Selon un diagnostic préliminaire du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) rendu public en juin et intitulé "Prix des Aliments, Pauvreté et Politique Sociale au Mexique", durant les deux dernières années, un million 800 mille mexicains de plus se trouvent en situation de pauvreté extrême et un million 300 mille de plus en situation de pauvreté de patrimoine (lorsque la personne ne parvient pas à satisfaire ses besoins en matière de logement, transport et vêtement).
Pendant cette même période, un rapport encore plus alarmant du Centre d’Etudes des Finances Publiques de la Chambre des Députés ("Impact de l’augmentation des prix des aliments sur la pauvreté au Mexique") a conclu que la population mexicaine en pauvreté extrême a augmenté d’au moins 7 millions de personnes du fait de la hausse du prix des aliments, pour passer à représenter de 13.7 à 20% du total national (plus de 21 millions d’habitants).
Les réponses gouvernementales ont été fortement critiquées par les acteurs sociopolitiques. A la fin mai, des dirigeants agricoles ont affirmé que les actions de soutien de l’économie familiale annoncées par le gouvernement étaient “démagogiques”, “insuffisantes” et “inefficaces”. Ils ont signalé que la suspension des taxes douanières qui font partie du plan aura peu d’effet à l’heure de réduire le prix des produits agricoles, étant donné que la plupart des importations proviennent des USA et ne font plus l’objet de taxes.
A la mi juin, des législateurs, dirigeants syndicaux et paysans ont considéré que le contrôle des prix de certains produits annoncé par le président Felipe Calderón était également une mesure “insuffisante” mais surtout “tardive”, dans la mesure où la plupart des prix actuels intègrent d’ores et déjà les augmentations signalées.
Réforme énergétique : conflit latent… pour l’instant
Un autre thème qui a fait l’objet d’une forte couverture médiatique reste la polémique réforme énergétique suite au projet de loi présenté par Felipe Calderón le 9 avril dernier. Ceux qui s’opposent à la réforme considèrent qu’elle impliquerait une tentative de privatisation des ressources pétrolières de la Nation. Le fait que le Sénat ait décidé de réaliser plus de deux mois de débats ouverts à la participation de spécialistes avant de prendre une décision a permis de réduire quelque peu la tension qui s’était générée autour du thème de la réforme énergétique.
Le Congrès National Démocratique avec à sa tête, l’ex candidat présidentiel Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et le Front Ample Progressiste (FAP qui regroupe les principaux partis de gauche : Parti de la Révolution Démocratique, PRD ; le Parti du Travail, PT ; et Convergence) ont décidé d’organiser une consultation publique sur le thème de la réforme énergétique, qui a été réalisée le 27 juillet dans neuf états de la République et le District Fédéral. Le Sénat et l’Institut Fédéral Électoral avaient refusé d’y participer. Le coordinateur de la consultation, Manuel Camacho Solís, a affirmé le lendemain qu’elle avait été un “succès” vu que plus d’un million et demi de personnes y avaient pris part. Un peu plus de 80% des participants ont exprimé leur refus face à la réforme présentée par le pouvoir exécutif.
Face au thème de la réforme énergétique, la Ministre de l’Énergie, Georgina Kessel, a affirmé que ces résultats s’ajouteraient simplement à toute l’information à disposition. Elle a ajouté que la consultation avait eu les résultats attendus, avec une participation nettement inférieure à celle prévue et qu’elle présentait de nombreuses irrégularités. Elle a également affirmé "qu’’il existe une énorme quantité d’enquêtes qui ont été réalisées à échelle nationale et que ce qu’elles indiquent, c’est qu’il y a une majorité de mexicains qui veulent réformer PEMEX (Pétroles Mexicains), qui veulent moderniser notre entreprise publique”.
Certaines critiques proviennent non pas du gouvernement ou de la droite, mais aussi de certains secteurs de la gauche qui affirment que le PRD avait perdu sa crédibilité pour organiser une consultation de ce type quand il n’a pas été capable de résoudre ses élections internes à la présidence de ce parti, des élections pourtant réalisées en mars. Selon ces secteurs, et bien qu’ils reconnaissent l’importance d’un processus de consultation ouverte, c’est ce qui expliquerait une participation moindre à celle prévue.
La décision reste pour l’heure dans les mains du Congrès mais il est probable que le CND et le FAP reprennent leurs actions de résistance civile pacifiques.
Droits humains : un manque d’“engagement” ?
