Comment s’explique la résistance résolue des peuples indigènes ?
Hugo Blanco – En Amérique, la résistance indigène existe depuis cinq siècles. Mais actuellement sa force se manifeste davantage parce que le niveau d’agression augmente. Les indigènes luttent contre le saccage des ressources naturelles et contre toutes les formes d’oppression : par rapport à leurs langues, leur médecine, leurs arts, leur vision du cosmos… et contre le travail forcé. L’agression du capitalisme n’a jamais été aussi forte. L’eau est volée pour approvisionner les mines qui – avec les entreprises d’extraction du pétrole, du gaz, etc. – empoisonnent la population et le sol.
L’agression consiste aussi à détruire les forêts pour en exploiter le bois et pour créer des kilomètres de surfaces destinées à l’élevage.
La construction de digues pour l’installation de centrales hydroélectriques engendre par ailleurs l’expulsion des populations, car en les privant d’eau, cela les empêche de vivre de leurs plantations.
L’agro-industrie est une autre agression. La monoculture appauvrit le sol et utilise, en outre, des engrais, herbicides et insecticides chimiques, alors que les paysans de ces territoires pratiquent la rotation des cultures et les cultures associées – en plantant différentes espèces sur un même lieu – et utilisent des engrais organiques.
Ces agressions de plus en plus fortes, provoquent ainsi une résistance indigène croissante.
Quels sont leurs outils pour résister ?
La lutte des peuples indigènes concerne aussi leur organisation communautaire : les problèmes de l’ensemble sont résolus par l’ensemble de la population. Et c’est aussi leur force.
Les multinationales ont compris que les organisations communautaires menacent leurs productions. Au niveau institutionnel, elles réussissent à obtenir des gouvernements, une législation contre ces communautés. Elles n’hésitent donc pas à recourir aux actions violentes comme les assassinats d’indigènes, les dénonciations, la prison...
Certaines organisations rassemblent l’ensemble de communautés d’indigènes, comme dans des parties de la forêt péruvienne, en Cali en Colombie, les Cunas des îles de Panama. Le meilleur exemple est celui des zapatistes du Chiapas, au Mexique, où il existe un gouvernement collectif dont les membres tournent et ne sont pas rémunérés pour exercer leur rôle dans l’exécutif ou d’élu. C’est un gouvernement exclusivement civil et les membres de l’armée zapatiste ne peuvent y participer.
Quels sont les fondements de la pensée des indigènes ?
Tout d’abord, certains principes sont communs aux peuples indigènes de la planète comme les aborigènes, par exemple, mais également ceux d’Amérique, d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie.
L’axe principal est la grande interaction avec la nature, car la nature est leur vie. Ensuite, les décisions qui affectent la collectivité doivent être prises par la collectivité, et non par l’individu. Ce que les intellectuels appellent « el buen vivir » (le bien vivre), c’est-à-dire le bonheur, ne se résume pas à l’argent, à la consommation de ce qui est à la mode et qui provoque l’admiration et la jalousie des uns envers les autres.
Une autre caractéristique de leur pensée est le respect des ancêtres et des descendants, alors que l’idéologie néolibérale pousse de plus en plus à vivre en fonction du présent et des présents, en expulsant les personnes âgées des activités sociales.
Enfin, le respect de la diversité : chaque peuple indigène a ses propres habitudes vestimentaires, parle sa propre langue. Malgré cette diversité, ils s’organisent de façon unitaire pour la défense de leur territoire, de la nature, comme c’est le cas pour la défense de la forêt amazonienne.
Leurs luttes favorisent la pression sur la société pour obtenir des gouvernements progressistes.
Quels sont les points communs entre nos luttes et les leurs ?
Leurs rébellions sont profondément politiques parce qu’il s’agit de décider qui va gouverner sur leurs territoires : les entreprises multinationales ou la population qui refuse leurs mines ou leurs activités. Les gouvernements qui imposent les activités des multinationales dans ces territoires le font au nom du développement, mais il faudra demander aux indigènes quel développement ils veulent.
En mots occidentaux, les indigènes sont engagés dans une lutte écosocialiste pour la défense de la nature et le respect de leur organisation collective démocratique.