Édition du 19 novembre 2024

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Cinéma

Pentagon Papers : le courage nécessaire

En rendant hommage à la détermination de quelques-uns pour préserver la liberté de tous, le film de Steven Spielberg résonne puissamment avec les enjeux actuels de la presse indépendante et d’opinion.

Tiré du site de la revue Regards.

Depuis mercredi, on peut revivre sur les écrans un moment crucial de la presse américaine, celui de la publication par le New York Times puis par le Washington Post d’un document révélant l’inanité criminelle des gouvernements qui faisaient la guerre au Viêt-Nam. Pentagon Papers de Steven Spielberg résonne avec notre actualité.

Il retrace un épisode de la saga des lanceurs d’alerte qui, au risque parfois même de leurs vies, portent à la connaissance du public et de la justice des pratiques criminelles et liberticides.

La part belle aux têtus

Ici, il est question de l’analyste Daniel Ellsberg, qui copia une à une les 7.000 pages d’un rapport secret pour les donner à la presse : les administrations de Kennedy, Johnson, Nixon savaient qu’elles ne pouvaient pas gagner la guerre, mais s’obstinaient à envoyer une génération de jeunes hommes à l’abattoir. Depuis, Daniel Ellsberg a confirmé son engagement en soutenant WikiLeaks et Julian Assange.

Comme Les Heures sombres, qui se centre sur le courage solitaire de Winston Churchill, Pentagon Papers fait la part belle aux valeureux têtus. Il met en lumière la présidente du Washington Post, Katharine Graham, qui va engager l’avenir du journal pour préserver la liberté de la presse et le si chéri premier amendement de la constitution américaine. En ces temps d’explosion des cadres collectifs, cette détermination, ce courage sont devenus si nécessaires !

Le film de Spielberg retrace le parcours de cette femme propulsée, après le suicide de son mari, à la direction du Washington Post et qui va faire face avec hauteur. Meryl Streep incarne avec justesse ce combat rendu encore plus difficile par les trois fois riens qui discréditent les femmes, même les plus hauts placées. Brûlante et éternelle actualité : Christine Lagarde, dans une interview au Monde, confie qu’elle aussi est encore regardée avec condescendance, bien qu’elle dirige le FMI.

Le temps qu’il faut pour devenir un grand média

Mon attention a été retenue également par un autre fil qui court dans le film, l’histoire d’un journal et les relations entre les journaux. Au moment des faits, en 1971, le Washington Post n’est pas encore un quotidien de premier plan. Mais il est déjà banni par la Maison blanche, qui lui barre l’entrée au mariage de la fille Nixon. Le Post réussira à contourner l’interdit en nouant des connivences avec les autres journaux et en publiant à sa une des clichés confiés par ses confrères. Piètre victoire en apparence puisque, le même jour, le New York Times délaisse la fête nuptiale et sort les premières pages des Pentagon Papers.

Le Washington Post a néanmoins remporté une petite victoire symbolique. Il apprend aussi à reconsidérer ses priorités : ce sera la guerre au Viêt-Nam. Cette solidarité entre journaux indique déjà un esprit, celui de faire face ensemble. On voit les relations d’amitié entre Katharine Graham et le directeur du New York Times. Cet esprit va s’avérer indispensable pour ne pas laisser la justice américaine interdire les révélations sur la guerre du Viêt-Nam.

Contre ce que Macron appellerait peut-être des fakes news, le Washington Post va prendre, au péril de sa survie, la décision de relayer le New York Times et de publier les pages censurées par la justice. Il sera suivi par l’ensemble de la presse américaine, rendant impossible sa propre condamnation. Il faut du temps pour devenir un grand média, se tromper et recommencer, prendre les bonnes décisions. S’il n’y avait pas eu les Pentagon Papers, le Washington Post aurait-il osé révéler, trois ans plus tard, le scandale du Watergate qui finira par faire tomber Nixon ?

L’indépendance en commun

Pentagon Papers montre aussi qu’au-delà de la concurrence entre les journaux, il y a un combat plus important, celui de la liberté de la presse et des nécessaires contrepouvoirs. Emmanuel Macron parle volontiers de la montée de l’il-libéralisme, c’est à dire la concentration des pouvoirs dans les seules mains des gouvernements élus, réduisant à rien la dissociation de l’exécutif et du législatif, l’indépendance de la justice, la liberté d’expression, la place des corps intermédiaires...

Les relations que Macron entend nouer avec la presse, entre interviewes de complaisance et petites questions improvisées, sa remise en cause du service public de l’audiovisuel, sa proposition de loi contre ce qu’il s’arroge le droit de déclarer fakes news sont inquiétantes. Certes, la France n’est pas la Turquie. Mais elle n’a pas à s’en rapprocher.

Pour s’opposer à ces menaces, l’exigence d’indépendance et de moyens qui correspondent aux besoins actuels des médias publics et d’opinion devrait nous réunir. Les médias indépendants devraient quant à eux se poser la question de leur convergence, de leur travail en commun. Cette atomisation confine au ridicule. Quel sens y a-t-il d’avoir côte à côte, en rivalité, L’Humanité, Politis, le Monde diplomatique, Regards, Médiapart, Bastamag, Le Média ? la production d’informations, d’enquêtes et d’analyses, de vidéos et de son suppose de gros moyens matériels et intellectuels. La somme de nos moyens et savoir-faire est non négligeable. Leur éclatement fait un grand pschitt.

Catherine Tricot

Auteure pour la revue Regards (France).

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