Ce qui se traduit aujourd’hui par une solidarité entière et complète – sans faux-fuyants- avec le peuple ukrainien qui est bombardé, saigné et qui résiste tragiquement seul. Et aussi une solidarité sans faille avec les courageux citoyens russes qui manifestent contre la guerre de Poutine, faisant exactement ce que Rosa, Liebknecht et un certain Vladimir Ilitch Lénine ont fait en août 1914 ! Aujourd’hui comme hier, ce sont ces quelques braves qui sauvent l’honneur non seulement de leur pays mais aussi du monde entier…
Après ce rappel nécessaire, venons-en aux événements de ces journées cauchemardesques. Et commençons par un quiz : qu’ont-ils en commun les ennemis anticommunistes occidentaux de Poutine et nos compatriotes défenseurs de Poutine ? La réponse est que tous les deux perçoivent la Russie de Poutine comme une certaine « continuation » de l’URSS. Les premiers pour la critiquer et la condamner, les seconds pour l’approuver et la défendre.
Mais que dit de tout cela la personne directement concernée, le président Poutine lui-même, dans son discours historique du 22 février, dans lequel il a exposé en détail, pendant une heure et demie (!), les raisons de la guerre qu’il a déclarée en Ukraine ? Il dit exactement le contraire. C’est-à-dire qu’il déteste la révolution russe, les bolcheviks et, en particulier, Vladimir Lénine, plus que tout autre chose ! Écoutons-le : « Du point de vue du destin historique de la Russie et de son peuple, les principes léninistes de construction de l’État n’étaient pas seulement une erreur, ils étaient, comme nous le disons, encore pire qu’une erreur. » Pourquoi ? Parce que « la politique bolchevique a abouti à l’émergence de l’Ukraine soviétique, qui, même aujourd’hui, peut être appelée à juste titre « Ukraine de Vladimir Lénine ». Il en est l’auteur et l’architecte ».
Et pourquoi, selon Poutine, Lénine est-il« le créateur et l’architecte » de l’Ukraine d’aujourd’hui ? Parce que « Ce sont les idées de Lénine sur une structure étatique essentiellement confédérative et sur le droit des nations à l’autodétermination jusqu’à la sécession qui ont constitué le fondement de l’État soviétique ». Nous sommes entièrement d’accord avec la description de Poutine. Sauf que nous applaudissons l’application de ces « idées de Lénine » non seulement à son époque mais aussi maintenant, et même partout et toujours, alors que Poutine les déteste à mort. Après les avoir d’abord qualifiées de « folie », il affirme ensuite de la manière la plus catégorique ce qui suit : « il est très regrettable que les fantaisies odieuses et utopiques inspirées par la révolution, mais absolument destructrices pour tout pays normal, n’aient pas été rapidement expurgées des fondations de base, formellement légales, sur lesquelles tout notre État a été construit »...
Conclusion ? Nous n’avons rien à ajouter lorsque Poutine lui-même est en total désaccord avec ses ennemis occidentaux et ses amis de gauche qui prétendent que sa Russie est une sorte de substitut de l’URSS, ou qu’il vise – par exemple avec sa guerre en Ukraine – à la faire revivre ! Tant les premiers que les seconds luttent contre des ombres et nous racontent des histoires à dormir debout tout en faisant de la propagande grossière adressée à des idiots : il n’y a probablement pas d’anticommuniste plus juré et d’admirateur plus farouche de l’empire tsariste que Poutine !…
Cependant, tout ce qui précède, entrecoupé par les affirmations constamment répétées de Poutine sur l’inexistence d’une nation et d’un État ukrainien, peut signifier quelque chose de très important : Que la haine de Poutine contre l’Ukraine n’a rien à voir avec la « sécurité » de la Russie et son encerclement – tout à fait réel et étouffant – par l’OTAN et les impérialistes occidentaux ! Quoi qu’il arrive, tôt ou tard, Poutine enverrait son armée en Ukraine, tout comme il l’a envoyée en Tchétchénie pour raser Grozny au début de sa présidence, sans qu’il y ait la moindre menace de l’OTAN contre la sécurité de la Russie. En fait, les paroles de Poutine nous convainquent que nous avons affaire à un tyran « grand russe » de la même trempe que Staline, que … Lénine qualifiait aussi dans son testament de « grand chauvin russe », conseillant d’ailleurs de l’éloigner du pouvoir tout de suite. Et bien sûr, ce n’est pas une coïncidence si c’est Staline qui recueille toute la sympathie de Poutine, précisément parce qu’il est l’opposé de Lénine, sur la question de l’Ukraine entre autres…
