« Je vais traiter de la crise du mouvement des salarié·e·s, qui recouvre en partie la crise de la gauche, et prendre acte sobrement de la portée de la défaite actuelle du monde du travail pour essayer de répondre à la question : que faut-il faire aujourd’hui ? Si l’on considère le quart de siècle qui précède la crise actuelle, il est frappant de constater que, tandis que le capital se restructurait, amputait les acquis des travailleurs et travailleuses, affaiblissait leurs organisations et les amenait à réduire leurs attentes, la résistance s’est montrée relativement faible. Il y a eu des luttes, mais sporadiques, isolées, qui n’étaient pas à la hauteur des attaques subies.
Reconnaître notre état de faiblesse
Lorsque la dernière crise est arrivée, on aurait pu croire qu’elle serait l’occasion d’un tournant, qu’il serait possible de délégitimer plus fortement le capital financier. Or en réalité, le mouvement ouvrier est plus que jamais sur la défensive. Le néolibéralisme prolonge l’offensive contre le secteur privé en visant le secteur public, pour ne pas laisser un secteur s’en tirer mieux que les autres et approfondir la défaite des travailleurs et travailleuses dans leur ensemble. L’Etat accompagne le mouvement en acceptant tout d’abord des taux de chômage élevés, comme stratégie pour affaiblir les salarié·e·s qui, dans les années 1950-1970, avaient encore une certaine force économique en termes de plein emploi et de confiance en soi.
Ces attaques impliquent la restructuration de communautés entières, ce qui est très important. Les fermetures d’entreprises au sein d’une communauté, même si elles sont compensées par la création d’emplois ailleurs, n’empêchent pas la destruction de ces communautés, au sein desquelles la conscience de classe s’est développée sur plusieurs générations. Et cette conscience est très difficile à reconstruire rapidement au sein de nouvelles communautés.
En fait, il serait faux de n’évoquer qu’une attaque contre le monde du travail. En réalité, celui-ci a aussi été intégré au néolibéralisme d’une façon nouvelle par rapport à l’époque de l’Etat-providence keynésien. Pour comprendre cela, il faut réaliser que les gens trouvent toujours un moyen de survivre, et qu’en l’absence de solutions collectives (de gauche), ils cherchent des solutions individuelles pour répondre à leurs problèmes. Durant les années 80 et 90, les familles ont augmenté leur temps de travail, en particulier les femmes ? ; elles ont observé plus attentivement les mouvements de la bourse en rapport avec leurs fonds de pension ? ; elles ont cessé de considérer leurs maisons comme des maisons, considérant qu’il s’agissait d’un investissement ? ; elles ont eu de plus en plus recours à l’endettement, etc.
Du début des années 80 à la fin des années 90, la consommation a ainsi crû fortement, d’environ 80 % (!), en dépit d’importantes inégalités, si bien que l’intégration des travailleurs et travailleuses au capitalisme néolibéral s’appuyait encore sur une base matérielle, même si l’accès à un consumérisme effréné reposait de plus en plus sur l’endettement, la débrouille individuelle et l’assimilation de baisses d’impôts à des hausses de salaire. Mais il y a une énorme différence entre accéder à la consommation en luttant, par des piquets de grève et des manifestations de rue, et le faire en s’endettant, en travaillant plus ou en tablant sur des baisses d’impôts. Il en est résulté une véritable atrophie des capacités collectives, de la sensibilité collective. Plus grave encore, par leur façon même de répondre à la crise, les salarié·e·s ont pavé la voie à la reproduction du capitalisme néolibéral.
En même temps, la question de la compétition a aussi touché les syndicats comme institutions. En effet, la compétition affecte les travailleurs et les capitalistes de façon très différente. La compétition peut affaiblir des capitalistes, voir en détruire certains, mais elle renforce les capitalistes en tant que classe. Les plus forts, les plus productifs gagnent la partie et la classe capitaliste se renforce. Mais la compétition parmi les travailleurs et travailleuses les affaiblit, parce qu’elle leur fait perdre leur principal atout dans la lutte : la solidarité. Ils s’identifient avec leur entreprise pour la rendre plus compétitive et, dans ce but, considèrent que le licenciement d’autres salarié·e·s peut être justifié, pourvu que leur emploi soit ainsi sauvé.
