Michèle Sibony – Quels ont été les faits marquants durant la dernière période de la campagne qui peuvent expliquer ces résultats ?
Eyal Sivan – Nous étions dans une situation où tous les sondages donnaient à égalité les deux grands partis : le Likoud parti de droite conduit par Benyamin Netanyahu et Le Camp Sioniste, bloc centriste rassemblant les travaillistes conduits par Isaac Herzog et Le Mouvement (Hatnuah ) conduit par Tzipi Livni. Cette dernière, originaire du Likoud, puis alliée avec Ariel Sharon dans Kadimah a été ministre des affaires étrangères dans le gouvernement Olmert pendant la guerre du Liban 2006 et l’attaque de Gaza en 2009.
La campagne a été menée en général sur des questions économiques intérieures, en premier lieu la crise du logement, et en second le coût de la vie ou le pouvoir d’achat.
Dans cette dernière semaine, et dans les dernières 48h où la publication de sondages est interdite, on a assisté à une polarisation sur des thèmes ethniques : une voix juive orientale marquée par le slogan de dernière minute du parti orthodoxe séfarade de Arieh Derhi : « un oriental vote pour un oriental ». Un autre élément ethnique important et implicite se dissimule dans le nom choisi par Livni Herzog : le camp sioniste, et leur argumentaire : nous sommes le camp sioniste puisque nous sommes pour un État juif et démocratique, alors que la droite est le camp antisioniste puisqu’elle nous amène droit vers un état binational.
Question ethnique donc du modus vivendi avec les arabes, vivre séparément ou avec eux. Des affiches du mouvement de soutien au Camp Sioniste financé en grande partie par des mouvements centre gauche américain dont J street, ont couvert le pays : sous les photos de Netanyahu Benett le slogan : « avec un gouvernement Bibi Benett on reste coincés avec les arabes. »
Les 4 listes arabes se sont alliées dans La Liste Commune qui présente aussi trois candidats juifs. Une loi votée à l’initiative de Liberman pour se débarrasser des députés arabes avait relevé le seuil d’entrée à 3,25 % des voix c’est à dire 4 députés.
La gauche sioniste Meretz devant la volonté de plusieurs partis de mener la campagne contre Netanyahu, et l’ hémorragie de ses voix vers Herzog Livni, a modifié sa campagne en dernière minute : « sauver la vraie gauche ».
Sauver Meretz donc. Cette campagne conduite sur le mode du « au secours » a été appelée en Israël la campagne « gevalt » qui signifie en yiddish catastrophe ou malheur. Le Foyer Juif parti de Benett sent lui une hémorragie de ses voix vers le likoud. La majorité des partis va mener une campagne visant Netanyahu personnellement.
Les annonces de dernière minute qui ont pu modifier la donne ?
1 –Netanyahu a fait campagne en alertant : attention le centre de Herzog Livni va faire alliance avec les Arabes et vendre Israël. C’est le contenu de sa déclaration lors de son dernier meeting électoral, dans le rassemblement du bloc national ( la droite) place Rabin à Tel Aviv, organisé par Daniela Weiss leader des colons proche de l’extrême droite ; il appelle dans ce meeting à sauver la terre d’Israël, devant une présence massive des colons.
Il fait ainsi un virage vers l’extrême droite en baissant le masque et annonce clairement qu’ « il n’y aura pas d’état palestinien, et plus aucun retrait des territoires occupés, » mais en même temps il amorce un virage social en présentant ses excuses au peuple pour avoir négligé les questions du logement et du coût de la vie.
2 – A la dernière minute, Tsippi Livni 48h avant les élections, renonce à l’accord pris avec Herzog de rotation du poste de premier ministre en cas de victoire.
Pourquoi ?
Elle ouvre en se désistant ainsi la voie à la possibilité d’un gouvernement d’union nationale, qui permettrait une rotation Herzog Netanyahu. Les derniers sondages donnent en effet une égalité réelle entre Likoud et le Camp Sioniste.
Le président de l’état Reuven Rivlin chargé de désigner la liste qui constituera une coalition, a déclaré qu’en vue des sondages et des sentiments du peuple il convoquerait les chefs des deux grands partis pour les convaincre de la nécessité d’une coalition d’union nationale.
Autre événements qui entrent en compte : le meeting de soutien au bloc centre gauche, qui va du Meretz à Herzog Livni, qui s’est déroulé sans les candidats , précèdant d’une semaine celui de la droite, avec des intellectuels artistes, généraux .. ; ce meeting a été ouvert par l’ancien chef du mossad Dagan, qui verse littéralement des larmes en déclarant que Netanyahu nous mène à la catastrophe.
Le peintre israélien Yair Garbuz identifié Meretz y déclare : ce pays est aux mains de ceux qui se prosternent sur des tombeaux, et embrassent des grigris, visant expressément le judaïsme oriental. L’écrivain dramaturge Yoshua Sobol, Meretz aussi, qualifie les juifs orientaux de stupides embrasseurs de mezzouza . Il a aussi comparé le Foyer Juif de Benett (dont le slogan est « on arrête de s’excuser ») au parti nazi allemand.
Qu’est ce que ces éléments entraînent au niveau des votes ?
