Comment interpréter le retour de Castro sur la scène politique ?
Jeannette Habel : C’est un retour sans son uniforme de commandant en chef, sans ses habits de président. C’est plus une vigie qui commente la marche du monde et qui fait très attention de ne pas marcher sur les plates-bandes de son frère Raoul Castro, qui est le président actuel de Cuba.
Est-ce qu’il y a une répartition des rôles ? Castro a toujours cultivé sa légende, il vient de publier le premier tome de ses mémoires, La victoria estrategica, la victoire stratégique. Est-ce qu’il y a une répartition des rôles ? A Raoul Castro, le quotidien ? À Fidel Castro, l’international ?
Jeannette Habel : D’une certaine façon oui. Fidel Castro ne dirige pas la politique économique du pays et il n’intervient pour l’instant que sur la situation internationale et sur les grandes affaires mondiales et il suit avec une très grande attention l’évolution des rapports avec les États-Unis et avec l’administration Obama.
Ce retour intervient également dans un contexte de très grandes difficultés économiques à Cuba. Est-ce que Fidel Castro ne vient-il pas jouer les pompiers dans une certaine mesure ?
Jeannette Habel : En tous les cas, c’est vrai que le contexte est difficile. La situation économique et financière est critique et très grave. Elle est la conséquence de plusieurs facteurs, de la crise internationale bien sûr, de l’embargo américain, des cyclones mais aussi de l’inefficacité du système économique. Et la question qui est posée et c’est cela qui éclaire tout ce qui est en train de se passer à Cuba aujourd’hui c’est la question des réformes. Mais quelles réformes ? Alors que Raoul Castro, lui, a parlé de changements structurels nécessaires, il a dit qu’il fallait actualiser le système. Mais, là, tout cela va très lentement et pourquoi cela va lentement ? Parce que les réformes qui sont proposées par certains secteurs de l’appareil d’État et de la direction sont des réformes très difficiles. Raoul Castro lui-même a annoncé qu’il fallait libéraliser le travail indépendant et c’est la première fois en un demi-siècle que l’embauche de salariés serait autorisée. Autrement dit, aujourd’hui, on propose des mesures - elles ne sont pas encore appliquées - mais qui risquent de remettre en cause les conquêtes sociales de la révolution qui étaient très importantes. Il a par exemple dit qu’il y avait 1 300 000 travailleurs excédentaires dans le secteur d’État soit 20 % de la population active. Et qu’est-ce qu’on va faire de ces 1 300 000 travailleurs excédentaires ? Est-ce qu’on va les mettre au chômage avec des indemnités ? Est-ce qu’on va les affecter mais où ? C’est un premier problème de remise en cause de la justice sociale - très grave et deuxièmement la crainte aussi que ces réformes économiques, ces changements économiques provoquent aussi des changements politiques. Tout cela provoque des tensions qui de toute évidence expliquent la très grandes prudence de la direction. Pour certains, il faut faire ces réformes pour sauver la révolution et pour d’autres, ces réformes, ces changements vont provoquer la fin de la révolution d’où le dilemme actuel et les tensions.
Parmi ces mesures, ces réformes annoncées samedi dernier devant le parlement cubain, il y a les taxis qui pourront peut-être se mettre à leur compte demain, il y a les petites salons de coiffure également. On a donné également quelques lots de terre à certains paysans. On sait que sur toutes ces mesures Fidel Castro était totalement opposé. Est-ce qu’il a changé d’avis ?
Jeannette Habel : On ne sait pas justement. Mais ce qui est vrai c’est qu’il a toujours été très réticent voire opposé à toutes ces mesures parce qu’il considère que ces mesures vont accroître les inégalités, provoquer l’enrichissement de certaines couches sociales et donc avoir des conséquences politiques à terme. La révolution a toujours reposé pour lui sur deux piliers : la souveraineté, l’indépendance nationale et la justice sociale. Et c’est la justice sociale qui est en cause en l’occurrence Il n’exprime pas ses craintes, ses réticences publiquement. Il le dit implicitement d’une certaine façon peut-être là en réapparaissant peut-être comme le gardien de la révolution ou commandeur qui manifeste sa prudence mais il ne l’explique pas. Il ne les déclare pas. Il y a toujours eu un principe dans la direction cubaine : tout schisme, tout crise, toute rupture signifierait la fin de la révolution, la fin du régime en tout cas et c’est cela qui explique le partage des rôles entre les deux frères mais aussi son silence sur les questions intérieures.
En août, est-ce que de nouvelles mesures vont être annoncées ? On a l’impression qu’on garde le cap sur ce qui est politique. On libéralise certains secteurs. Est-ce qu’on se tourne vers un certain modèle à la chinoise à Cuba ?
Jeannette Habel : Non, ne peut pas parler de modèle à la chinoise parce que la disproportion est tellement énorme. Cuba est un pays de 11 millions et demi d’habitants ayant de très faibles ressources. C’est un pays qui a la différence de la Chine est une très proche des États-Unis, toujours sous embargo américain. Alors que les rapports entre la Chine et les États-Unis sont des rapports plutôt bons en général. Alors si on dit à la chinoise, c’est uniquement dans le sens très général de la préservation de système politique et de libéralisation l’économie et de la privatisation d’une certaine manière, peut-être. C’est dans ce sens que semble aller les réformes. Mais je le répète, les débats sont très grands et il y a manifestement des positions très différentes et qui ne sont pas complètement tranchées. Et les mesures qui ont été annoncées par Raoul Castro jusqu’à maintenant sont à la fois très importantes et il ne s’agit pas d’une ouverture tout azimut de l’économie et cependant ce sont des mesures nouvelles et considérées comme très dangereuses par certains partisans du régime.
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