Un des faits les plus notables en matière de droits humains a été qu’en mai, Amérigo Incalcaterra, représentant au Mexique du Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits humains (OACNUDH), a abandonné son poste, supposément du fait de pressions de la part du gouvernement mexicain. Selon le journal espagnol “El País”, l’attitude critique d’Incalcaterra au cours des deux dernières années "avait dérangé les autorités au point de se transformer en une situation insoutenable ". Le fait que cette information ait été publiée peu après l’entrée en vigueur d’un accord entre la OACNUDH et le gouvernement mexicain, supposément pour permettre à la première une plus grande participation et faculté critique dans le cadre des enquêtes sur les droits humains au Mexique attire l’attention. Diverses organisations de droits humains nationales se sont prononcées pour exiger au gouvernement de clarifier la situation, sans obtenir de réponse de la part de celui-ci.
A la fin mai, Amnistie International (AI) a signalé que la population du Mexique attendait encore que Felipe Calderón assume son leadership dans le cadre de la défense des droits humains, vu qu’en 18 mois de gouvernement “il n’a pas encore montré un plein engagement pour que la protection [de ces droits] avance”, un fait “préoccupant”.
Les principales plaintes en la matière sont liées à la militarisation qui a caractérisé le début de l’administration de Felipe Calderón. Durant cette période, la Commission Nationale des Droits humains (CNDH) a reçu 634 requêtes contre l’Armée mexicaine pour de possibles abus et violations des garanties fondamentales. La fréquence des dénonciations a également augmenté de manière significative. Pourtant, Susana Pedroza de la CNDH a semblé minimiser ce fait lorsqu’elle a affirmé que ces plaintes étaient moins graves que celles enregistrées en 1997.
En mai, des représentants d’Amnistie International (AI), Human Rights Watch (HRW) et le Centre pour la Justice et le Droit International (CEJIL) ont critiqué le rôle joué par la CNDH face à cette problématique : ils ont soutenu que la réponse de la Commission reste "limitée" et en désaccord avec les standards internationaux en la matière.
En juillet, le Centre de Droits humains Miguel Agustín Pro Juárez (Centro Prodh) a présenté un rapport préliminaire qui couvre la période entre janvier 2007 et juillet 2008. Il dénonce près de 50 cas d’abus supposément commis par des membres des forces armées, principalement dans les états Tamaulipas, Michoacán, Chihuahua, Guerrero et Sinaloa. Il informe de la mort de 11 personnes en 2007, et la même quantité depuis le début de l’année (jusqu’au10 juin). Dans les abus les plus fréquents, il mentionne les agressions physiques et les attaques à main armée à proximité des barrages et baraques militaires.
D’Acteal (Chiapas) à Atenco (État de Mexico) : impunité.
À Acteal, l’organisation civile “Las Abejas” (Les Abeilles) a affirmé que le responsable du Ministère Public pour le cas Acteal, Noé Maza Albores, avait menacé d’emprisonner leurs dirigeants s’ils ne mettaient pas fin aux dénonciations publiques qu’ils réalisent les 22 de chaque mois dans le cadre de la commémoration du massacre de 45 indigènes le 22 décembre 1997.
D’un autre côté, en juin, les membres des familles de 33 prisonniers indiens de Chenalhó, accusés d’avoir participé à ce même massacre ont commencé un sit in permanent à Tuxtla Gutiérrez (capitale du Chiapas) pour demander aux autorités judiciaires fédérales de réviser les procès. Selon leur version, seulement une douzaine de personnes parmi les 78 actuellement emprisonnées pour ces faits avaient effectivement participé au massacre. Ils soutiennent que tous ont été condamnés après des procès qui présentent de multiples irrégularités juridiques. En juin, plus de 10 ans après le massacre, la Cour Suprême de Justice de la Nation a décidé de prendre le cas en mains et pourrait se prononcer sur ces possibles irrégularités.
Deux ans après l’opération policière qui avait réprimé une manifestation à San Salvador Atenco, les 3 et 4 mai 2006, Amnistie International a à nouveau demandé justice pour les femmes violées et a signalé que les “graves cas de torture” commis sont “un signe de l’engagement insuffisant du gouvernement mexicain pour mettre fin à ce crime et à la violence contre les femmes”.
Quelques jours avant l’"anniversaire" des deux ans de la répression à Atenco, 11 des 26 femmes agressées et violées alors par des membres de la police, ont présenté une demande auprès de la Commission Interaméricaine des Droits humains (CIDH). La catalane Cristina Valls a également présenté une plainte pour torture auprès de l’Audience Nationale d’Espagne contre les policiers et autorités mexicaines qui avaient participé à l’opération. En juillet, un magistral a rejeté sa plainte, une décision à laquelle elle va faire appel.
