Il a gagné cette élection en défendant un programme marqué par un souffle d’optimisme et en projetant une confiance exemplaire dans sa capacité à résoudre les problèmes sans précédent auxquels les États-Unis sont confrontés en ce moment. On peut d’ailleurs dire que le déclenchement de la crise économique en pleine course électorale a joué en sa faveur. Le peuple américain lui a fait confiance, une confiance indiscutable dans ces moments angoissants.
Les réjouissances dont nous avons tous et toutes été témoins, ont montré la profondeur de cette confiance. On touchait presque de la main ce sentiment d’espoir et surtout de fierté chez les participants en bas des tribunes [1]. Fierté d’avoir osé élire un noir ! Ce seul résultat suffisait à beaucoup. Tout juste 40 ans après que Rosa Park eut refusé de se lever pour céder sa place à un blanc dans un autobus de Memphis, et que Martin Luther King jr. eut prononcé son mémorable discours ‘I have a dream,’ voir ce jeune couple entrer à la Maison Blanche en étant ni le jardinier ni la cuisinière est plus qu’une victoire dans ce pays encore raciste. C’est un symbole, une entrée dans l’histoire universelle autant qu’américaine. Elle ne peut que réjouir tous ceux et celles qui ont combattu et combattent toujours le racisme et les inégalités. Il n’y a pas lieu ni de cracher dans la soupe ni de jouer les pisse-vinaigre.
Mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un nouveau président des Etats-Unis d’Amérique.
Son électorat l’a suivi lorsqu’il a plaidé pour le changement et soulevé la confiance sur la capacité des Américains à l’accomplir. Bien sûr, se sortir des politiques de l’administration G.W.Bush était vécu comme une nécessité absolue par une bonne partie du peuple américain.
Mais est-ce que ces changements ont la profondeur que beaucoup espèrent ? Nous sommes en droit de nous le demander. Est-ce qu’il a les appuis, la compétence et l’entourage nécessaires pour accomplir une tâche qui semble de plus en plus colossale ?
La lecture de son discours d’investiture et un regard sur certaines décisions prises depuis, peuvent nous en donner une idée. Il faut faire l’exercice en retraçant aussi bien ce qui est dit et fait que ce qui est passé sous silence.
DE LA PAROLE AUX ACTES ?
Dans son discours Barak Obama réfère avec insistance à l’histoire américaine, se situe et situe ses intentions dans l’axe de la continuité de cette histoire, dans le respect de la constitution et de la tradition politique qui a généralement présidé au développement de ce pays.
Il faut entendre ici un rejet de l’administration antérieure qui a agit en dehors de la constitution, a cultivé le secret sur ses actions et recherché l’impunité, contrairement à une certaine tradition d’ouverture qui a prévalu dans le passé.
Il s’agissait aussi de relier le peuple américain à ses racines de ‘développeur’ pour qu’il s’adapte aux dures circonstances actuelles. Préparation à des décisions impopulaires à venir ? Sans aucun doute, avec un zeste de fierté en plus ! Il rappelle que la grandeur de ce peuple n’est pas donnée mais qu’elle se gagne. Mais rien n’est dit sur ce qui sera le plus mis à contribution dans l’élaboration des moyens de rétablissement de la situation intérieure et extérieure du pays.
Il ne s’agit donc pas d’une rupture avec les bases de la société américaine. Il réaffirme la place du marché comme assise de la nation, quitte à le discipliner un peu plus : La question n’est pas de savoir si le marché est une force positive ou négative. Son pouvoir de création de richesses et d’expansion de la liberté est sans comparaison. Mais, cette crise nous rappelle que sans surveillance, il peut se mettre à dérailler, devenir hors contrôle (…) c’est notre voie vers le bien commun. [2]
Des exemples
Dans l’ensemble, la rupture avec l’administration Bush est claire. Certaines décisions s’attaquent même à des conceptions et fonctionnements conservateurs installés depuis bien plus longtemps, depuis les années Reagan.
C’est en politique intérieure que les changements sont les plus visibles.
D’abord sur le rôle du gouvernement. Alors que depuis plus de 30 ans, le débat a toujours tourné autour de la taille du gouvernement, il renvoie tous les conservateurs et ceux et celles qui leur ont emboité le pas, que là n’est pas (n’est plus…) la question ; le gouvernement doit faire ce qui doit être fait quand il le faut et au niveau nécessaire. La crise aidant, il y a donc rupture avec le laisser-faire en économie et révision en profondeur du rôle du gouvernement.
