève a eu lieu en même temps que les médias occidentaux se faisaient l’écho des nombreux suicides dans l’usine taïwanaise Foxconn, géant de l’électronique qui fournit des composants à Dell, Apple et Hewlett Packard. Ces différents conflits ont mis en lumière les épreuves que subissent les travailleurs dans ces usines organisées comme des prisons. C’est cette discipline de fer, combinée aux faibles salaires, qui a séduit les multinationales et a contribué à faire de la Chine « l’atelier du monde ». Un atelier qui ressemble plus à un bagne.
Face à la direction de Honda, les salariés ont pu vérifier qu’il ne fallait pas compter sur les délégués du personnel, membres du syndicat officiel ACFTU. Entre intimidation physique des grévistes et opposition directe à la lutte, ce pseudo-syndicat a démontré qu’il servait les intérêts des entreprises capitalistes et pas ceux des travailleurs. C’est ce qui explique la demande légitime des travailleurs d’élire eux-mêmes les représentants du personnel.
La grève des salariés de Honda Foshan est loin d’être isolée. Les salaires et les conditions de travail sont les principaux ressorts des actions collectives qui se sont aussi développées chez Honda Guanzou, Hyundai Motor company et dans d’autres grandes compagnies.
Le gouvernement se trouve pris maintenant dans une contradiction difficile à gérer. La multiplication de conflits débouchant sur des hausses de salaires pourraient bien rendre le pays moins attractif pour des multinationales qui peuvent pour certaines d’entre elles s’implanter dans d’autres pays comme le Vietnam. D’un autre côté, l’augmentation des salaires est synonyme d’amélioration des conditions de vie, une donnée non négligeable pour le maintien de la stabilité politique et le rééquilibrage de la croissance en faveur du marché domestique. Ce rééquilibrage est souhaité par le gouvernement afin d’amortir les effets de la crise internationale. Cette crise a révélé la trop forte dépendance aux exportations et la fragilité de l’économie chinoise qui en découle.
Reste que ces hausses ne sont pas le fait d’une politique salariale mais sont obtenues grâce à la lutte des travailleurs, ce qui n’est pas du goût des autorités centrales. Selon le magazine official Outlook Weekly, les conflits du travail ont augmenté de près de 42 % dans la province de Guangdong (Canton) durant le premier trimestre 2009 par rapport à la même période en 2008. Plus que tout, le gouvernement chinois craint une mobilisation généralisée des travailleurs qui, partant de revendications économiques, déboucherait très rapidement sur le terrain politique remettant en cause son monopole du pouvoir. C’est à ce titre que la grève des travailleurs de Honda fera date car elle montre à l’ensemble des travailleurs chinois que des victoires sont possibles.