Interviewé en mai, le gouverneur de l’Etat de Mexico, Enrique Peña Nieto (PRI, Parti Révolutionnaire Institutionnel) a rejeté le fait que la répression à Atenco soit un “un boulet” pour son gouvernement. Il a signalé qu’il agirait à nouveau de la même manière s’il se présentait un cas où il devrait rétablir l’ordre et la paix sociale. En réponse aux critiques internationales en matière de droits humains, il a affirmé que “la même volonté et disposition se maintiennent” de la part de son gouvernement pour clarifier les faits actuellement étudiés par la Cour Suprême de la Nation.
Chiapas : multiplication des opérations policières et militaires
A partir de la seconde moitié du mois de mai, et comme ce n’était plus le cas depuis la fin des années 90, des opérations policières et militaires se sont multipliées dans les zones indigènes du Chiapas, en particulier, mais pas uniquement, dans les communautés zapatistes de la Forêt Lacandone et de la zone Nord. Le Centre des Droits humains Fray Bartolomé de las Casas (CDHFBC) a dénoncé “une logique contre insurgée” qui passe “par des déploiements tactiques dans des territoires habités par une population civile organisée autour de demandes sociales justes”, ce qui “leur permet également d’observer la réponse de la population face à des opérations de ce type”.
Selon le Centre d’Analyse Politique et d’Investigations Sociales et Economiques (CAPISE), ces opérations représentent “des menaces de répression, prison, dépouillement, expulsion ou mort contre l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN), les peuples zapatistes et les membres de l’Autre Campagne”. Jorge Lofredo, du Centre de Documentation sur les Mouvements Armés, lors de la participation du livre “Coupure de Caisse” (de Laura Castellanos et Ricardo Trabulsi) qui consiste en une longue interview du Sous-commandant Marcos, reprenait l’une des affirmations de ce dernier :"Nous sommes dans la même situation qu’en 1993 [un an avant le soulèvement armé], mais à l’envers. (...) Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui se prépare à attaquer. Jorge Lofredo soulignait aussi : “Même s’il y a eu des dénonciations réitérées de possibles opérations militaires dans la zone zapatiste qui n’ont cependant pas eu lieu, on pourrait considérer que cela même fait justement partie de l’exécution d’une stratégie militaire : des harcèlements constants ou la menace, qui spéculent sur la réaction de l’EZLN et des organisations non gouvernementales pour qu’elles tombent dans le discrédit ou l’indifférence, jusqu’à ce que finalement ces menaces soient menées à bien”.
Au début de juillet, et face à cette situation, plus de 200 collectifs de différents pays ont exigé du gouvernement qu’il mettre fin aux agressions contre les zapatistes. A la fin juillet, 300 activistes principalement en provenance d’Europe sont arrivés au Chiapas pour observer et dénoncer une situation qu’ils considèrent comme faisant partie d’un “scénario de guerre”.
Il faut également mentionner, surtout à cause de l’existence des liens étroits entre les intérêts économiques et la militarisation que, le 28 juin, à Villahermosa (Tabasco, Mexique), le Dixième Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement du Mécanisme de Dialogue et de Concertation de Tuxtla a pris fin. Les mandataires présents ont réaffirmé les objectifs du Plan Puebla Panama, qui a été renommé “Projet Mésoamérique”. La déclaration finale se réfère fréquemment au combat contre la délinquance organisée et le soutien de l’Initiative Mérida financée par les USA.
Chiapas : autres facteurs de tension
De manière parallèle, d’autres types de conflits se maintiennent dans différentes parties de l’état. Dans la zone des Hauts Plateaux, en mai, le conseil autonome de Magdalena de la Paz et le Conseil de Bon Gouvernement (JBG) d’Oventic ont dénoncé que l’on cherchait à leur voler une partie de leur territoire. A Huitepec, les menaces d’expulsion de la réserve écologique zapatiste se maintiennent : en juin, un groupe lié au pouvoir municipal a essayé de planter des arbres dans la même zone. En juillet, des habitants de la Section III Las Palmas, également située à Huitepec, ont déclaré que le gouvernement municipal de San Cristóbal cherchait à les obliger à soutenir l’expulsion forcée de la réserve.
Dans la zone de la Forêt Lacandone, en mai, suite à une dispute pour l’eau et l’électricité, des militants du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) et des bases de soutien zapatistes se sont affrontés dans la communauté de Morelia, siège d’un autre Caracol zapatiste, municipalité officielle d’Altamirano. Le bilan a été d’au moins 10 blessés.