Alors que les juifs orientaux composent la majorité ethnique et les couches sociales les plus défavorisées chez les juifs, ces déclarations éloignent les électeurs des questions économiques et sociales cruciales pour eux, elles les poussent à un « retour à la maison », c’est à dire vers le Likoud malgré le fait que ce soit un parti libéral, mais le Likoud s’est toujours positionné comme le représentant de l’opposition à l ‘hégémonie travailliste ashkénaze.
Netanyahu bénéficie à la fois des voix d’extrême droite colons au nom du sauvetage de la terre d’Israël, ce qui explique la chute du Foyer Juif parti d’extrême droite colon, et la chute de Liberman et de son parti Israel Notre Maison ; et aussi l’échec total d’un petit parti d’extrême droite religieux Ensemble (yahad) Et le relatif tassement de Shass (de 12 à 8) parti qui se définit comme social -oriental.
Netanyahu a donc bénéficié à la fois d’un recentrage des juifs orientaux et des mouvements colons et d’extrême droite. (son discours pas de retrait etc… lui a permis de chasser sur les terres d’extrême droite) il a d’ailleurs reçu 10 000 voix de plus chez les colons que lors des dernières élections.
Mais c’est peut être la déclaration de B. Netanyahu le jour même des élections 17 mars en fin de matinée où il lance une vidéo sur les réseaux sociaux, où il alerte « des hordes d’arabes sont conduites en ce moment massivement aux urnes dans des cars financés par des ONG étrangères d’extrêmes gauche ». Cette déclaration va renforcer à la fois le vote arabe (la participation augmente nettement après , (alors que dans la matinée on ne voit pas d’augmentation) en tout plus 15% par rapport aux dernières élections : ils gagnent 3 députés de plus que les listes arabes du parlement sortant. Cette alerte renforce aussi le vote Likud .
Et les nouveaux partis ?
Dans ces élections comme chaque fois, un nouveau parti nouveau apparaît, lors des dernières c’était Yesh Atid de Yaïr Lapid (il y a un avenir), cette fois c’est Coulanou (nous tous) de Moshe Kahlon. Kahlon figure juive orientale ancien du Likud et ancien ministre, a mené une campagne exclusivement sur des thèmes sociaux et économiques et déclare qu’il rejoindra tout gouvernement qui inscrira sur son drapeau la question sociale comme question majeure israélienne. Kahlon obtient 10 députés, et bénéficie surtout des électeurs traditionnels du Likoud déçus par l’utralibéralisme de Netanyahu. Ce sont des voix que Natanyahu va retrouver dans la coalition.
On peut considérer qu’aujourd’hui les électeurs du Likoud représentent les trente députés que B. Netanyahu vient d’obtenir, plus les 10 de Kahlon, et c’est la plus grande victoire des électeurs du Likoud depuis la création de l’État.
Ce qui est important ce n’est pas qui est le gagnant des élections en termes de députés entrants, mais quels blocs sont possibles (aux dernières élections Livni de Qadimah avait gagné, mais elle n’avait pu constituer de coalition) . Aujourd’hui avec ses 30 députés Likoud, les 8 du Foyer juif (et Benett a confirmé sont accord pour une coalition dès le départ de la campagne), les six députés de Liberman (Israël notre maison), les 10 de Coulanou Kahlon et les 7 de Shass , qu’ Arieh Dérhi a déjà promis à Netanyahu , ce dernier a déjà une majorité. Il faut y ajouter les 6 députés du judaïsme de la Thora parti orthodoxe ashkenaze intérressé principalesment par les questions économiques . La coalition gouvernementale ainsi formée serait de 67 députés ce qui lui donne la majorité absolue nécessaire .
Quelques notes particulières ?
• On peut relever le commentaire de Haaretz : Netanyahu a réussi car il a cessé de se déguiser en homme du centre, cela en dit d’ailleurs plus sur Haaretz que sur Netanyahu lui même.
• Meretz a reçu mille voix des colons.. laïques sans doute.
• Un colon a déclaré lors d’un interview télévisé qu’il voterait pour la Liste Commune parce qu’il était pour un état binational.
• La première déclaration matinale de Netanyahu devant le mur des lamentations inverse l’ordre de la phrase prononcée lors de la soirée électorale. Il avait déclaré : je vais veiller à la sécurité et au bien être social et c’est devenu : je vais veiller au bien être social et à la sécurité. C’est un signal envoyé à Kahlon et Dérhi.
Une caractéristique de la soirée électorale, sur les 3 chaînes de télévision israéliennes, depuis le début à 20h début jusqu’à 3 h du matin où les premiers résultats tombent : personne ne prononce une seule fois le nom de la Liste Commune, ni ne prend acte du fait que les Arabes à travers cette Liste Commune représentent le 3e parti du parlement, ils ne sont mentionnés à aucun moment comme un des partis, les résultats s’affichent mais personne n’en dit mot ou commentaire. Même au moment ou les premiers résultats donnent l’égalité des blocs personne ne mentionne même l’idée qu’une alliance arabe ou au moins un soutien au bloc Herzog Livni donnerait une coalition viable. En d’autres termes ils sont exclus de la politique israélienne officielle .
Sur le site Electronic intifada, Abunimah titre ce soir « pourquoi je suis soulagé par la victoire de Netanyahu ».. il explique « Herzog et Livni auraient mené à nouveau les Palestiniens à des négociations stériles tout en continuant la colonisation. »
* « « Après les élections israéliennes » » :
http://www.agencemediapalestine.fr/blog/2015/03/19/apres-les-elections-israeliennes-commentaires-et-analyse-deyal-sivan/