Alors que la pandémie a rendu visibles les conséquences dramatiques du mal-logement, que la pénurie de logements s’incruste et qu’une deuxième vague de la COVID-19 risque d’aggraver les choses, il est temps pour les différents paliers de gouvernements de faire du logement social une priorité immédiate. Les campements temporaires qui se multiplient à Montréal, tout comme le nombre de ménages locataires n’ayant pas trouvé un nouveau bail à signer le 1er juillet à Montréal, celui de ceux étant dans la même situation 2 mois plus tard, sont autant de signaux d’alarme que les gouvernements ne peuvent ignorer plus longtemps.
Depuis plusieurs années déjà, le FRAPRU parle de crise du logement pour faire écho à la réalité d’un trop grand nombre de ménages locataires qui consacrent une part disproportionnée de leur revenu pour se loger ou plus largement qui ont des besoins impérieux de logement - vivant dans un logement trop cher, trop petit ou en mauvais état. 100 000 ménages locataires montréalais étaient dans cette situation avant la pandémie dont il est certain que les conséquences augmenteront assurément leur nombre. Dans les dernières semaines, cet état de crise a enfin été reconnu. Montréal traverse la pire pénurie de logements locatifs en 15 ans. Le taux d’inoccupation sur le territoire de la Ville de Montréal est de 1,6 % , bien en deçà du taux d’équilibre de 3 % reconnu par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). Pour les grands logements familiaux, ce taux descend à 0,8 % à l’échelle de la Ville et frôle carrément le zéro pour plusieurs quartiers centraux tels que le Sud-Ouest et Verdun (0,1 %), Hochelaga-Maisonneuve (0,1 %), Rosemont Petite-Patrie (0,2 %), ou encore le Plateau Mont-Royal (0,3 %). L’extérieur des quartiers centraux ne fait pas meilleure figure, le taux d’inoccupation des logements familiaux étant de 0,1 % à Montréal-Nord et de 0 % à Anjou et Saint-Léonard.
La construction de logements locatifs a battu des records dans les dernières années, mais les promoteurs immobiliers construisent des condos et des logements trop chers et trop petits pour les familles. Le coût du logement ne cesse d’augmenter. De plus, la gentrification et la spéculation immobilière, en plus d’avoir un effet inflationniste sur le prix des loyers, ont contribué à la perte de logements qui étaient encore abordables. Dans ce contexte, les stratagèmes utilisés pour se débarrasser des locataires les moins « rentables », comme les rénovictions, ont pris de l’ampleur. De plus, en l’absence de contrôle obligatoire des loyers, la rareté contribue à faire monter en flèche le prix des logements. Ce contexte laisse place à des pratiques abusives et discriminatoires de propriétaires, qui ont le gros bout du bâton.
Les locataires forcés de déménager se butent carrément à l’absence de logements répondant à leur besoin. En raison de l’insuffisance de logements sociaux sous différentes formes (HLM, coopératives, organismes sans but lucratif d’habitation), ils et elles se retrouvent contraints de quitter leurs milieux de vie et leurs réseaux d’entraide communautaire, le plus souvent loin des services publics. Se sont de véritables drames qui se jouent pour les personnes concernées qui vivent cette situation comme un déracinement de leurs milieux de vie. D’autres se retrouvent dans des logements insalubres ou dans des situations de très grande précarité. Tous ces obstacles dans l’accès à un logement décent, à prix convenable, mènent de plus en plus de gens à la rue. Depuis plusieurs mois, avant même la pandémie, les refuges pour personnes itinérantes faisaient état de débordements tandis que les maisons de transition devaient aussi déjà garder des femmes victimes de violence conjugale plus longtemps que prévu, parce qu’elles ne trouvent pas de logement abordable au terme de leur séjour, obligeant d’autres à demeurer avec leur conjoint dangereux.
Derrière les manifestations les plus visibles de la crise, se trouvent des centaines de milliers de personnes qui doivent choisir à chaque mois entre payer un logement toujours plus cher, ou manger. À Montréal, lors du Recensement de 2016, 87 000 ménages locataires consacraient plus de la moitié de leur revenu pour se loger et 42 000 la part astronomique de 80 %.
Depuis quelques années déjà, les banques alimentaires mettent de l’avant l’effet du manque de logements à prix abordables sur le nombre personne toujours plus grand qui sont forcées d’y recourir pour se nourrir et tenter de boucler leur fin de mois. Les files d’attente devant les ressources d’aide alimentaire dans les premières semaines du confinement ont rendu visible ce problème croissant, présent depuis des années. D’ailleurs, selon le Baromètre des inégalités publié par l’Observatoire québécois des inégalités en août 2020, le nombre de demandes en aide alimentaire au 211 était toujours 70 % supérieur en juillet 2020 par rapport à février.
