Édition du 25 mars 2025

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Asie/Proche-Orient

Syrie : Le PKK et la question de l’auto-détermination du peuple kurde

“Non au communautarisme… Non au racisme… Notre révolution est une révolution de dignité et de liberté” - Amouda 2013

Assiégée par les djihadistes de l’Etat islamique (EI) depuis octobre 2014, Kobané est devenue le symbole de résistance kurde du Rojava (Kurdistan syrien), qui regroupe les régions autonomes du nord-est de la Syrie, peuplées en majorité par des kurdes et contrôlées par le PYD (Parti de l’union démocratique), la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). De larges pans de la gauche occidentale se sont mobilisés autour de la question, ce qui mérite d’être largement salué.

Il est toutefois possible, dans une approche critique constructive, de discuter deux aspects de ces mobilisations pour nous permettre de revenir à l’enjeu central pour toute perspective d’autodétermination du peuple kurde en Syrie : la libération du peuple kurde est intiment lié à la victoire de la révolution syrienne.

Le premier élément sujet à caution est la volonté d’isoler la lutte pour l’autodétermination du peuple kurde de Syrie des dynamiques de la révolution syrienne, comme on a pu le voir dans l’appel international de solidarité avec Kobané lancé le 1er novembre et signé par nombre de personnalités de gauche, dont Noam Chomsky. [1] Dans un précédent article, [2] nous avons traité de l’erreur qui constituait à isoler la question kurde de la révolution syrienne. Nous ajouterons ici que nier ce lien, et nier la lutte du mouvement populaire syrien pour la liberté et la dignité, c’est faire le jeu des ennemis des populations tant syrienne que kurde : ni le régime Assad, ni les forces islamiques réactionnaires n’ont d’intérêt à voir grandir une expérience politique, syrienne ou kurde, qui sorte de leur programme autoritaire.

Cela ne signifie qu’il ne faut pas dénoncer les différentes sections de l’opposition syrienne qui nient toujours le droit à l’autodétermination du peuple kurde et tout particulièrement le rôle de la coalition nationale syrienne, soutenu par les Etats occidentaux, la Turquie, et les monarchies du Golfe, qui avait eu des attitudes ambigus lors des attaques des forces islamiques réactionnaires, dont Jabhat al Nusra, contre les régions kurdes dans le passé. Ces positions sont d’autant plus condamnables qu’il faut rappeler les décennies d’oppression politiques, sociales et culturelles du peuple kurde en Syrie et des politiques de colonisations ou d’arabisations des régions du nord est de la Syrie mis en place par le régime Assad. Les régions du nord est de la Syrie étaient également les plus pauvres et les moins fournis en services sociaux. Sans oublier le silence d’une grande partie de cette opposition durant l’intifada kurde en Syrie en 2004 et certains l’accusant même de servir des projets étrangers servant à affaiblir la Syrie. [3]

Second constat : la gauche occidentale porte un regard acritique sur le PKK et présente les régions autonomes du Rojava comme des exemples d’auto-organisation des masses populaires réalisés par le bas. Ceux deux éléments sont à nuancer fortement.

Tout d’abord, il faut relever les pratiques autoritaires du PKK et de sa branche syrienne, tant dans leur fonctionnement interne que face à d’autres acteurs politiques ou citoyens. L’autoritarisme du PYD s’est ainsi révélé dans sa répression et emprisonnement d’activistes ou dans la fermeture d’organisations ou institutions critiques, comme la radio indépendante Arta en février 2014. Les membres des partis d’oppositions kurdes syriens comme du parti Yekiti, le Parti Démocratique Kurde de Syrie et le parti Azadi ont particulièrement souffert de la répression des forces du PYD dans les régions autonomes du Rojava. [4]