Parallèlement, les syndicats en tant qu’institutions commencent aussi à considérer la compétition comme un but et non plus comme une contrainte du monde réel avec laquelle il faut jouer. Ainsi, les syndicats commencent à vendre l’objectif de la compétitivité à leurs membres. Finalement, l’impact du néolibéralisme, des restructurations et du renforcement de la compétition conduit à des divisions de plus en plus profondes au sein de la classe travailleuse. Ce ne sont pas seulement les inégalités entre le 1 % et les 99 % qui se sont creusées durant les années 90, mais aussi celles entre les travailleurs et travailleuses exclus des salaires décents et des syndicats d’un côté, et les membres des syndicats de l’autre, ces derniers étant de plus en plus isolés du reste de la population, nourrissant en retour des ressentiments contre les bénéficiaires de l’aide sociale, soutenus par leurs impôts.
Dépasser les limites des syndicats
Derrière ces évolutions, il y a quelque chose d’encore plus fondamental. En réalité, les syndicats organisent des segments de la classe travailleuse, ils représentent certains groupes de travailleurs et travailleuses dont ils défendent les intérêts ? ; ils sont issus de la classe salariée, mais ne sont pas des organisations de cette classe dans son ensemble. Le fait que les syndicats n’organisent que des segments de la classe travailleuse n’était pas un gros problème dans les années 50 et 60. Ils pouvaient faire des gains et ces gains diffusaient dans le reste du monde du travail. Ce n’est plus vrai aujourd’hui : cette ère est terminée. Les syndicats, tels qu’ils sont structurés, ne peuvent même plus représenter leurs membres sur un mode défensif, ce qui met en cause leur rôle historique.
Que signifierait leur renouveau ?
Si l’on réfléchit aux années 30, soit à la dernière fois que l’on a connu ce type de crise, le syndicalisme de métier avait atteint ses limites, et l’on a vu se développer le syndicalisme d’industrie avec de nouvelles tactiques, comme les occupations d’entreprises, de nouvelles structures, comme le système de représentation démocratique sur le lieu de travail (democratic steward system). D’où la question : que pourrait-il sortir de la crise actuelle, comparable à de telles mutations ?
Je vais citer un exemple que nous expérimentons aujourd’hui à Toronto. Le militant syndical états-unien Bill Fletcher (voir encart) a proposé de développer des assemblées régionales de travailleurs, d’aller au-delà des syndicats pour intervenir sur des problèmes de classe, au niveau des quartiers. Lorsque la crise a surgi, en 2008, un groupe parmi nous a réalisé que la dernière chose dont nous avions besoin, c’était d’une nouvelle manifestation. Nous devions faire face à notre véritable faiblesse et décider que faire pour nous renforcer. Nous avons donc opté pour lancer de telles assemblées à Toronto en espérant qu’elles essaimeraient ailleurs – on n’allait pas faire la révolution dans une seule ville. Ce ne serait pas une coalition : les coalitions ont leur fonction, elles sont importantes, mais les mouvements eux-mêmes sont si faibles, les syndicats sont si limités, que le fait de les mettre ensemble ne nous renforce pas tant que ça. En réalité, il se forme encore des liens pragmatiques entre les gens autour de questions spécifiques, que nous entendions toucher en développant un nouveau niveau politique qui fait appel à l’engagement individuel.
Partir de préoccupations de classe au sens large
Ce nouveau niveau politique part de préoccupations de classe au sens large : il ne concerne pas seulement les travailleurs et travailleuses, mais aussi les chômeurs et chômeuses et les pauvres, et s’intéresse à toutes sortes de questions qui affectent les travailleurs et travailleuses dans de multiples dimensions de leur vie. Et nous sommes arrivés pragmatiquement au consensus suivant : ces regroupements ont une base de classe ? ; ils sont anticapitalistes, au sens où les gens qui s’y impliquent cherchent des réponses en rompant avec la logique du système ? ; ils sont militants, mais s’efforcent de développer un cadre collectif au sein duquel les participant·e·s peuvent développer les aptitudes organisationnelles que nous avons largement perdues au cours de ce dernier quart de siècle, mais aussi des aptitudes intellectuelles. Il s’agit par là de comprendre comment le capitalisme fonctionne et de développer des stratégies pour s’y opposer.