Il est clair dans ce contexte que le filet social est clairement insuffisant en matière de logement. 23 000 ménages montréalais attendent déjà sur la liste d’attente pour obtenir un HLM. Quand subvient une perte de revenue, une éviction ou des situations de violence qui appellent à une solution immédiate, il faut attendre des mois pour y avoir accès.
On ne peut pas compter sur le marché privé pour faire respecter un droit aussi fondamental que le logement. Il manque cruellement de nouveaux logements sociaux, les seuls sur lesquels personne ne fait de profits, qui ne constitue pas un fond de pension, ni un secteur d’investissements.
Les logements à loyer modique (HLM), coopératifs ou sans but lucratif, répondant à une diversité de besoins, sont nécessaires pour permettre à des dizaines de milliers de montréalaises et de montréalais pour faire face aux crises, du logement, de santé publique, économique et climatique. Or, depuis des années, les gouvernements supérieurs se trainent les pieds en matière de financement du logement social. Le gouvernement du Québec a honteusement sous-financé son programme AccèsLogis, le seul permettant la réalisation de logements sociaux et communautaires. Seulement 1 019 de ces logements ont levés de terre l’an dernier au Québec dont à peine quelques centaines à Montréal.
Le gouvernement Legault a certes débloqué une partie des sommes manquantes pour faire aboutir la dizaine de milliers de logements sociaux annoncés antérieurement, mais bloqués dans la machine gouvernementale. On ne peut cependant pas parler de grande relance du logement social. C’est pourtant lui qui a en main les outils pour lancer le nécessaire grand chantier de logements sociaux. Maintenant qu’il peut en plus compter sur les sommes découlant de l’entente il n’a plus aucune excuse de ne pas le faire.
Comme Montréal l’a écrit noir sur blanc dans son propre plan de relance, si on veut que de nouveaux projets puissent se réaliser, des investissements supplémentaires sont nécessaires dès maintenant. Le plan de relance économique post-pandémie est pour ce faire une occasion à ne pas manquer.
Cependant, pour que Montréal soit une ville résiliente et résolument inclusive où tous et toutes peuvent vivre décemment, la Ville doit profiter de la relance pour revoir largement à la hausse ses objectifs de développement de logements sociaux, notamment son objectif actuel de 6 000 logements sociaux découlant de la Stratégie 12 000 logements sociaux et abordables. Pour répondre aux besoins les plus criants, il faut un minimum de 22 500 unités de logement sociaux sur 5 ans à Montréal. Afin d’empêcher la spéculation foncière
Pour une sortie de crise verte, sociale et démocratique et le contexte de développement immobilier effréné d’entraver la réalisation de logements dans tous les quartiers où il y a des besoins, la Ville doit continuer de mettre en réserve le maximum de terrains et de bâtiments disponibles et augmenter les ressources qui y sont dédiées.
Quant au gouvernement Trudeau, s’il veut vraiment réparer enfin les torts causés par le retrait fédéral des années 1990, qui a privé le Québec de près de 80 000 logements sociaux, contribuant largement à l’état de crise actuelle, il est temps pour lui aussi d’en faire une vraie priorité. Dans son discours du Trône, il a promis de bonifier sa stratégie sur le logement et d’éliminer complètement l’itinérance, rien de moins ! Pour y arriver, Ottawa doit augmenter les sommes destinées au logement social et prioriser clairement le secteur hors marché privé. D’autant plus que le fédéral se retire dans l’indifférence quasi-totale de ses obligations auprès des logements sociaux qu’il a financés par le passé. Les besoins d’entretien et de rénovation sont grands, comme en témoignent les 300 HLM barricadés à Montréal. Les conséquences sociales et financières pourraient être dramatiques au Québec.
Enfin, autant aux niveaux montréalais que québécois et canadien la relance post pandémie doit être saisie comme une occasion de planifier une transition porteuse de justice sociale. Pour se faire, elle doit être basée sur le respect des droits fondamentaux, dont celui au logement et à un revenu suffisant. Les revendications du FRAPRU :
• Que la Ville de Montréal augmente ses objectifs de développement à 22 500 nouveaux logements sociaux en 5 ans et augmente les sommes prévues pour l’acquisition de sites pour le développement de logement social et communautaire
• Que le gouvernement du Québec réinvestisse massivement dans le logement social, notamment par le biais de son programme AccèsLogis, en planifiant un grand chantier de 50 000 logements sociaux, dont 22 500 à Montréal
• Que le gouvernement fédéral prévoie des investissements dédiés au développement de nouveaux logements sociaux et qu’il y consacre au moins 2 milliards $ par année, sommes qui au Québec pourraient contribuer au grand chantier de 50 000 nouveaux logements sociaux en 5 ans
• Que le gouvernement fédéral prévoie les sommes nécessaires à la remise en état et en location de manière immédiate de tous les logements sociaux qu’il a financé par le passé et que soient maintenues de manière intégrale les subventions fédérales aux locataires à faible revenu habitant dans ces logements sociaux.
Notes :
1. Selon le dernier rapport sur le marché locatif de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) diffusé en janvier 2020
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