De fait, il y a eu plusieurs mouvements de protestation contre les forces du PYD et leurs pratiques dans certaines villes du Rojava, comme Amouda et Derabissyat. Notamment fin juin 2013, ces deux villes ont connu des manifestations et autres activités de protestations pour dénoncer la répression et l’arrestation d’activistes révolutionnaires kurdes par l’YPG (Unités de protection du peuple), le bras armé du PYD. En juillet 2013, lors de nouvelles manifestations à Amouda, le PYD n’a pas hésité à tirer sur la foule, causant la mort de nombreux manifestants. [5] Par ailleurs, depuis octobre 2014, la conscription obligatoire, décrétée et mise en œuvre par le PYD dans les régions qu’il contrôle, a provoqué la fuite d’un nombre accru de jeunes gens appartenant à toutes les communautés, pour échapper à un emprisonnement pour refus de servir. Et les manifestations organisées ces dernières semaines par les habitants d’Amouda ont dénoncé à la fois l’enlèvement de femmes et leur réduction à l’esclavage par l’EI, et l’engagement forcé de jeunes filles au sein du PYD –avec le cas particulier de Hemri Aidi, une jeune fille de 15 ans enrôlée de force. [6] Il faut savoir que l’YPG n’a pas hésité à plusieurs reprises à enrôler des mineurs dans leurs rangs.

Nous sommes loin de la dynamique par le bas des conseils populaires formés en 2011 dans les régions syriennes « libérées », avec l’implication des forces populaires locales dans la gestion de divers secteurs de la société. [7] A contrario, les régions autonomes kurdes s’inscrivent davantage dans des dynamiques par en haut menées et contrôlées par le PYD. Les nombreux portraits du leader kurde du PKK Abdullah Öcalan qui tapissent les murs des centres des gouvernements du Rojava symbolisent cet état de fait.

Ces critiques signifient-elles pour autant qu’il faille tout rejeter ? Les trois régions du Rojava déploient une forme d’autonomie intéressante dans bien des domaines (droits des femmes, participation des minorités, laïcité des institutions…). Autant d’expériences d’autonomie destinées, qui plus est, à une nation kurde opprimée depuis plusieurs décennies.

C’est sans oublier aussi la méfiance affichée par le PKK et le PYD à des mouvement de contestation populaires dans le passé lorsque ces derniers n’étaient pas à leurs initiatives ou contrôlés par eux mêmes. Le PKK a par exemple eu une attitude passive lors de l’intifada kurde en Syrie en 2004, cherchant davantage à calmer les populations kurdes qui se soulevaient contre l’oppression du régime Assad, ou bien lors du début du processus révolutionnaire syrien en 2011. Il faut rappeler qu’actuellement dans les villes syriennes de Qamichli et Hassaké, le PKK coexiste avec les forces du régime syrien en ne cherchant pas à s’en débarrasser.

De même en 2013 durant les mobilisations populaires en Turquie à la suite de l’affaire du parc de Gezi, le PKK a soigneusement évité toute déclaration sur le soulèvement, tandis que de nombreux militants kurdes rejoignaient à titre individuel les manifestants à Istanbul et dans d’autres grandes villes, qui ont rejoint la rébellion. A Diyabarkir, la plus grande ville kurde en Turquie, le nombre de manifestations est resté relativement faible. Le PKK privilégiait à ce moment la consolidation et la continuation du processus de paix engagé avec le gouvernement de l’AKP en 2012 qui a été sévèrement remis en cause depuis au vu de la continuation de la répression du PKK et des militant-es kurdes en Turquie et de l’attitude du gouvernement turc face à Kobané.

Ces éléments démontrent la préférence du PKK à des changements contrôlés et par en haut, plutôt que par des changements par le bas et les mouvements populaires.

Cela ne change pas une position de principe de soutien au mouvement de libération nationale kurde dans sa lutte pour son autodétermination en Irak, Syrie, Turquie et Iran mérite, comme toutes les formes de luttes pour la libération et l’émancipation, un soutien inconditionnel. Une fois ce principe fondamental posé, il paraît nécessaire de porter un regard critique sur la façon dont ces mouvements sont dirigés. Et il serait temps qu’une certaine gauche occidentale se défasse d’une vision romantisée qui laisse dans l’ombre certains problèmes politiques du leadership.