Sur l’Ukraine « néo-nazie » et Poutine l’antifasciste
En Grèce, l’impression s’est installée depuis longtemps que, sinon tous, beaucoup d’Ukrainiens sont des « néo-nazis ». Il est certain qu’en Ukraine, les organisations et les groupes d’extrême droite et de néonazis – qui se (auto)présentent comme des continuateurs de l’œuvre du collaborateur des nazis allemands Stepan Bandera – ont fait et continuent de faire sentir leur présence qui n’est pas négligeable. En d’autres termes, on voit en Ukraine à peu près ce qu’on voit se passer dans d’autres ex-pays du socialisme réellement existant. Cependant, alors que, par exemple, en France, l’extrême droite (Le Pen + Zemmour + deux ou trois autres) recueille les préférences d’environ 35% des Français, l’ensemble de l’extrême droite et du parti néonazi ukrainien ne recueillent même pas 3% des voix de leurs compatriotes aux élections. Ainsi, selon la « logique » de Poutine et de ses admirateurs, encore plus que l’Ukraine, on pourrait qualifier de… « néo-nazie » la France ou « fasciste » la Grèce, puisque en Grèce, les résultats de l’extrême droite et des néo-fascistes dans les élections dépassent généralement de loin le 6% ou même le 10%. Bien sûr, cela ne provoquerait que des commentaires ironiques, que toutefois on n’entend pas à propos de l’ « Ukraine néo-nazie » qui est considérée comme allant presque de soi dans de nombreuses publications de la gauche grecque.
Mais surtout, comment Poutine, qui finance Mme Le Pen, reçoit la crème de l’Internationale noire au Kremlin et s’associe aux pires dictateurs et politiciens d’extrême droite de notre époque, peut-il passer pour un antifasciste et un ennemi de l’extrême droite, des néofascistes et des autres racailles néonazies ? Par quel tour de passe-passe le parrain de la pire réaction raciste, obscurantiste et néo-fasciste de notre temps peut-il se transformer en … « antifasciste » ?
Enfin, nous ne pouvons pas faire passer sous silence l’autre adjectif utilisé par Poutine pour discréditer Zelensky et son gouvernement : « toxicomanes ». Si nous ne nous trompons pas, la présentation des opposants comme « drogués » a une longue tradition chez les bourreaux de la classe ouvrière, des révolutionnaires et des gens de gauche. Les Communards de Paris étaient déjà qualifiés de drogués, d’ivrognes, de bandits et de voyous par leurs massacreurs, inaugurant ainsi une tradition qui s’est poursuivie tout au long du vingtième siècle et qui est parvenue jusqu’à nos jours, après avoir traversé la Grèce pendant la guerre civile et immédiatement après ! Après tout, il faut être très, très réactionnaire, raciste et obscurantiste, comme l’est Poutine, pour penser qu’à notre époque, le pire affront que l’on puisse faire à quelqu’un est de le traiter de « toxicomane »…
Nous nous arrêtons ici avec le sentiment que les mots ne suffisent plus, car il y a des signes croissants que quelque chose ne tourne pas rond dans la gauche grecque. Et nous ne faisons évidemment pas référence au spectacle effroyable de ces anciens camarades qui semblent aujourd’hui… jouir carrément avec les « exploits » criminels de l’armée russe en Ukraine. Nous nous référons, à quelques honorables exceptions près, à tous les autres qui préfèrent rejeter le moucheron et avaler le chameau au point soit de dire à peine un mot sur le peuple martyrisé de l’Ukraine, soit le présenter comme un « détail » dans leurs habituels exercices géostratégiques sur papier. Alors, qu’est-ce qui se passe ? N’ont-ils pas de cœur ? N’ont-ils pas de sentiments ? Ou y a-t-il autre chose ?
Malheureusement, le problème ne se pose pas maintenant pour la première fois, il a des racines profondes et une préhistoire. Il recule et passe inaperçu durant les périodes « normales », et refait surface, en balayant ce qui avait été construit de bien auparavant, dans les moments d’exacerbation des grandes crises nationales ou internationales. Comme par exemple aujourd’hui…
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Yorgos Mitralias
Athènes, 27 février 2022
Traduit du grec
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