L’une des choses que nous voulions obtenir, c’est le développement de réseaux d’activistes autour des lieux de travail, non pas tant pour changer les directions syndicales locales – bien que cela puisse s’avérer nécessaire au cours de la lutte – mais pour développer la conscience d’appartenir à une classe qui va au-delà de l’entreprise ou de la section syndicale locale. Par exemple, en faisant de la formation dans les rangs syndicaux, en tissant des liens avec les communautés environnantes, en se coordonnant avec des groupes de solidarité rattachés à d’autres sections syndicales locales. Le mouvement des assemblées dont je viens de parler devait permettre de faciliter de telles démarches, en offrant à chacun·e la formation nécessaire (d’où viennent les déficits ? Quels problèmes se posent au travail ? Etc.), la logistique, mais aussi les lieux d’échange et de discussion pour apprendre les un·e·s des autres.
Une chose est de développer de nouvelles organisations, une autre est de décider que faire en priorité avec elles. Nous nous sommes donc demandé quel genre de revendications mettre en avant qui puissent être porteuses de dynamiques fortes, qui puissent conduire un plus grand nombre de gens à se poser le type de questions que les militants socialistes se posent. Notre conviction, c’est qu’un changement dans les syndicats ne peut pas surgir de la seule dynamique interne aux syndicats. La direction des syndicats, qui a résisté à toute ouverture dans le passé, considère aujourd’hui tout changement comme plus compliqué et déstabilisant encore. En réalité, un grand nombre de dirigeant·e·s syndicaux – pas tous – se sont résignés à nourrir de très faibles prétentions. On peut ainsi blâmer l’Etat, la mondialisation, le néolibéralisme, faire la grève et reprendre le travail sans rien obtenir, et dire que ce n’est pas de notre faute.
Aussi longtemps que les militant·e·s de base acceptent cet état de choses, rien n’est possible. Or, il devient de plus en plus difficile pour les travailleurs et travailleuses de base, qui sont surchargés de travail, manquent de temps et sont isolés, de mettre en cause leurs dirigeant·e·s. Ils résistent, protestent, mais ne parviennent pas à faire face de façon articulée et durable à leurs directions, notamment lorsque celles-ci réagissent avec brutalité. Ceci est d’autant plus difficile qu’ils font face à des problèmes de survie au jour le jour extrêmement ardus. De surcroît, leur expérience quotidienne mine leur confiance en eux, puisqu’ils vendent leur force de travail à quelqu’un qui les contrôle, qui les organise, qui dispose de toutes les connexions avec le vaste monde, alors qu’ils ne sont « que » des travailleurs.
Dans tous les cas, avec ce mouvement des assemblées, dont j’ai parlé plus haut, il s’agit de former une gauche qui soit capable de jouer un rôle dans et en dehors des syndicats, qui soit capable d’inciter les syndicats à faire un certain nombre de choses, c’est-à-dire d’enclencher une dynamique capable de les amener à changer. Il ne s’agit pas de remplacer les syndicats ou de considérer qu’ils puissent être des organisations révolutionnaires. Il s’agit d’imaginer des syndicats qui puissent stimuler des formes de politique de classe, donnant plus d’espace à des expériences qui les transforment en véritables écoles du socialisme.
Quatre idées
J’aimerais développer quatre idées pour tenter de répondre à ces défis :
1 Les syndicats des services publics ne pourront survivre s’ils ne se conçoivent pas comme les défenseurs en première ligne des services publics. Bien des dirigeant·e·s syndicaux seront d’accord avec ça. Pourtant, il ne suffit pas d’adopter des résolutions qui affirment que l’on défend le service public. Cela signifie une modification du fonctionnement même des syndicats : où investit-on notre argent ? De quelles structures avons-nous besoin ? Comment les membres peuvent-ils interagir avec le syndicat ? Comment développer des liens avec la population ? Comment former les permanents ? Comment repenser les négociations collectives ? Il faut avoir le courage d’avouer que les syndicats ne sont pas en position de gagner quoi que ce soit sur les salaires et les conditions de travail sans reconstituer d’abord une base plus large. Pourquoi ne pas mettre les services publics et les services sociaux à l’agenda des négociations collectives, comme une priorité, et non comme autant d’effets d’annonce ?
Cela pose le problème de la tactique. Si l’on fait grève et qu’on prive la population de certains services, comment défendre de façon crédible qu’on est en première ligne dans la défense des services publics ? Il faut donc poser les questions tactiques en termes de classe. Par exemple, lors d’une grève des éboueurs, les poubelles s’entassent dans les rues et tout le monde devient fou parce que ça pue. Pourquoi ne pas les entasser sur les places de parking du quartier des affaires ? Il faut bien faire un lien entre la crise et le secteur financier ! L’idée a été avancée par des travailleurs, mais elle n’a pas été retenue. C’était au-delà de ce que pouvaient imaginer les directions syndicales.