En économie, cela donne les plans de relance qui ont été adoptés jusqu’à maintenant et le budget faramineux qui le sera sans aucun doute, même s’il sera modifié.
À la fin de son mandat, l’administration Bush avait dû se résoudre à agir en économie en soutenant les multiples canards boiteux en train de sombrer. Tous trop gros pour les laisser passer à la trappe de la faillite.
L’équipe Obama poursuit cette démarche qui donne peu de résultats jusqu’à maintenant et qui coûte de plus en plus cher aux contribuables américains. La si compétente équipe d’économistes qui a été constituée n’est pas à la hauteur du programme de changement qui a été promis. Dès les premières nominations, beaucoup de progressistes se sont inquiétés de sa composition. Larry Summers, conseiller principal du président en matière d’économie, n’était-il pas l’artisan de la dérégulation dans l’administration Clinton. Thimoty Geithner siégeait au bureau de la Banque fédérale (FED), à New-York jusqu’à sa nomination au titre de secrétaire au Trésor et a contribué largement à l’élaboration du plan de sauvetage du secteur financier de son prédécesseur C.Pawlson, à l’automne dernier. M. Obama a dû le soutenir publiquement 3 fois la semaine dernière… [3]
La réaction de cette administration dans l’affaire AIG qui a tenu tous les médias en haleine et a enragé le peuple un peu plus cette semaine, nous fait nous demander si ces officiels ne font pas parti, sinon du problème, du moins de la même culture que le milieu financier. On nous le répète souvent : » le seul but de Wall Street c’est de faire de l’argent ». Ailleurs on produit des biens et des services, là on produit de l’argent, et ces dernières années, beaucoup d’argent. Et les travailleurs de ce secteur récoltent des revenus mirobolants au passage. Contrairement aux autres travailleurs qui subissent la crise et à qui ont demande toujours plus de sacrifices, à ceux-là on ne demande rien et ils se sentent en droit de poursuivre comme si de rien n’était même aux frais du trésor public.
Maintenant que nous avons appris par les médias, que le maintien du versement des primes de 165 millions de dollars chez AIG faisait parti de la dernière entente de renflouement dont a bénéficié l’entreprise et cela, pour respecter des contrats antérieurs [4] il semble bien que cette culture de cupidité siège aussi au gouvernement et peut-être même à la Maison Blanche.
Il se peut aussi que cette administration ne comprenne pas tout fait l’ampleur de ce qui se passe et fasse des paris risqués sur l’avenir.
Chose certaine, le peuple américain n’accepterait pas un gouvernement passif en ce moment, mais l’unanimité est loin d’être faite quant à ces nouvelles politiques. Investir des milliards empruntés pour renflouer des banques et autres institutions financières qui ont la plupart du temps triché et volé permettra-t-il d’éviter un plus grand désastre économique ? Surtout, est-ce que cela arrêtera le flot des saisies de maisons et les pertes de valeur associées qui dévastent les villes américaines en ce moment, les pertes d’emplois qui déferlent comme un flot empoisonné sur la majorité de la classe travailleuse ?
L’objectif avoué est de remettre le système économique sur les rails. Que ça fonctionne à nouveau. Tel que ça fonctionnait ? Nulle part on ne voit ni n’entend cette administration questionner les assises du capitalisme américain, pour en modifier quelques structures aberrantes qu’il comporte. L’extrait du discours du nouveau président, cité plus haut, est assez clair à ce sujet. Bien sûr la régulation fera son retour, à commencer sans doute, par des lois sur les prêts usuraires dont l’abrogation est survenue avec l’administration Reagan. [5]
Mais les tenants du libre marché veillent au grain. La réaction de rejet à l’opération actuelle de prise de contrôle par le gouvernement fédéral des institutions financières qu’il finance avec les deniers publics, en dit long. Cette démarche est qualifiée de socialiste et est combattue comme tel surtout par la droite bien sûr, mais par de plus en plus de citoyens de toutes allégeances.
En ce moment, le gouvernement Obama joue son avenir. S’il arrive à convaincre qu’il sait ce qu’il fait et que ces actions ont des chances de résoudre les problèmes au moins à moyen terme, il pourra continuer dans son projet de réformes. Mais s’il échoue ce premier exercice, tout le mandat sera affaibli pour entreprendre et poursuivre l’audacieux programme pour lequel il a été élu. Et ce programme est très important et ambitieux.
Nous aurons l’occasion d’y revenir.