Une autre source de conflits reste les hauts tarifs d’électricité. En avril, les membres de Peuples Unis pour la Défense de l’Energie Electrique (PUDEE) de plusieurs municipalités de la zone Nord du Chiapas ont annoncé que la réception de programmes gouvernementaux d’aides économiques était conditionnée au paiement de ces tarifs. En juillet, plus de 1000 indigènes ont organisé une manifestation à Ocosingo pour exiger à la Commission Fédérale d’Electricité (CFE) des tarifs justes, la suppression des dettes et la fin des coupures électriques.
Pour donner suite au processus d’organisation dans différentes prisons du Chiapas en mars et avril derniers, au début juin, les prisonniers zapatistes Ángel Concepción Pérez Gutiérrez et son père Francisco Pérez Vázquez ont été libérés après près de 12 ans dans la prison de Tacotalpa, Tabasco. Fin juillet, 3 membres de “La Voz de Los Llanos”, prisonniers dans le Centre Etatique de Réinsertion Sociale des Sentenciés (CRSS) - numéro 5 de San Cristóbal de Las Casas, ainsi que 3 prisonniers de “La Voz de El Amate” qui se trouvaient dans le CRSS 14 ont été libérés.
Dialogue EPR-gouvernement : forte couverture médiatique, peu de résultats
Fin avril, l’Armée Populaire Révolutionnaire (EPR, groupe armé dont la formation remonte aux guérillas surgies dans le sud du Mexique il y a quatre décennies) a demandé à plusieurs personnalités mexicaines de former une médiation qui lui permettrait d’établir un dialogue indirect avec le gouvernement fédéral pour obtenir l’apparition en vie de deux de ses membres : Edmundo Reyes Amaya et Gabriel Alberto Cruz Sánchez, disparus à Oaxaca en mai 2007. Ces personnes ont donné leur accord tandis que l’EPR a accepté les conditions proposées par la commission de médiation qui inclut l’engagement de suspendre immédiatement toute action armée.
Les possibilités de négociation ont semblé s’éloigner lorsque le gouvernement fédéral a ajouté d’autres conditions au dialogue : rencontre directe (où les médiateurs maintiendraient un rôle de “témoins sociaux”) ; que l’EPR s’engage publiquement à suspendre définitivement toutes “actions radicales” de sabotage et de violence ; et que le dialogue ne soit pas exclusivement sur la disparition des deux disparus mais sur l’abandon de la lutte armée.
L’écrivain Carlos Montemayor et l’anthropologue Gilberto López y Rivas, qui appartiennent à la commission de médiation, ont signalé que pour que cette initiative prospère il était indispensable que le Ministère de l’Intérieur comprenne “que lorsqu’une guérilla s’ouvre à une négociation politique, elle ne propose pas sa propre capitulation”. Ils ont également rejeté le fait de n’être que des “invités de pierre” en participant au processus comme simples “témoins sociaux”. Par le biais d’un communiqué, l’EPR a averti qu’il n’y aurait pas de “dialogue ni de négociation qui signifient de se rendre inconditionnellement, et encore moins qui implique l’abandon de la lutte armée pour prendre part à la vie institutionnelle”.
Le gouvernement fédéral a finalement accepté de maintenir des réunions avec la médiation le 13 mai et le 20 mai. Selon Montemayor, quand “les membres de la commission ont présenté pour la première fois les aspects légaux et politiques de fond”, les mass médias ont gardé “un silence inattendu” surtout après la couverture médiatique dont il avait initialement fait l’objet.
Une partie de la difficulté et des différences entre le gouvernement fédéral et la commission de médiation tient au fait que cette dernière considère que certains requis légaux nécessaires pour parler de disparition forcée d’une personne se trouvaient réunis, un aspect qui mettrait l’Etat face à un autre type de responsabilités. Dans un article publié dans le journal La Jornada, Montemayor souligne qu’en effet “la longue séquence d’actions légales, frustrantes et inefficaces, peut suggérer que l’un des principaux aspects qui permet de rendre typique le délit de disparition forcé d’une personne serait présent, selon le cadre de la législation internationale” (Convention Américaine sur la Disparition Forcée de Personne, souscrite par le gouvernement mexicain en 2001).
Depuis le début du processus de dialogue, les enquêtes continuent au milieu des spéculations et rumeurs quant à la participation ou pas de fonctionnaires du Bureau du Procureur de Justice de Oaxaca, ainsi que de l’Armée, ceci sans qu’aucune n’aboutisse à une conclusion. En juin, dans un nouveau communiqué, l’EPR a averti le gouvernement fédéral que le “temps se réduit” pour qu’il présente les deux disparus. Elle a aussi signalé qu’au Mexique “la disparition forcée existe bien”, vu que selon eux, il existerait pour le moins 75 cas actuellement.
Voir en ligne : http://www.cetri.be/spip.php?article790&lang=fr