Dans les années 90, l’Alliance du service public, le syndicat canadien des travailleuses et travailleurs sociaux qui s’occupent des programmes de chômage, a répondu à une consigne des autorités visant à exclure une partie des ayants droit en aidant ceux-ci à ne pas tomber dans les pièges du questionnaire qui leur était distribué. Ces travailleurs et travailleuses ne pouvant faire cela directement, sous peine d’être licenciés, ce sont donc les fonctionnaires syndicaux qui distribuaient ces recommandations. Dans les années 90 également, les travailleurs et travailleuses canadiens de la poste ont continué à distribuer les mandats des retraités et les chèques d’allocations sociales, ce qui les a rendus très populaires. Pour réagir, le gouvernement leur a retiré cette tâche pour la confier à des grandes surfaces commerciales. Et au lieu d’organiser des piquets devant ces grandes surfaces, les facteurs sont allés devant ces magasins en expliquant à la population qu’ils auraient bien voulu continuer à délivrer ces mandats à domicile, mais que le gouvernement avait décidé de leur retirer cette charge…
La récente lutte du syndicat des enseignant·e·s de Chicago est une importante source d’inspiration à ce propos. Ils ont développé une mobilisation avec la volonté de mettre au centre la défense de l’éducation pour tous en développant des comités dans chaque école. Pour cela, ils ont mis sur le terrain quarante permanents à plein temps pour organiser la lutte. Mais la question demeure, au-delà d’une mobilisation comme celle-là, comment faire connaître cette expérience dans le reste des syndicats, alors qu’il faut combattre en même temps ses propres directions ? Comment aller au-delà de l’éducation et s’inspirer de cette expérience dans d’autres domaines ? Pour cela, il faut une organisation.
2 La question de l’emploi est absolument centrale. Les syndicats s’occupent traditionnellement du prix de vente de la force de travail et non de l’emploi. Or, la question la plus importante pour les travailleurs et travailleuses actuellement, c’est d’avoir un emploi. C’est pourquoi, si les syndicats n’ont rien à dire sur la question de l’emploi, ils n’ont rien à dire sur la principale préoccupation de leurs membres. Or, la question de la promotion de l’emploi est essentielle, elle divise la classe dominante : une politique de relance peut-elle permettre de rompre avec l’austérité ? Mais quelle politique de relance ? Faut-il agir en baissant les impôts ou en augmentant les dépenses publiques ? Faut-il dépenser plus pour l’armée ou pour le logement social ?
Cependant, la problématique de la relance comme réponse à long terme à la question de l’emploi est dépassée. Nous ne sommes plus dans l’ère keynésienne. Au début de la crise, une partie des entreprises étaient intéressées à maintenir une forme de partenariat social grâce à certaines politiques de relance, aujourd’hui, elles ciblent de plus en plus la réduction des coûts du travail en réduisant la masse salariale et en dégradant les conditions de travail. On ne peut donc se confronter sérieusement à la question de l’emploi sans mettre en cause le pouvoir même des entreprises. Et une façon de répondre à cette exigence, qui est apparue dans les négociations de l’automobile, c’est qu’au lieu de réclamer que GM et Chrysler reçoivent des subventions pour être remis sur les rails afin d’aménager ce système, il faudrait utiliser ces moyens pour reconvertir les entreprises condamnées à fermer.
Des centaines d’entreprises – notamment dans les pièces détachées – sont en train de fermer aux Etats-Unis. Or, ces entreprises disposent d’équipements, de compétences, qui pourraient être socialement utiles, en particulier dans le domaine de l’environnement. Si l’on prend au sérieux cette question, comme l’une des plus importantes de ce siècle, pourquoi ne pas utiliser ces capacités en friche pour développer les équipements nécessaires dans le domaine des infrastructures, des transports, du logement, etc ? Et même si nous n’avons pas la force de gagner aujourd’hui, il est indispensable de commencer à mettre ces questions à l’ordre du jour publiquement pour changer la nature de la lutte. Il ne s’agit pas de sauver GM, mais de sauver nos capacités productives ? ; il ne s’agit pas de sauver les profits de l’industrie automobile, mais de produire pour répondre aux besoins sociaux. Pour cela, il faut arrêter de se battre pour « notre » compétitivité aux dépens d’autres travailleurs et travailleuses, et commencer à défendre une planification démocratique pour produire des biens utiles.