Enfin, il nous semble nécessaire de répéter que tout possibilité d’auto-détermination du peuple kurde et d’amélioration des conditions de vie du peuple kurde comme des autres minorités ethniques ou religieuses en Syrie sont liées à l’approfondissement et la victoire du processus révolutionnaire syrien et de la réalisation de ses objectifs contre le régime Assad et des forces islamiques réactionnaires. Les régions autonomes de Rojava sont en effet une conséquence des mobilisations du mouvement populaire de masse par en bas des peuples de Syrie (Arabes, Kurdes et Assyriens ensemble) contre le régime criminel et autoritaire des Assad en mars 2011. La montée du soulèvement populaire à pousser le régime Assad à conclure un accord avec les forces armées du PYD en juillet 2012 dans lequel il se retirait de plusieurs régions à majorité kurde pour redéployer ses forces armées dans d’autres régions afin de les mater.

La défaite de la révolution syrienne et du mouvement populaire marquerait donc probablement la fin de l’expérience de Rojava et le retour à une ère d’oppression pour les kurdes de Syrie, comme pour le reste de la population syrienne. Le régime Assad ou les forces islamiques réactionnaires comme nous l’avons dit ne laisseraient aucune expérience politique qui sorte de leur programme autoritaire.

De même nous pouvons affirmer que toute autodétermination du peuple kurde en Iran et en Turquie passera par des luttes communes des classes populaires de ces pays contre les différentes fractions de la bourgeoisie qui dominent ces pays, qu’elles soient issues de l’islamisme réactionnaire et / ou du chauvinisme nationaliste. Nous voyons en effet comment l’accord conclu entre l’AKP et le PKK a volé en éclat depuis l’épisode de Kobani et avant à bien des égards, et la répression contre de nombreux activistes kurdes se poursuivant. De son côté, la région autonome du Kurdistan irakien dirigée par le féodal Mustapha Barzani poursuit à entretenir des bonnes relations avec les gouvernements iraniens et turcs, qui est premier investisseur étranger dans le Kurdistan iraquien, malgré les politiques oppressives de ces derniers contre les masses kurdes dans leur pays. Barzani a aussi poursuivi des politiques néolibérales et clientélistes profitant à sa clique tout en appauvrissant les classes populaires du Kurdistan irakien.

En conclusion, l’unité et l’indépendance des classes populaires et travailleuses sans distinction ethnique, communautaires et autres en Syrie et ailleurs est la seule voie pour la libération et l’émancipation de tous les peuples, dont les Kurdes.

Notes

[1] Voir excellent article de Pierre Rousset « 33565 », ESSF (article 33565) :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33565

[2] Disponible sur ESSF (article 33254) « Syrie/Kurdistan : Kobani, la question Kurde et la Révolution Syrienne, un destin commun » :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33254

[3] Disponible sur ESSF (article 31608) « On the Syrian Revolution and the Kurdish Issue » :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31608

[4] http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/syria0614_kurds_ForUpload.pdf

[5] Voir sur ESSF (article 33253) « Syria/Kurdistan : Statement by the Kurdish Youth Movement (TCK) about the latest events in the city of Amouda » :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article31608

[6] http://syriafreedomforever.wordpress.com/2015/01/01/pyd-احتجاجات-في-عامودا-ضدّ-حزب-الإتحاد-ال/

[7] Voir Retour sur les origines et le développement du processus révolutionnaire 1 et 2, disponible sur ESSF (articles 33125 et 33124) :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33125
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33124

* http://syriafreedomforever.wordpress.com/2014/04/07/on-the-syrian-revolution-and-the-kurdish-issue-an-interview-with-syrian-kurdish-activist-and-journalist-shiar-nayo/

Joseph Daher

Militant révolutionnaire syrien résidant actuellement en Suisse

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