Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Critique du programme économique du Front national

Patriotisme économique, la version Donald Trump

« Réindustrialisation, accès prioritaires des entreprises françaises à la commande publique, soutien privilégié du “fabriqué en France” ». À première vue, les grands thèmes du Front national sur l’économie semblent avoir parfois une parenté avec ceux développés par la gauche, notamment par Arnaud Montebourg qui, depuis des années, s’est fait le chantre de la démondialisation. À première vue, seulement.

De nombreux économistes, à commencer par Frédéric Lordon, dénoncent depuis un moment la stratégie du caméléon adoptée par le Front national, qui consiste à empunter les mots de la gauche pour aller chasser sur les terres ouvrières. Mais s’il faut rechercher une parenté de pensée, c’est plus vers Donald Trump qu’il convient de se tourner. Le Front national puise aux mêmes sources que le nouveau président des États-Unis. « La démondialisation chez Marine Le Pen s’appuie sur le libéralisme. Un libéralisme qui se développe à l’abri de barrières protectionnistes, qui repose sur la stigmatisation, la discrimination, des normes xénophobes », analyse l’économiste Benjamin Coriat.

Comme Donald Trump annonçant la remise en cause de tous les accords commerciaux et notamment l’accord Alena avec le Canada et le Mexique, la première série de mesures préconisées par Marine Le Pen est d’abord de défaire tout ce qui touche à l’Europe. La candidate du FN entend « instaurer un vrai patriotisme économique en se libérant des contraintes européennes ».

Ce retour « à la vraie France » passe par « la mise en place d’un protectionnisme intelligent et le rétablissement d’une monnaie nationale », le soutien « du fabriqué en France par un étiquetage obligatoire clair et loyal ». Cette protection se traduirait par l’instauration d’une taxe de 3 % sur toutes les importations – comme ce que prévoit Donald Trump. Le produit de cette taxe devrait servir à financer une « prime de pouvoir d’achat » pour tous les salariés touchant moins de 1 500 euros par mois.

Mais la mesure phare du FN est « la suppression de la directive sur les travailleurs détachés ». Dénonçant un « dumping social contre les travailleurs français », Marine Le Pen en a fait un cheval de bataille depuis des années. Cette directive ne peut, selon elle, ni être revue, ni amendée mais seulement annulée. Pour dissuader tout recours à une main-d’œuvre « non française », le programme du FN prévoit d’instituer une taxe additionnelle sur tous les nouveaux contrats de salariés étrangers « afin d’assurer la priorité nationale à l’emploi des Français ». « Elle serait de l’ordre de 10 % du salaire brut mensuel », selon Florian Philippot. Un montant qui se veut plus que dissuasif. D’autant que cette taxe concernerait tous les salariés étrangers y compris ceux venant de l’Union européenne.

Mais une fois que les frontières sont fermées, que ce « patriotisme économique » est restauré, le Front national au gouvernement n’a pas trop d’idées sur la suite. Certes, il propose d’instaurer un fonds souverain pour protéger les entreprises françaises contre les OPA hostiles et « assurer les secteurs stratégiques et porteurs ». Mais lesquels ? Le FN ne donne aucune indication sur les secteurs qu’il conviendrait, selon lui, de soutenir et de protéger, là où il importerait que l’économie du futur se développe.

La raison en est simple mais inavouée : pour le FN, c’est au marché, au privé de déterminer ce qui est bon ou pas, là où il convient d’aller. L’État est juste là comme distributeur de crédits et d’aides, surtout en veillant à ce que cela ne profite qu’aux intérêts français. « Fixer l’innovation en France en empêchant en cas de subvention publique que la société soit cédée à une société étrangère pendant dix ans », insiste le programme.

Dans ce programme FN de « reconquête nationale », une place particulière est accordée aux PME, aux artisans, aux commerçants. C’est à eux que Marine Le Pen s’adresse en particulier. Le programme FN insiste notamment sur la nécessité « d’alléger la complexité administrative », d’en « finir avec les seuils pour faciliter l’embauche », d’« instaurer un taux réduit de 15 % de l’impôt sur les sociétés pour les TPE », de « geler les autorisations accordées aux grandes surfaces et aux entrepôts de vente par correspondance dans l’attente d’un audit sur la grande distribution ». À plus de 60 ans de distance, le FN réimporte les mots d’ordre du poujadisme. Un retour aux sources familiales, en quelque sorte : Jean-Marie Le Pen commença sa carrière politique en 1956 comme député du mouvement de Pierre Poujade.

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