3 Afin de développer les organisations existantes, en particulier dans les secteurs inorganisés du salariat, les syndicats doivent penser en termes de classe, non en termes de membres ou de cotisations. Sans cela, il est impossible d’être assez ambitieux pour concevoir l’organisation de nouveaux secteurs et de nouvelles couches de travailleurs et travailleuses. Ainsi, les syndicats devraient coopérer pour développer la force d’ensemble de la classe des salarié·e·s, alors que la course aux membres et aux cotisations les empêche précisément de coopérer.
De la même manière, les syndicats ne parviennent pas à maintenir des liens avec leurs membres qui ont été licenciés. Vous ne pouvez pas leur faire une grande confiance dans leur capacité d’organiser des travailleurs et travailleuses qu’ils n’ont jamais rencontrés. Mais leurs membres au chômage sont là, ils commencent même à développer des ressentiments contre les syndicats, auxquels ils ont cotisé et qui ne font rien pour eux. Pourquoi les syndicats ne mobilisent-ils pas ces travailleurs et travailleuses avec lesquels ils ont encore des contacts ? Ils disposent de locaux pour les accueillir, pour les organiser, notamment autour des projets que j’ai évoqués plus haut.
4 La question du temps vécu par les travailleurs et travailleuses doit être prise en compte de façon primordiale. Il ne sera jamais possible de changer la société si nous ne disposons pas du temps nécessaire pour le faire. Et les gens n’ont pas le temps. Les salarié·e·s n’ont pas le temps de lire, de penser, de participer à des réunions, de réfléchir à la stratégie ; les hommes ne peuvent plus dire à leurs femmes de s’occuper de tout pour qu’ils puissent s’occuper des « choses importantes » ? ; sans parler des femmes, qui font d’interminables doubles journées de travail... Il faut répondre à cela. Qu’est-ce que cela signifie réellement pour le développement d’une large base démocratique en faveur d’une révolution sociale ?
Et il ne s’agit pas seulement de la part du temps que l’on peut consacrer à lutter, mais aussi de la perte de contrôle sur son propre temps « libre », face à l’offensive de la flexibilité des horaires de travail. Comment s’organiser et se battre lorsqu’on ne cesse de courir entre deux ou trois jobs ? Comment construire des collectifs et lutter ensemble lorsqu’on subit des horaires de travail fractionnés en plusieurs blocs dans la journée (split-shift) ? Il ne s’agit donc pas seulement de réduire le temps de travail, mais de résister à la flexibilité.
Pendant des années, le capitalisme néolibéral s’est légitimé en permettant aux gens de consommer toujours plus. Maintenant, le système se reproduit sur un mode quasi féodal. On peut ne pas l’aimer, mais c’est comme ça. Le seul moyen de dépasser ce féodalisme passe par de petites victoires sur lesquelles il soit possible de construire. Mais les petites victoires ne sont pas suffisantes, si elles ne permettent pas d’engager d’autres batailles. Pour dépasser le féodalisme au sein même de la classe ouvrière, il faut aussi renforcer ses organisations. Les gens doivent pouvoir disposer de structures au travers desquelles ils peuvent agir. Sans de telles structures, même si notre vision est bonne, même si les gens saisissent abstraitement ce que nous disons, cela ne peut pas durer s’ils ne sentent pas concrètement qu’ils disposent d’organisations pour agir. ? »
Notes
* Cahier émancipationS n° 219 publié par « solidaritéS » (06/12/2012) : http://www.solidarites.ch/journal/#...
* Cette contribution a été transcrite et traduite de l’anglais par notre rédaction, qui a aussi rédigé les intertitres, à partir de l’intervention orale présentée par son auteur dans la séance plénière de la conférence d’Historical Materialism à Londres, le samedi 10 novembre dernier.
La revue annuelle Socialist Register publie un long papier du même auteur dans son édition 2013, qui développe le sujet de façon plus approfondie sous le titre : « Rethinking Unions, Registering Socialism ».
Sam Gindin est un ancien directeur de recherche du syndicat canadien de l’automobile. Il enseigne à l’Université de York, à Toronto.
Mis en ligne le 12 décembre 2012